4.2. Interactions entre obstruantes et nasales

Dans cette section, j’analyse les interactions entre obstruantes et nasales dans les mots de type CVC. Suivant la logique de présentation adoptée dans la section précédente, je ne reviens pas sur les harmonies de lieu d’articulation discutées en section . Je résume, dans le tableau (234), le comportement des séquences [Obs…Nas] et [Nas…Obs].

(234) Comportements des mots CVC [Obs…Nas] et [Nas…Obs]

On constate que dans le cas des mots [Obs…Nas], la nasale finale est élidée. Toutefois, cette observation est limitée aux occlusives, le corpus ne comportant pas d’occurrence possédant la séquence [Fric…Nas]. On peut malgré tout généraliser ce comportement à l’ensemble des fricatives. En effet, cette élision de la nasale est due principalement au fait que la grammaire de Marilyn ne permette pas encore de rime branchante en production, une telle structure étant nécessaire à la réalisation des sonantes dans ces positions (voir discussion de cette hypothèse en section ). En ce qui concerne la séquence [Nas…Obs], les occlusives et les fricatives sont élidées en finale. Pourtant, comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, les obstruantes peuvent être produites en finale de mot. Comme nous le verrons plus en détail ci-après, cette élision est en partie gouvernée par la contrainte Acc(mode). En effet, comme les consonnes des formes produites doivent toutes posséder le même mode d’articulation, deux solutions sont possibles. Marilyn peut produire pour ce type de séquence soit des mots composés uniquement d’obstruantes, soit des mots composés uniquement de nasales. J’analyse le fait que Marilyn produise la séquence [Nas…Obs] en conservant la nasale mais en élidant l’obstruante comme le reflet d’une contrainte de préservation du trait de nasalité dominante, combinée à la contrainte *Cplx(rime) qui empêche l’apparition de sonantes en finale (voir section ).

Dans le tableau (235), je présente d’abord l’analyse des mots [Obs…Nas] exemplifiée avec le mot donne [dɔn]. 44

(235) évaluation des mots du type [Obs…Nas]

Comme on peut le constater, Acc(mode) bloque la production de mots contenant deux modes d’articulation différents, comme en (235a). *Cplx(rime), quant à elle, empêche la réalisation des nasales en finale de mot comme en (235b,d). Le fait que chaque segment de l’output doive contenir le même trait de nasalité que son correspondant dans l’input et inversement, lequel est encodé formellement par la contrainte Ident(nas), permet d’éliminer le candidat (235g). En effet, ce candidat présente le trait [+nasal] en attaque, alors que dans l’input ce trait est spécifié comme [nas]. Le candidat optimal est donc le candidat (235e), même s’il enfreint la contrainte Max(seg). Cet exemple permet d’établir le fait que Ident(nas) domine Max(seg).

Dans le tableau (236), je présente l’analyse du cas des mots [Nas…Obs] avec l’exemple du mot neige [nɛʒ]. Une nouvelle contrainte est introduite dans ce tableau. Il s’agit de la contrainte MaxTête(seg) qui prohibe l’élision d’un segment en position de tête.

(236) Evaluation des mots du type [Nas…Obs]

Comme on peut le constater, une harmonie des traits [nas] et [+cont], qui substituerait la nasale par une fricative pour satisfaire Acc(mode), est bloquée par la contrainte Ident(nas), ce qui explique l’élimination du candidat (236c). Pour satisfaire la contrainte Acc(mode), deux stratégies sont encore possibles, soit une combinaison d’harmonies des traits [+nas] et [cont], qui transformerait la fricative en nasale, soit l’élision. La première de ces stratégies est bloquée par le fait que Marilyn ne puisse pas encore produire de rimes branchantes dans lesquelles elle syllabe les sonantes, ce qui explique l’élimination du candidat (236b) par exemple. Dans le cas de la stratégie de l’élision, le fait que la préservation du segment en tête soit requise par MaxTête(Seg) conduit à l’élimination du candidat (236e) et à la sélection du candidat (236g), qui est donc le candidat optimal.

Pour résumer, la contrainte Acc(mode) proposée dans la section précédente pour formaliser les harmonies de mode entre occlusives et fricatives permet également, en combinaison avec d’autres contraintes comme *Cplx(rime), de rendre compte des élisions constatées pour les mots contenant une obstruante et une nasale. Cette constatation fournit un argument supplémentaire au sujet de la motivation articulatoire de cette contrainte chez Marilyn. Les contraintes articulatoires sont ainsi très présentes chez Marilyn puisque *Seqling vue en section et *[Fric vue en section en sont également. Je reprends une dernière fois la hiérarchie des contraintes établies jusqu’ici en incorporant les deux nouvelles contraintes utilisées dans cette section : Ident(nas) et MaxTête(seg). N’ayant pu établir une relation de dominance entre ces deux contraintes, elles partagent le même ordonnancement en (237).

(237) Etablissement de la hiérarchie globale des contraintes

Dans la prochaine section, j’aborderai le problème de la troncation dans les mots de type CVCV comportants deux consonnes dont le mode d’articulation diffère.

Notes
44.

Durant la période étudiée, il n’existe que deux exemples de mot CVC commençant par une coronale et se terminant par une nasale labiale. Ces deux exemples sont contradictoires, l’un présentant une harmonie labiale, l’autre non. Du fait du peu d’exemples du corpus et de leur contradiction, leur analyse serait spéculative.