5.3. Fréquences et fricatives

Afin de vérifier qu’il n’existe pas, comme pour les occlusives, d’influence de la fréquence des fricatives dans la langue adulte sur la fréquence des fricatives dans le parler de l’enfant, j’applique une méthode identique à celle utilisée dans la section précédente. Je calcule ainsi le τ de Kendall entre ces différentes fréquences (246).

(246) Comparaison entre la fréquence des fricatives dans la langue adulte et celle de Marilyn à différentes périodes (corpus entier, partie 1 et partie 2)

Bien que sur l’ensemble du corpus un lien puisse être établi entre la fréquence de la langue adulte et la fréquence des fricatives tentées par Marilyn (p = 0,028 < α), on retrouve à nouveau deux périodes distinctes, tout comme pour les occlusives : une première période (partie 1) où le lien qui pourrait exister entre les deux types de fréquences n’est pas statistiquement significatif (p = 0,136 > α) et une seconde période (partie 2) où ce lien est très significatif (p = 0,0083 < α). Ce résultat confirme ce que nous avons vu pour les occlusives dans la section précédente.

L’explication proposée est la même que pour les occlusives : l’accroissement du lexique au cours du développement, le lexique devant atteindre une taille critique avant de pouvoir refléter les fréquences de la langue adulte. Comme pour les occlusives, une des conséquences de ce résultat est que, la fréquence des fricatives de la langue adulte étant différente de celle de Marilyn pendant la période 1.10;17 à 2.2;29, elle ne devrait pas influencer l’ordre d’acquisition des fricatives par Marilyn. Par contre, on ne peut pas encore estimer l’influence de la fréquence des fricatives tentées par Marilyn sur leur ordre d’acquisition. En effet, seules deux fricatives sont acquises à la fin de la période étudiée comme montré en chapitre 3 section . On peut toutefois logiquement penser que, comme pour les occlusives, cette influence sera faible ou nulle.

En ce qui concerne le facteur articulatoire, il est difficile de trancher entre la difficulté du lieu d’articulation et le voisement pour les fricatives, contrairement à ce que nous avons vu pour les occlusives. En effet, pour les fricatives, l’acquisition du lieu d’articulation se révèle complexe car, contrairement aux occlusives, les fricatives coronales sont aux nombres de quatre pour deux lieux d’articulations différents : alvéolaire et post-alvéolaire. La proximité de ces deux lieux d’articulation, situation qui n’existe pas pour les occlusives du français, rend plus difficile l’acquisition du contraste entre ces deux positions. Nous avons donc comme difficultés articulatoires, d’une part les lieux d’articulation proches pour les coronales et le problème du contrôle du voisement pour les fricatives en général. Je suis donc dans l’incapacité de proposer une hiérarchie de difficulté croissante pour ces deux difficultés particulières. Ces deux difficultés articulatoires sont cependant reflétées par les données de Marilyn. Ainsi, comme nous l’avons vu en section et du chapitre 3, une grande partie des fricatives post-alvéolaire voisées (/ʒ/) substituées en fin de période étudiée, le sont par des fricatives alvéolaires non voisées (/s/), et ce que ce soit en attaque de syllabe accentuée ou en finale de mot. Ce type de substitution illustre bien qu’à la fois le voisement et la précision du lieu d’articulation posent problème à Marilyn, problème qui n’est toujours pas résolu à la fin de la période étudiée. On peut noter toutefois que, contrairement aux occlusives, aucune fricative voisée n’est acquise à la fin de la période étudiée. Cette observation vient renforcer l’influence articulatoire dans l’acquisition du trait de voisement. En effet, cela confirme la prédiction établie au chapitre 2 section sur le fait que le voisement est articulatoirement plus difficile pour les fricatives que pour les occlusives. On retrouve donc cette même tendance dans les données de Marilyn.