3.2. Acquisition des occlusives

Le corpus étudié présente 787 mots comportant une occlusive en finale de mot, ce qui représente 20% de l’ensemble des consonnes en finale de mot du corpus (4032). Dans le tableau (152) ci-après sont indiqués : la répartition de ces occurrences en fonction de l’occlusive considérée, le pourcentage de réalisation de cette occlusive pour l’ensemble des sessions étudiées, ainsi que le nombre de sessions ne présentant pas d’occurrences pour cette occlusive. Ainsi, on constate que les occlusives voisées sont absentes d’au moins un tiers des sessions étudiées (7 sessions sur 21 au total pour le /d/). Cette absence est encore plus marquée pour /ɡ/, puisqu’il est absent de 80% des sessions (17 sur 21). Cette absence relative des occlusives voisées empêche la présentation d’un calendrier d’acquisition détaillée.

(152) Présentation des occlusives en finale de mot

On peut néanmoins constater à partir de ce tableau que les occlusives voisées ont une fréquence de réalisation plus faible que les occlusives non voisées. Ces occlusives voisées sont, comme leurs homologues en attaque, majoritairement dévoisées, comme le montre le tableau (153) ci-après. Le cas de /b/ est cependant particulier car sur les 13 substitutions qui ne sont pas dues au dévoisement, 10 proviennent de la présence d’une voyelle nasale dans le mot. Il s’agit, en l’occurrence des mots jambe et tombe dont la production est variable. Si on ne prend pas en compte ces 10 substitutions, le dévoisement, pour /b/, est le processus le plus actif puisqu’il représente 6 substitutions sur 9.

(153) Présentation des occlusives voisées en finale de mot
  # Réalisation subst. vois. subst. autre élision
/b/ 42 20 6 13 3
/d/ 66 39 11 1 15
/ɡ/ 9 3 6 0 0

En ce qui concerne les occlusives non voisées, la labiale /p/ et la dorsale /k/ sont acquises dès le début de la période étudiée, comme le montre les graphiques en (154). Dans ces graphiques, les données ne sont pas présentées session par session du fait de l’absence de cible dans certaines d’entre elles. Un regroupement des sessions deux par deux a été effectué, sauf pour la dernière session (2;11.14).

(154) Comportement des occlusives non voisées /p/ et /k/ en finale de mot

Le cas de l’occlusive coronale non voisée /t/ est particulier. En effet, comme on peut le constater à partir du graphique (155) ci-après, entre 1;10.17 et 2;00.25, à la différence des autres occlusives non voisées, /t/ n’atteint pas le seuil des 80% de réalisation. De fait, sur cette période spécifique, /t/ n’est réalisé qu’à 52% et est substitué à hauteur de 38%. Après cette période particulière, /t/ a le même comportement que les autres occlusives non voisées (i.e. il est réalisé).

(155) Comportement de l’occlusive non voisée /t/ en finale de mot

Les substitutions qui ont lieu durant la période allant de 1;10.17 et 2;00.25, sont de deux types : substitution de lieu d’articulation et substitution de mode d’articulation. Comme le montre le tableau (156) ci-après, /t/ est soit substitué par /k/, soit substitué par une fricative coronale.

(156) Substitution de /t/ de 1;10.17 et 2;00.25
Substitution Fricative coronale Occlusive dorsale total
/t/ 14 15 29

Le changement de lieu d’articulation affectant cette consonne s’effectue dans le contexte où une occlusive dorsale est présente en tête d’attaque de syllabe accentuée du mot tenté, comme le montre les exemples (157a-e). Ce type de substitution peut également avoir lieu quand l’occlusive dorsale en cible n’est pas produite (157f). Dans ce tableau apparaissent également deux exemples (157g-h) possédant le groupement consonantique /tʁ/ en finale de mot. Ce groupement se comporte comme /t/ seul en finale de mot. Ainsi, /tʁ/ est produit /t/ quand une occlusive autre que l’occlusive dorsale est présente (157g). Par contre, tout comme /t/, /tʁ/ est produit /k/ quand une occlusive dorsale est présente (157h).

(157) Mots cibles comportant un /t/ en finale de mot et une occlusive en attaque

En ce qui concerne le changement de mode d’articulation, /t/ en finale est produit comme une fricative coronale quand l’attaque produite qui le précède est une consonne continue. Comme nous l’avons vu en section , à ce stade d’acquisition, Marilyn ne produit pas encore de fricatives et substitue en général par /l/ les fricatives coronales quand l’harmonie de mode d’articulation (occlusif ou nasal) n’est pas possible. Par conséquent, si le mot produit comporte un /l/ en attaque de syllabe accentuée, le /t/ final sera produit comme une fricative coronale (158a-e). Ici encore, le groupement consonantique /tʁ/ présente le même comportement que /t/ seul. L’exemple (158f) montre que ce groupement est substitué par /s/ quand il est précédé par la liquide /l/. Ce même groupement consonantique n’est pas substitué quand /l/ n’est pas présent en attaque (158g).

