2.3.4.2. Substitutions et élision : fricatives coronales

À la différence des fricatives labiales, les fricatives coronales sont majoritairement substituées. Les données présentées dans les tableaux (114) et (120) ci-après indiquent, pour les périodes établies en introduction de ce chapitre, les fréquences de réalisation, d’élision et de substitution pour les fricatives alvéolaires et les fricatives post-alvéolaires, respectivement. Je vais, dans un premier temps, détailler les données concernant les fricatives alvéolaires. Je me pencherai ensuite sur les fricatives post-alvéolaires.

En ce qui concerne les fricatives alvéolaires, et comme pour les fricatives labiodentales, la seule substitution du trait de voisement, sans combinaison avec un autre type de substitution, n’intervient que durant la seconde période. Ainsi, le dévoisement représente la majorité (83%) des substitutions de /z/ durant cette seconde période. On peut ainsi estimer que, à la fin de la deuxième période, les traits de lieu et de mode d’articulation sont acquis pour les fricatives alvéolaires, puisque la consonne /s/ y est réalisée à 91%, et que la consonne /z/, si elle n’est pas réalisée, est largement substituée par sa contrepartie non voisée /s/.

(114) Fricatives alvéolaires (1.10;17 à 2.2;29 et 2.3;12 à 2.11;14)

En ce qui concerne la première période (partie 1), différentes consonnes peuvent substituer ces fricatives : une occlusive, une nasale, /l/, une fricative ne possédant pas le même lieu d’articulation ou une autre consonne. Le panel est donc relativement large. Néanmoins, on constate une prépondérance de substitution par /l/ pour la fricative /s/ et une prépondérance, quoique moins importante que pour /s/, d’une substitution par une occlusive pour /z/. Pour vérifier si ces tendances sont liées aux différents contextes dans lesquels peuvent se trouver ces fricatives, je détaille dans le tableau (116) les substitutions qui affectent ces deux fricatives cibles ainsi que les contextes cibles les comportant.

Avant d’observer ces données, on doit d’abord noter que seule la fricative alvéolaire voisée /z/ n’atteint pas les 80% de substitution durant la première période. Ceci est dû principalement à un mot qui représente à lui seul près de 50% des élisions durant cette période. Il s’agit du mot maison, lequel comporte une consonne nasale et une voyelle nasale, ce qui provoque, comme je l’ai déjà évoqué en section (), une perturbation de la production de Marilyn. D’ailleurs ce mot est sujet à variation dans la production de Marilyn, comme illustré en (115) ci-après.

(115) Variation dans la production du mot maison

D’après le tableau (116), on constate que tous les types de substitutions, par une occlusive, par une nasale ou par /l/, ont lieu pour au moins 50% dans des mots dont le contexte favorise ce type de substitution (ce tableau reprend l’organisation décrite dans la section précédente du tableau (112)). Ainsi, pour prendre un exemple, 81,8% des /z/ en tête d’attaque de syllabe accentuée qui sont substitués par une occlusive le sont quand une occlusive est également présente dans le mot cible. Seule exception, le /s/ substitué par une occlusive : cette substitution n’a lieu dans un contexte la favorisant que dans 43,3% des cas. On note, enfin, que des deux fricatives alvéolaires, /z/ semble plus influencée par le contexte puisque, quel que soit le type de substitution, ses substitutions ont lieu à 80% dans un contexte les favorisant. (Pour le tableau (116), les nombres sans virgule ont une décimale égale à 0).

(116) Fricatives alvéolaires : substitution et contexte (1.10;17 à 2.2;29)

Les données concernant le /s/ en présence d’une occlusive dans la cible paraissent de ce point de vue problématiques. Si l’influence du contexte est avérée pour /z/ et également pour les fricatives labiodentales, pourquoi ce contexte particulier n’influence-t-il pas aussi fortement que les autres les substitutions de /s/.

Si on observe les données provenant de la catégorie « Subst. Autre » dans le tableau (117), on constate que la majorité des exemples (qui représentent la majorité des occurrences dans les productions de Marilyn) sont des mots produits sans occlusives (exemples (a-e)).

(117) Fricative /s/ en présence d’occlusive en cible et substituée par /l/

On peut noter que les mots produits avec occlusives le sont vers la fin de cette première période : exemples (f) et (g) à 2;01.17 et 2;02.29, respectivement. Tout comme pour les fricatives labiodentales, la systématicité du processus de substitution n’est avérée que si une occlusive est également produite (voir tableau (118) ci-après, exemples (a-c)). Dans le cas du /s/, pour la période allant de 1;10.17 à 2;00.25 inclus, ce type de substitution est systématique. Le même processus, dans le même contexte et pour la même période, affecte la fricative alvéolaire voisée /z/ (118d).

(118) Fricatives alvéolaires substituées par une occlusive (1;10.17 à 2;00.25)

Similairement, une harmonie nasale s’explique systématiquement par la présence d’une consonne nasale en production, et ce, pour la même période(119 a‑c).

