3. Acquisition des consonnes en finale de mot

3.1. Introduction

Dans cette section, je décris le comportement des consonnes en finale de mot, et ce, quel que soit le nombre de syllabes que comporte le mot cible tenté par l’enfant. Comme précisé dans l’introduction de ce chapitre, je ne prendrai pas en considération les groupes de consonnes en fin de mot mis à part dans le cas d’exemples ponctuels pour lesquels cette prise en compte sera explicitée.

Comme indiqué en (67), 4887 des plus de 21000 mots ou expressions du corpus étudié comportent au moins une consonne en finale de mot, ce qui signifie que 23% des productions de Marilyn possèdent une consonne ou un groupe de consonnes en finale de mot. Ce nombre passe à 4032 si on soustrait les mots se terminant par un groupement consonantique. Le rapport entre le nombre de consonnes en finale de mot et le nombre de consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée s’élève à 0,27 pour Marilyn. Ce même rapport est de 0,30 pour la langue adulte (calcul réalisé à partir du corpus films de Lexique 3) ce qui signifie que le corpus de Marilyn contient en proportion moins de mots présentant des consonnes finales que ceux utilisés dans la langue adulte.

De fait, le nombre relativement peu élevé de consonnes finales dans ce corpus en comparaison au nombre de consonnes en attaque de syllabe accentuée (plus de trois fois plus nombreuses), impose des limites statistiques. La majorité des consonnes qui vont être présentées dans cette section sont limitées en termes de nombre et sont souvent totalement absentes de plusieurs sessions. Je n’effectuerai donc pas d’étude entre la fréquence des consonnes cibles de Marilyn et celle de la langue adulte à part pour les sonantes dont le nombre dans le corpus est conséquent. De la même manière, certaines consonnes et notamment les obstruantes voisées ne seront pas présentées en détail du fait de leur faible nombre.

Comme pour les consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée, je présente dans l’histogramme (149) les données concernant la fréquence des consonnes en finale de mot tentées par Marilyn (consonnes cibles). Cet histogramme présente le pourcentage de ces consonnes cibles par mode d’articulation et est complété par la moyenne de ces fréquences sur l’ensemble du corpus de Marilyn (MOY.) et la fréquence de consonnes en finale de mot dans la langue adulte (L.A.). À la différence de l’histogramme (82) pour les consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée, dans celui en (149), les sessions ont été regroupées deux à deux afin d’avoir un nombre conséquent de données pour chaque période présentée. Dans cet histogramme et surtout dans le graphique (151), des modifications ont été apportées sur le dénombrement des sonantes suivant en cela les remarques de la section .

(149) Fréquence des consonnes cibles en finale de mot

Deux informations peuvent être tirées de cet histogramme. Premièrement, pour toutes les classes de consonnes, excepté pour les nasales, la variation est manifeste. Il n’y a ni augmentation ni diminution progressive de la fréquence d’une classe au cours du temps. La variation entre les sessions, est, comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, fortement corrélée au lexique utilisé par l’enfant. On peut toutefois noter que cette variation révèle la faible utilisation d’une stratégie d’évitement par cette enfant. En effet, le /ʁ/ n’est pas évité alors que, comme nous le verrons en section 3.4, il n’est pas acquis par Marilyn. Il représente dans la langue adulte 30% des consonnes en finale de mot, mais peut représenter jusqu’à 55% des consonnes en finale de mot tentées par Marilyn (2;04).

La deuxième information que l’on peut tirer de l’histogramme (149) est l’augmentation au fil du temps de la fréquence des nasales en finale de mot par rapport aux autres consonnes. Ce phénomène n’est pas lié à l’apparition de ces consonnes en finale de mot chez cette enfant mais à l’utilisation de trois mots : comme, une et bonhomme(s). Comme le montre le graphique (150), le nombre d’occurrences des nasales est, à partir de 2;05, fortement corrélé à l’utilisation de deux de ces trois mots (comme et une) par Marilyn, les trois premiers pics antérieurs à cet âge sont en grande partie dus au mot bonhomme(s) (les formes au singulier et au pluriel ont toutes été comptabilisées). Ainsi l’augmentation de la fréquence des nasales au cours du temps n’est que le reflet du lexique utilisé par Marilyn pour chaque session.

(150) Nombre de nasales et des mots « comme », « une » et « bonhomme(s) »

Dans le graphique (151) ci-après, je présente la fréquence de réalisation des consonnes cibles en finale de mot dans le parler de Marilyn. Les données sont organisées par mode d’articulation : occlusive, fricative, nasale, /l/ et /ʁ/. On constate, grâce à cette organisation, que l’acquisition des consonnes est fortement liée à leur mode d’articulation.

(151) Fréquence des consonnes en finale de mot réalisées comme la cible (lissée)

Comme on peut le constater, à la fin de la période étudiée, seules trois classes naturelles sont acquises en finale de mot : les occlusives, les nasales et /l/. Pour les occlusives, le fait qu’elles ne dépassent jamais le seuil de 90% de réalisation est dû au phénomène de dévoisement. Comme nous le verrons dans la prochaine section, les occlusives voisées en finale de mot sont en général dévoisées en production. À ce phénomène vient s’ajouter, en début de période, de nombreuses substitutions de l’occlusive coronale, ce qui explique la faible proportion d’occlusives réalisées durant cette période.

Les fricatives, quant à elles, ne dépassent pas les 40% de réalisation. Comme nous le verrons en section 3.3, seul le /s/ et le /f/ sont correctement produits à la fin de la période étudiée.

En ce qui concerne les sonantes, les consonnes nasales et l’approximante latérale /l/ semblent être acquises de manière progressive. En réalité, comme nous le verrons dans la section , le /l/ et les nasales sont acquises de manière catégorique. Enfin, le /ʁ/ n’est jamais réalisé comme la cible. Nous verrons en section qu’il n’est pas non plus substitué. Il est constamment élidé dans cette position.

Dans les prochaines sections, je commencerai par présenter le comportement des occlusives en finale de mot. Nous verrons que seule l’occlusive coronale /t/ n’est pas réalisée de manière stable au début de la période considérée. Je continuerai par la présentation des fricatives. Nous verrons que ces dernières ont un comportement différent de celles en tête d’attaque de syllabe accentuée. Enfin, j’exposerai les données concernant les sonantes en fin de mot. Nous verrons notamment que la liquide /l/ qui est acquise très précocement en position de tête d’attaque de syllabe accentuée par Marilyn, ne l’est que tardivement en finale de mot.