2.4.2.1. Attaques branchantes du type ClV

Pour les attaques branchantes du type ClV, seules certaines consonnes en tête d’attaque sont présentes dans le corpus de Marilyn parmi les différentes combinaisons permises en français pour ce type d’attaque branchante. Dans le tableau (133) ci-après, le nombre d’occurrences pour chaque consonne différente en tête d’attaque branchante comportant un /l/ est indiqué, ainsi que la fréquence de réalisation du /l/ sur toute la période étudiée. Dans ce tableau, la lettre majuscule « P » représente l’ensemble des occlusives labiales (voisées ou non voisées). Cette notation sera reprise tout au long de cette section et de la suivante.

(133) Occurrences cibles et réalisation du /l/ en attaques branchantes de type ClV

D’après le tableau (133), le taux de réalisation des attaques branchantes de type ClV est de 88% (388 réalisations sur 441 cibles). On pourrait, d’après ce nombre établir que le /l/ en attaque branchante est acquis chez Marilyn. Or, les attaques PlV et dlV représentent à elles seules 80% des attaques branchantes de type ClV. De plus, elles présentent les taux de réalisation les plus élevés, 91% pour PlV et 90% pour dlV. Ce qui signifie que les 88% de réalisation constatés pour l’ensemble des attaques de type ClV sont en grande partie dus à la réalisation du /l/ dans les attaques PlV et dlV. Leur prépondérance masque donc la disparité de comportement des autres types d’attaque branchante comportant /l/. Pour prendre l’exemple de l’attaque de type flV, le /l/ de cette attaque n’est ainsi réalisé qu’à hauteur de 30% en moyenne sur l’ensemble des sessions.

Comme je l’avais indiqué dans le tableau (131), il existe trois types possibles de réalisations de /l/ dans ces attaques et deux types pour l’élision. Je vais, dans la suite de la section, présenter les exemples de réalisation de ces différents types de ClV. Je montrerai ainsi que les réalisations du /l/ avec ou sans consonne en tête d’attaque, qui étaient jusqu’à présent comptabilisées dans la même catégorie (/l/ réalisé), sont liées à deux contextes distincts. La même observation sera effectuée pour les deux types différents d’élision du /l/.

Pour commencer, la réalisation du /l/ atteint 90% dans le cas des attaques PlV et dlV. L’occlusive est généralement réalisée dans les attaques du type PlV (exemple (134a)). Si cette occlusive est une occlusive voisée, elle peut être dévoisée, mais ce phénomène n’est pas systématique. Ce type d’attaque branchante peut être réalisé en insérant une voyelle entre les deux consonnes de cette attaque. Cette voyelle est soit un schwa, soit une réduplication de la voyelle de la syllabe comportant l’attaque branchante comme le montre les exemples (134b) et (134c) respectivement. Quelques exemples de cas inverses existent également, où un mot du type PVlV est produit PlV. C’est le cas de l’exemple (134d), mais ceci est loin d’être systématique. Le /l/ peut également être élidé, même si ce phénomène est très peu fréquent dans ce corpus. Dans ce cas, la consonne en tête d’attaque est généralement préservée, comme dans le mot tablier en (134f-g). On peut lier cet exemple au comportement particulier des approximantes palatales /j/ (voir tableau (139)).

En ce qui concerne l’attaque dlV, 66 de ses 70 cibles proviennent du même mot : pâte à modeler. Cependant, les attaques de type dlV pour ce mot sont remplacées par des attaques du types PlV comme dans les exemples en (134h-j). Il est donc difficile d’établir un processus sans écarter la possibilité d’un cas de lexicalisation. De plus un phénomène lié au principe du contour obligatoire n’est pas à exclure. Enfin, on peut également noter que ce type d’attaque n’est pas forcément considéré comme une attaque branchante valide en français mais plutôt comme une suite consonne- schwa-consonne-voyelle (p. ex. modeler [modəle]), /d/ et /l/ étant alors l’attaque de deux syllabes adjacentes.Pour toutes ces raisons, je ne discuterai pas de ce contexte par la suite.

(134) Exemples d’attaques branchantes produites PlV

Pour les mots cibles comportant une attaque branchante du type klV, la fréquence de réalisation du /l/ est de 65%, comme nous l’avons vu dans le tableau (133). La totalité des /l/ non réalisés subit l’élision. Cette élision est surtout présente durant la première période étudiée, en concurrence avec la forme réalisée. Durant la deuxième période, le /l/ est toujours réalisé. Lorsque le /l/ est réalisé, il est toujours produit avec l’occlusive en position de tête d’attaque. Ce type de production est exemplifié en (a, d et f) dans le tableau (135) ci-après, le contenu de celui-ci est classé par ordre chronologique. Ces exemples apparaissent sur un fond gris car ils représentent le patron de production majoritaire chez Marilyn pour ce type d’attaque branchante (65%). Un seul exemple présentant une réduction de l’attaque à /l/ uniquement est attesté dans le corpus (exemple (135c)). Enfin, l’élision du /l/ n’entraîne pas l’élision de la totalité de l’attaque. Quand le /l/ est élidé, l’occlusive en tête d’attaque est réalisée (exemples (b), (e) et (g) du tableau (135)).