(119) Fricatives alvéolaires substituées par une nasale (1;10.17 à 2;00.25)

Comme on peut le voir avec l’exemple (119d), quand la consonne nasale n’est pas présente en production, la fricative peut être substituée par l’approximante latérale /l/. On peut noter, par ailleurs, que la consonne /l/ est utilisée de préférence à une fricative coronale dans tous les autres contextes ne comportant pas d’occlusive ou de nasale. Il est important de se souvenir que, contrairement aux fricatives labiodentales, les substitutions affectant les fricatives coronales sont quasi systématiques quand la fricative n’est pas réalisée. L’approximante latérale /l/ a donc une grande importance dans ce système.

En ce qui concerne les fricatives post-alvéolaires, dont les données sont présentées en (120) ci-après, deux observations identiques à celles faites pour les fricatives alvéolaires peuvent être effectuées. Ainsi, l’unique processus systématique est le remplacement de la fricative post-alvéolaire quand une occlusive ou une consonne nasale est présente en production. Quant au dévoisement de la fricative voisée indiqué dans la catégorie « voisement » de /ʒ/, il ne se manifeste que pendant la deuxième période, une fois que le mode d’articulation est acquis.

(120) Fricatives post-alvéolaires (1.10;17 à 2.2;29 et 2.3;12 à 2.11;14)

On observe, enfin, que contrairement aux fricatives alvéolaires, la précision du lieu d’articulation n’est pas acquise durant la deuxième période. En effet, les substitutions par une autre fricative constituent l’essentiel des productions des fricatives post-alvéolaires durant la deuxième période. Ce sont, par ailleurs, principalement des fricatives alvéolaires qui substituent ces fricatives post-alvéolaires. Ces substitutions sont illustrées en (121).

(121) Fricatives post-alvéolaires substituées par une fricative alvéolaire

Le détail des substitutions par rapport à leur contexte est donné dans le tableau (122) ci-après. On remarque que le contexte joue un rôle prépondérant pour ces fricatives puisqu’il permet de rendre compte de 75% des substitutions (excepté pour la catégorie « /l/ » de la fricative /ʒ/, ce type de substitution ne comportant que 2 productions).

(122) Fricatives post-alvéolaires : substitution et contexte (1.10;17 à 2.2;29) Pour ce tableau, les nombres sans virgule ont une décimale égale à 0.

Comme pour les fricatives alvéolaires, si une consonne nasale ou une occlusive est présente dans le mot cible, et que cette consonne nasale ou occlusive est produite, alors la fricative post-alvéolaire sera substituée par une nasale ou une occlusive respectivement.

Dans le tableau (123) ci-après, la substitution d’une fricative alvéolaire par une consonne nasale est exemplifiée en (a-c), et la substitution par une occlusive est exemplifiée en (d-e). On peut remarquer, en (c), que l’absence de la nasale cible dans la forme produite, n’interdit pas forcément l’harmonie, mais dans ce cas, celle-ci n’est pas systématique. La même constatation peut être faite pour les mots cibles contenant une occlusive qui est élidée en production.

En revanche, quand la consonne provoquant la substitution est produite (nasale ou occlusive), le phénomène est systématique, et ceci pour la période allant de 1;10.17 à 2;00.25. Après cette période, ce type de substitution est de moins en moins fréquent, étant graduellement remplacé par la substitution par /l/ (exemple : pijama [piʒama] → [pilama] à 2;05.1).

(123) Fricatives post-alvéolaires substituées par une nasale ou une occlusive

Le schéma (124) fournit une récapitulation des différents processus affectant les fricatives coronales ainsi que la période durant laquelle ils prennent place. Ainsi durant la première période, les fricatives alvéolaires et post alvéolaires partagent le même comportement. Une fois acquis le mode d’articulation, seules les fricatives post-alvéolaires n’ont toujours pas acquis leur lieu d’articulation et sont substitutées par les fricatives alvéolaires.

(124) Chronologie des processus affectant les fricatives coronales

Si on compare ce schéma avec celui des occlusives labiodentales en (113), on constate que les dates correspondant à chacune des étapes de leurs acquisitions respectives se recoupent. Ainsi, le mode d’articulation des fricatives est acquis durant la même période pour toutes les fricatives étudiées. On peut, dès lors, dégager trois périodes pour l’acquisition des fricatives :

Dans la prochaine section, je détaillerai les données concernant l’acquisition des sonantes par Marilyn. Nous verrons qu’en tête d’attaque de syllabe accentuée, le /ʁ/ ne présente pas le même comportement que les trois autres sonantes étudiées. Ce comportement différent sera également confirmé en position de seconde consonne d’une attaque branchante en comparaison avec l’approximante latérale /l/ se trouvant dans la même position prosodique.

Notes
27.

Pour ce tableau, les nombres sans virgule ont une décimale égale à 0.