3.4. Acquisition des sonantes

Le corpus étudié contient 2541 mots comportant une sonante en finale de mot, ce qui représente 63% de l’ensemble des consonnes en finale de mot du corpus (4032). Je décris en (173) la répartition de ces occurrences en fonction de la sonante considérée, le pourcentage de réalisation des sonantes pour l’ensemble des sessions étudiées, ainsi que le nombre de sessions ne présentant pas d’occurrence pour chaque sonante. Ce tableau ne prend pas en compte, pour /l/, le mot il, prononcé [i]. Cette production étant très fréquente dans la langue adulte et en particulier chez la mère de cette enfant, inclure les productions de il de Marilyn aurait faussé la présentation du comportement de son /l/. Ainsi, en (173) comme dans le tableau (176) par la suite, les occurrences du mot il ont été soustraites à la fois du nombre d’occurrences cibles, que des élisions. De même, la substitution de /l/ par la semi-voyelle /j/ a été comptée comme une réalisation, car, durant la phase d’acquisition du /l/ par Marilyn entre 2;03 et 2;07, le /l/ s’il n’est pas produit est principalement substitué par la semi-voyelle /j/. En comptabilisant la production /j/ de /l/ comme une réalisation de celle-ci, cela permet de mettre en évidence l’acquisition catégorique de cette consonne en finale de mot.

D’après le tableau en (173), on peut noter que deux sonantes sur les six sont quasi absentes des formes cibles répertoriées dans le corpus. Il s’agit des nasales /ɲ/ et /ŋ/. étant donné leur faible représentation ces deux nasales ne seront pas étudiées dans la suite de la section.

On peut également remarquer que la liquide /ʁ/ ne semble pas du tout acquise, puisque réalisée à hauteur de 2% seulement sur l’ensemble des sessions, contrairement aux consonnes nasales /m/ et /n/ et surtout à la seconde liquide /l/.

(173) Présentation des sonantes en finale de mot

Si on compare les fréquences des quatre sonantes /m/, /n/, /l/ et /ʁ/ tentées par Marilyn avec les fréquences de ces mêmes sonantes dans la langue adulte, on constate une forte dissymétrie entre le /l/ et le /ʁ/. En effet, comme on peut le voir en (174), parmi ces quatre sonantes, /ʁ/ est la plus fréquente, que ce soit chez Marilyn ou dans la langue adulte. Cependant, bien que dans la langue adulte sa fréquence par rapport aux autres sonantes est de 44%, elle est de 59% dans les formes cibles de Marilyn. La dissymétrie inverse est observée pour /l/. La liquide /l/ est ainsi plus fréquente dans la langue adulte que dans les formes cibles tentées par Marilyn (31% pour la langue adulte, et 19% chez Marilyn).

(174) Fréquences des sonantes cibles en finale de mot
  /m/ /n/ /l/ /ʁ/
Marilyn 12% 12% 19% 59%
Langue adulte 9% 16% 31% 44%

Les fréquences des liquides tentées par Marilyn sont en opposition avec le calendrier d’acquisition observé. Ainsi, les comportements des sonantes au cours du temps présentés par les graphiques en (175) pour les nasales et en (176) pour les liquides, montrent que /ʁ/ n’est toujours pas acquis à la fin de la période étudiée alors qu’il est, comme illustré en (174), très fréquemment tenté par Marilyn. La liquide /l/, quant à elle, est acquise à la fin de la période étudiée bien que moins fréquente dans le parler de Marilyn.

Les consonnes qui ont été produites redupliquées (ex : même [mɛm] → [mɛmm]) ont été considérées comme réalisées. Pour les consonnes nasales, les sessions ont été regroupées deux par deux afin de présenter plus d’occurrences pour chaque âge.

Dans les graphiques en (175) ci-après, on constate que les nasales /m/ et /n/ sont acquises durant la même période, c'est-à-dire entre 2;04 et 2;05. Cette acquisition s’effectue donc de manière soudaine, à l’intérieur d’un intervalle d’un mois. Pour /m/, la relative augmentation de sa substitution en 2;06 est due à une seule expression produite 19 fois : comme ça [kɔmsa] → [kɔnsa]. La substitution est donc effectuée par une consonne nasale alvéolaire. On peut émettre l’hypothèse de l’influence d’un processus d’homorganicité très présent dans les langues du monde et ayant pour base un corrélat phonétique, la consonne nasale partageant alors le lieu d’articulation de l’occlusive qui suit. Cette expression apparaît, sous cette forme, pour les premières fois, à cet âge, et sa production est instable, le /m/ en finale de mot étant soit réalisé, soit substitué par la nasale /n/.

(175) Comportements des consonnes nasales /m/ et /n/ en finale de mot

En ce qui concerne les liquides, les graphiques en (176) nous permettent de constater que leur comportement de /l/ correspond à celui des nasales contrairement à celui de /ʁ/. Ainsi, l’acquisition de /l/ se fait de manière soudaine, comme pour les nasales, et est acquise à partir de 2;04. Le /ʁ/, quant à lui, n’est toujours pas acquis à la fin de la période étudiée.

(176) Comportement des liquides en finale de mot

Enfin, si on observe les données concernant les liquides en position de coda en milieu de mot, comme par exemple dans le mot palmier [palmje], on constate que le corpus comporte moins de /l/ que de /ʁ/ : 45 occurrences de /l/ et 268 occurrences de /ʁ/. On constate également une acquisition de l’approximante latérale /l/ dans cette position à partir de 2;07, ce qui correspond également à l’âge d’acquisition des fricatives alvéolaires dans cette position (voir section 3.3). Quant à la rhotique /ʁ/, elle n’est toujours pas acquise à la fin de la période étudiée puisque 264/268 occurrences sont élidées dont 36/36 lors de la dernière session considérée dans cette étude.

Pour conclure, on peut distinguer, pour les sonantes, trois comportements distincts correspondant chacun à une classe naturelle.

Dans la prochaine section, je reprendrai en les synthétisant les différents comportements des consonnes en finale de mot.