(158) Mots cibles comportant un /t/ en finale de mot et une continue en attaque

Il est important de noter, pour finir, qu’un contexte particulier provoque systématiquement l’élision. Il s’agit du cas où la consonne produite en attaque de syllabe accentuée est une nasale. Dans ce cas précis, /t/ est élidé, comme on peut le constater avec l’exemple (159a) ci-après. Ce comportement est également observé avec le groupement consonantique /tʁ/ et /d/. Ainsi, /d/ est produit /t/ quand le mot produit ne comporte pas de consonne nasale en attaque (159b), mais est élidé si c’est le cas (159c).

(159) Mots cibles comportant un /t/ en finale de mot et une nasale en attaque

Dans tous les autres contextes, /t/ est réalisé quasi systématiquement. Pour ce qui est des cas d’harmonie de mode d’articulation en (158) ou d’élision en (159), le contexte pertinent doit se retrouver dans la forme produite. Le cas du mot lunettes en est un bon exemple. En (158d), ce mot est produit avec un /l/ en lieu et place du /n/, le /t/ est alors produit comme une fricative. En (159a) par contre, la consonne nasale /n/ est pleinement réalisée, le /t/ est alors élidé.

En revanche, le cas de la substitution par une occlusive dorsale doit prendre en compte le contexte de la forme cible. Comme le montre l’exemple (157f), /t/ est produit /k/ alors qu’aucune occlusive dorsale n’est présente en production. L’occlusive dorsale peut ainsi être présente dans la cible et ne pas être produite, ce qui n’empêchera pas la substitution du /t/ en finale par une occlusive dorsale.

Pour résumer, les occlusives labiales et dorsales sont réalisées en finale de mot. L’occlusive coronale est réalisée si elle ne se trouve pas dans un contexte où elle est substituée ou élidée. Le tableau (160) ci-après résume les différents contextes de production de /t/ en finale de mot durant la période allant de 1;10.17 à 2;00.25.

(160) Résumé des productions de /t/ en finale de mot en fonction du contexte
Contexte
En cible En production
KVt lVt NVt autres
Produit KVk / Vk lVFric NV (autre)Vt

Nous avons vu en section que des phénomènes de métathèse ou d’harmonie entre deux occlusives pouvaient avoir lieu dans des mots du type CVCV mais sans consonne en finale de mot. Dans cette section, nous venons de voir que le /t/ en finale de mot est substitué par une dorsale quand une dorsale est présente en attaque de syllabe accentuée. Les interactions entre deux occlusives sont donc également possibles entre une occlusive en tête d’attaque de syllabe accentuée et une occlusive en finale de mot. Pour vérifier s’il existe d’autres interactions que l’harmonie dorsale progressive dans les mots CVC, je présente dans le tableau (161) ci-après les différentes séquences articulatoires possibles pour les mots du type CVC ainsi que leur production par Marilyn. Ce tableau peut être comparé au tableau (92) qui présente les différentes séquences articulatoires possibles pour les mots CVCV.

Ainsi, on peut constater que dans les mots du type CVC, deux autres interactions sont possibles : l’harmonie labiale régressive dans la séquence [Cor…Lab] et l’harmonie dorsale régressive dans la séquence [Cor…Dor], harmonie qui était déjà présente pour les mots du type CVCV. Dans les mots CVC, seule l’articulation coronale est touchée par ces phénomènes d’harmonies. Quand elle est en position de tête d’attaque de syllabe accentuée, elle peut subir l’harmonie labiale ou l’harmonie dorsale.

(161) Exemples de mot produit pour chaque séquence articulatoire : mots CVC

On peut toutefois noter que l’articulation coronale, comme les articulations labiale et dorsale, peut être produite indépendamment. Les données observées dans le tableau (161) sont corroborées par les chiffres donnés en (162). Ce dernier montre que ces phénomènes d’harmonies sont systématiques même si les données sont peu nombreuses. En effet, ces données confirment l’harmonie dorsale constatée pour les mots CVCV et l’harmonie labiale pour les mots du type Fricative coronale – Voyelle – Occlusive labiale (SVP) que nous verrons dans la prochaine section. Il faut noter malgré tout que ce tableau ne comptabilise pas les séquences avec occlusives voisées en finale de mot. Ces occlusives sont peu nombreuses et les quelques mots dans lesquels elles apparaissent sont en général produits avec une plus grande variabilité. Par exemple pour /ɡ/ en finale de mot, seul le mot ogre [ɔɡʁ] est produit par Marilyn durant la période considérée (1;10.17 à 2;00.25). Ce mot peut être produit, entre autres, comme : [ka], [kɔ], [kɔk], [ɔk]…

(162) Pourcentage de réalisation des séquences tentées (1;10.17 à 2;00.25)

Pour résumer, des occlusives en finale de mot, seule l’occlusive coronale subit l’influence du contexte (voir tableau (160)). À l’inverse, les occlusives labiales et dorsales en finale de mot sont les déclencheurs d’harmonies labiales et dorsales, respectivement, lorsqu’elles sont précédées d’une coronale en attaque.

Dans la prochaine section, je détaillerai les comportements des fricatives en finale de mot. Nous verrons que ces fricatives peuvent être divisées en trois sous-groupes en fonction de leur comportement.