Introduction

Les recherches réalisées dans cette thèse s’inscrivent dans la lignée des travaux récents en Pyschologie Cognitive qui portent sur la relation entre émotion et compréhension de textes. L’objectif principal est d’approfondir nos connaissances sur l’influence des informations connotées émotionnellement sur la représentation textuelle que le lecteur est amené à mettre en place.

Comprendre un texte suppose la mise en place d’une représentation mentale qui doit être cohérente. Cette cohérence est déterminée d’une part par la façon dont les informations véhiculées par le texte sont connectées entre elles et, d’autres part, par l’intégration de trois niveaux de représentation que sont le niveau de surface, le niveau sémantique et le modèle de situation (Kintsch & van Dijk, 1978).

Le premier chapitre a ainsi pour objectif de décrire précisémment comment s’élabore cette représentation mentale cohérente notamment à travers une description précise des trois niveaux de représentation. Nous montrons également la nécessité de prendre en considération l’importance de l’information dans le processus de compréhension et de mémorisation (Denhière, 1984). Lors du traitement, les informations rencontrées sont hiérarchisées en fonction de leur importance relative. Une information importante est plus efficacement traitée, conservée et récupérée (Kintsch & Keenan, 1973 ; Martins, 1982, 1984, 1993; Rossi & Bert Erboul, 1991; Tapiero, 1992). Cette structure en cours d’élaboration peut être enrichie par l’intervention des connaissances personnelles du lecteur. Comprendre un texte inclut alors la construction d’un modèle de la situation évoquée par le texte. A ce stade, les inférences sont nécessaires car elles permettent de connecter les événements entre eux. Deux positions théoriques s’opposent quant aux mécanismes qui interviennent dans leur mise en place, la position minimaliste avec McKoon et Ratcliff (1992) qui considèrent que la construction de la cohérence globale n’est pas nécessaire et la position constructiviste de Singer, Graesser et Trabasso (1994) qui, au contraire, supposent que le lecteur cherche à construire une représentation globale cohérente. Ainsi, la représentation est modifiée chaque fois que le lecteur comprend de nouvelles informations et ceci nécessite une mise à jour constante de la représentation en cours. Le modèle de Construction-Intégration de Kintsch (1988) et le modèle de van den Broek, Risden, Fletcher, & Thurlow (1996) permettent de décrire l’intervention des connaissances du lecteur dans l’élaboration et la mise à jour des informations.

Le deuxième chapitre s’intérèsse, quant à lui, plus particulièrement à la dimension émotion constitutive de la représentation et présente les principaux modèles de la compréhension de textes qui intègrent l’émotion (van Dijk & Kintsch, 1983; Kneepkens & Zwann, 1994; Gernsbacher, 1990; Zwaan, Langston & Graesser, 1995). Certains travaux ont montré que les lecteurs sont capables de se représenter les états émotionnels des personnages (Gernsbacher, Goldsmith & Robertson, 1992), qu’ils activent des connaissances à propos des émotions durant la compréhension de textes et qu’il s’agit d’un composant automatique du processus de lecture (Gernsbacher, Hallada & Robertson, 1992). Les lecteurs mettent également à jour les émotions du personnage en fonction des différentes évolutions qu’il peut y avoir dans le texte (de Vega, Leon & Diaz, 1996). D’autres travaux révèlent que les émotions peuvent être dérivées de composants textuels comme la valence émotionnelle des mots (Syssau & Brouillet, 1996; Guéraud & Tapiero, 2001; Legros, 1988, 1989), ou l’intensité émotionnelle en lien avec l’importance de l’information (Martins, 1982 ; 1984, 1993). Il est également possible de produire une émotion chez le lecteur bien avant le traitement du texte. Des méthodes peuvent être utilisées pour induire l’individu dans un état émotionnel spécifique de manière à orienter son approche du texte (Bower, Gilligan et Monteiro, 1981; Perrig & Perrig, 1988; Peeck, 1994). Bower (1981) a même été plus loin et a démontré un effet de congruence émotionnelle. L’état émotionnel active des concepts en mémoire qui sont congruents émotionnellement, ce qui aurait pour effet de guider le processus d’encodage de l’information.

En référence à l’ensemble de ces travaux, cette thèse a ainsi pour objectif d’apporter des arguments expérimentaux quant à l’influence de l’émotion sur la mise en place d’une représentation cohérente à travers la présentation de quatre expériences principales.

L’émotion y est étudiée en ciblant sur l’étude des caractéristiques des textes « naturels », issus d’articles journalistiques qui permettent d’appréhender de manière beaucoup plus « écologique » les mécanismes cognitifs impliqués en lecture et en compréhension.

L’objectif de la première expérience est de s’intéresser à l’influence de la valence émotionnelle des informations en lien avec l’importance de l’information sur la compréhension à travers une épreuve de reconnaissance. Nous utilisons un texte naturel portant sur le naufrage du pétrolier Erika au large des côtes atlantiques en 1999. Nous voulons également obtenir un effet de congruence émotionnelle (Bower, 1981) en induisant un état émotionnel positif et négatif par l’utilisation d’images chez le lecteur.

L’apport de la seconde expérience par rapport à la première est de prendre appui sur les travaux de Martins (1982 ; 1985 ; 1993) et de manipuler la connotation macrostructurale (positive ou négative) de l’information en gardant la thématique du naufrage du pétrolier Erika. De plus, la force émotionnelle des concepts (Legros, 1989) est manipulée afin de voir si des informations fortement connotées émotionnellement sont plus facilement intégrées par les individus. Nous utilisons cette fois-ci une épreuve inférentielle afin d’étudier le modèle de situation élaboré en tenant compte du décours temporel de la représentation.

La troisième expérience étudie à nouveau l’effet d’une macrostructure positive en comparaison d’une macrostructure négative sur le décours temporel de la représentation à travers une épreuve de reconnaissance. Cependant, nous avons choisi d’utiliser une thématique différente portant sur les « Courses en solitaire».

Enfin, la dernière expérience s’intéresse à l’influence de la force émotionnelle des concepts à partir de la thématique sur les « Courses en solitaire» grâce à une épreuve inférentielle.