(135) Exemples de mots cibles comportant une attaque du type klV

Les attaques branchantes du type ɡlV ne se comportent pas comme celles du type klV. Tout d’abord le /l/ dans ces attaques y est réalisé à 95%, contre 65% pour celles du type klV. De plus, quand le /l/ est réalisé dans les attaques du type ɡlV, le /ɡ/ est élidé comme le montre les exemples (a-d) du tableau (136). On ne rencontre que deux élisions de /l/ dans tous le corpus mais cette élision n’implique pas l’élision de l’occlusive en tête d’attaque (exemple en (136e)). Enfin, à la fin de la période étudiée, l’enfant réalise pleinement cette attaque branchante. Un seul exemple d’attaque branchante réalisée est attesté avant la fin de la période étudiée (exemple (136f), le /ɡ/ y est dévoisé).

(136) Exemples de mots cibles comportant une attaque du type ɡlV

Les attaques branchantes du type flV ne sont réalisées qu’à 30% pendant la période étudiée. Dans les autres cas, l’attaque branchante dans sa totalité est élidée comme illustré en (137a-d). Ce comportement est différent du comportement des attaques du type klV où quand il y a élision, seul le /l/ est élidé. Il est également différent du comportement des attaques du type ɡlV où seule la tête de l’attaque branchante est élidée. À la fin de la période étudiée, les attaques branchantes du type flV sont généralement totalement réalisées en étant passées préalablement par un stade où seule la fricative labiodentale présente en tête d’attaque est élidée (exemples (137e-f)). Malgré tout, quelques productions peuvent encore présenter une élision totale de l’attaque branchante (137g). Ces observations confirment celles faites sur les fricatives labiodentales présentes en attaque simple (section ). En effet, celles-ci sont élidées jusqu’à l’âge de 2;06 environ.

(137) Exemples de mots cibles comportant une attaque du type flV

En (138) ci-après, je récapitule, par type d’attaque branchante, les patrons de production de Marilyn. Comme nous l’avons vu, les attaques branchantes du type PlV sont acquises dès le début de la période même si un dévoisement peut apparaître occasionnellement pour les attaques du type blV. En ce qui concerne les trois autres types d’attaques branchantes attestées comportant /l/, le début de leur période de transition se situe autour de 2;05. La période de transition indiquée pour le /ɡ/ semble plus longue (2;05 – 2;11). Cela est dû au fait que le corpus ne contient qu’un exemple de ce type durant cette période, ce qui ne permet pas de déterminer une période de transition plus courte.

(138) Chronologie de l’acquisition des attaques branchantes comportant /l/

Avant d’entamer la présentation des attaques branchantes du type CʁV, je vais discuter d’un phénomène lié à l’approximante palatale /j/ et qui conduit à la production par Marilyn d’attaque branchante de type PlV.

Si on observe les exemples du tableau (139) ci-après, on constate l’élision de l’approximante palatale /j/ dans les attaques CjV. Ainsi CjV → CV. Cette élision a lieu quand la consonne en tête d’attaque est une nasale (139a-b), une continue (139c-d), ou une occlusive coronale (139f).

(139) Exemples de mots cibles comportant une attaque du type CjV

Ce processus d’élision est donc quasi systématique pour toutes les consonnes en attaque qui ne sont pas des occlusives labiales (le contre-exemple en (139e) est probablement dû à la présence d’une voyelle nasale dans le mot cible). Lorsque adjacente à une occlusive labiale en attaque, /j/ est substituée par /l/, comme le montre les exemples en (140a-f). De manière occasionnelle, /j/ peut être substituée par /l/ alors que son attaque cible n’est pas une occlusive labiale, mais à condition que la production présente une attaque avec une occlusive labiale (en (140c)). L’approximante palatale /j/ peut également être substituée par /l/ de manière indépendante (140g-h).

(140) Exemples de mots cibles comportant une attaque du type PjV

Les productions de Marilyn comportant une attaque branchante du type PlV semblent donc suggérer un patron préférentiel puisque des mots cibles ne comportant pas cette attaque peuvent être produits avec cette attaque. Néanmoins, les données sont insuffisantes pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Enfin la substitution de /j/ par /l/ en attaque branchante est, peut-être, plus importante qu’indiquée par les données du corpus. En effet, les exemples donnés dans le tableau (139) comportent soit une nasale (voyelle ou consonne), soit une fricative, soit la présence d’un /l/ en attaque. Nous avons vu dans la section , p. 96, que les voyelles nasales provoquent une forte variation des productions chez Marilyn ce qui pourrait expliquer les élisions de /j/ dans ce contexte. De plus, étant donné que [j] → [l], l’absence d’attaque branchante de type NlV en français, c’est-à-dire consonne nasale+l, peut également expliquer l’élision de /j/ dans ce contexte. Enfin, si /l/ est déjà présent en attaque, comme en (139c), même si /j/ était substitué par /l/, l’enfant ne produirait qu’une seule latérale. Les fricatives étant en général substituées par /l/ durant la période, là encore dans ce contexte le /j/ disparait (p. ex. assiette [asjɛt] → [lɛːt] à 2;02.29).

Dans la la prochaine section, je présenterai les attaques branchantes du type CʁV en utilisant la même méthodologie utilisée dans cette section.