2.4.1. Sonantes en tête d’attaque de syllabe accentuée

La classe des sonantes constitue 45% (8058 occurrences) des consonnes cibles en position de tête d’attaque de syllabe accentuée. L’approximante latérale /l/ représente à elle seule 43% des sonantes tentées par Marilyn. C’est plus que sa fréquence dans la langue adulte (37%), ce qui peut s’expliquer par la fréquence élevée de certains mots possédant cette consonne en position de tête d’attaque de syllabe accentuée chez Marilyn. Par exemple, sur 3436 occurrences de cette sonante, 1442 proviennent uniquement du mot (voir aussi discussion en section ).

Dans le tableau (125) ci-après, on peut comparer la fréquence des différentes sonantes cibles entre les sessions ainsi que la moyenne sur l’ensemble des sessions (MOY.) et la fréquence de ces mêmes sonantes dans la langue adulte (L.A.). Cela confirme ainsi la prédominance de l’approximante latérale /l/ dans les formes cibles. Cette prédominance est variable selon les sessions, variabilité que l’on retrouve pour les autres consonnes tentées (section et ). En effet les trois enregistrements où /l/ est la consonne la plus tentée sont dans l’ordre les deux premiers enregistrements et le dernier. Il n’y a donc pas d’évolution constante dans un sens (diminution progressive de sa fréquence), comme dans l’autre (augmentation progressive de sa fréquence).

(125) Fréquences des sonantes cibles en tête d’attaque de syllabe accentuée

On peut noter également que dans cette position la liquide /ʁ/ n’est pas fréquente. Cette faible présence est compatible avec ce qu’on observe dans la langue adulte. D’une manière générale et en se reportant au tableau (62) du chapitre 2 section , on s’aperçoit que la consonne /ʁ/, qui est la consonne la plus fréquente du français toutes positions prosodiques confondues, n’est que la onzième consonne la plus fréquente en position de tête d’attaque de syllabe de syllabe accentuée.

Des quatre sonantes étudiées, trois d’entre elles sont acquises avant le début des enregistrements. Il s’agit des nasales /m/ et /n/ et de la liquide /l/. Comme pour les autres consonnes, j’ai considéré que les sonantes étaient élidées si elles étaient substituées soit par l’occlusive glottale [ʔ], soit par la fricative glottale [h]. Dans ce corpus, seules les liquides subissent ce genre de substitution. Seuls deux /l/ et cinq /ʁ/ sont substitués par [h] dans tout le corpus, quatre /l/ et 91 /ʁ/ sont substitués par [ʔ]. Comme déjà indiqué pour les fricatives en section (), la transcription de ces deux consonnes [h] et [ʔ] est relativement variable. À des fins de classification, j’ai considéré la substitution des consonnes cibles par [h] ou [ʔ] comme des élisions. Je vais maintenant présenter le comportement des sonantes. Pour cette présentation, j’ai divisé les sonantes en deux goupes. Je commencerai par étudier le comportement des nasales, puis je présenterai celui des liquides.

Dans les deux graphiques en (126) ci-après, les pourcentages de réalisation, de substitution et d’élision sont indiqués pour les deux consonnes nasales respectivement.

(126) Comportement des consonnes nasales /m/ et /n/

Comme on peut le voir, les /m/ et /n/ sont acquises par Marilyn en tête d’attaque de syllabe accentuée puisque dès le premier enregistrement elles sont réalisées à 100% dans cette position. Ces consonnes sont malgré tout sujettes à quelques rares substitutions. Ces substitutions sont exemplifiées en (127). Ainsi, lorsque la consonne nasale labiale /m/ est substituée, elle l’est majoritairement par une occlusive labiale (a-b), tandis que la consonne nasale alvéolaire /n/ est, en général, remplacée par la liquide /l/ (c-d).

(127) Exemples : substitutions des consonnes nasales

En ce qui concerne les liquides, seule l’approximante latérale /l/ est acquise. La rhotique /ʁ/ est majoritairement élidée. Pour le cas du /ʁ/, j’ai extrait du corpus le nom propre Marie [maʁi]. Ce mot est très fréquent dans les productions de Marilyn. Il représente 52% (168 occurrences sur 321) des /ʁ/ tentées par Marilyn durant la première période (1;10.17 à 2;02.29). Or, ce mot est produit [mini] par Marilyn sur une très longue période. Il est produit quasi systématiquement [mini] jusqu’à 2;03.26. Cette forme ([mini]) persiste encore de manière aléatoire jusqu’à 2;05.29. Il semble donc que ce mot ait été lexicalisé sous cette forme par Marilyn puisque comme nous allons le voir pour tous les autres mots contenant /ʁ/, c’est l’élision qui est la stratégie la plus fréquente. C’est pour cette raison que j’ai soustrait à la fois dans le nombre de /ʁ/ cibles et dans le nombre de substitutions, les /ʁ/ provenant du nom propre Marie.

Les deux graphiques en (128) ci-après permettent la comparaison entre les comportements des deux liquides. La liquide /l/ est donc bien acquise avant le début des enregistrements à 1;10.17 alors que le /ʁ/ ne l’est toujours pas à la fin de la période étudiée.

(128) Comportement des liquides /l/ et /ʁ/

Malgré le fait que les formes provenant du mot Marie [maʁi] produit [mini] ne soient pas comptabilisées dans les données présentées en (128), les patrons de substitutions ne sont pas négligeables. Le comportement du /ʁ/ est similaire à celui des fricatives labiodentales en ce qui concerne la première période. Celles-ci qui sont majoritairement élidées mais sont quelques fois substituées (voir section ). Les substitutions de /ʁ/, comme pour les fricatives labiodentales, sont influencées, dans la majorité des cas, par le contexte phonologique des formes produites par Marilyn, quelles que soit les consonnes en cible, comme le montrent les exemples dans le tableau (129) ci-après.

(129) Exemples : substitutions de la liquide /ʁ/

Ainsi, si une occlusive est présente en production, le /ʁ/ peut soit être élidé soit être remplacé par une occlusive comme dans l’exemple en (a). S’il n’y a pas d’occlusive alors /ʁ/ peut soit être élidé, soit être remplacé par /l/ comme en (b) ou (c).

Les trois derniers exemples nous renvoient à la question discutée en section à propos de l’interprétation des données affectées par une troncation. On peut encore se demander ici s’il s’agit d’une troncation syllabique (troncation de syllabe entière avec assimilation : pour (d), /ʁ/ deviendrait [k] et [ku] serait tronqué) ou d’une troncation segmentale (troncation de certains segments de part et d’autre d’une frontière syllabique ː toujours pour (d), élision de [u.ʁ]). Là encore, comme en section , à la vue de ces données, il n’est pas possible d’établir quelle stratégie l’enfant privilégie.

Les substitutions liées à l’influence du contexte (aléatoire ou systématique selon les consonnes) qui touche toutes les consonnes prennent fin aux alentours de 2;01, bien que la substitution par une consonne nasale perdure plus longtemps, mais de manière non systématique.

Le parallèle entre le comportement du /ʁ/ et le comportement des fricatives labiodentales n’est effectif que pendant la première période (1;10.17 à 2;02.29). En effet, alors que durant la deuxième période (2.3;12 à 2.11;14) les fricatives labiodentales atteindront plus de 95% de réalisation, le /ʁ/ sera toujours élidée à plus de 65% en position de tête d’attaque de syllabe accentuée.