Depuis que la Chine s’est engagée dans une économie de marché, elle est entrée dans un système où la consommation est devenue – point central de toutes les économies de cette nature – la clé de la rentabilité, voire de la survie des entreprises. Aujourd’hui, en Chine, il faut « vendre pour vivre ». Ce qui peut sembler évident et banal dans les autres pays est une nouveauté en Chine, une nouveauté lourde de conséquences : la Chine a découvert le consommateur et sa relative liberté de choix, du moins dans la sphère économique. Il faut d’ailleurs relativiser cette donnée, car si environ 250 millions de Chinois ont un niveau de vie semblable à celui des Européens, des Américains ou des Japonais, et sont donc des consommateurs au sens moderne du terme, il reste presque un milliard de Chinois qui ne sont pas encore entrés dans ce système . L’espace public s’est ouvert à l’économie de marché, à la concurrence, à la consommation, aux consommateurs et à l’activité publicitaire pour séduire, susciter le désir de tel ou tel produit et lui donner l’évidence d’une nécessité, bref pour inciter à la consommation et transformer la Chine en une classique société de consommation.
Mais comment vend-on en Chine ? Sur quels ressorts s’appuie la communication publicitaire ? Pour mieux comprendre le problème, nous avons entrepris une analyse comparative d’un corpus de publicités françaises et d’un corpus de publicités chinoises. Notre projet dans ce travail est de cerner quelques-unes des spécificités chinoises et françaises de la publicité et, pour plagier un slogan bien connu en Chine, essayer de voir comment fonctionne « un système, deux cultures ».
Dans ce travail, nous avons restreint notre champ d’étude à la publicité par affichage et dans la presse écrite, négligeant les autres médias : la télévision, la radiodiffusion et Internet. Nous avons accumulé plus de mille publicités françaises et chinoises couvrant environ une cinquantaine d’années et c’est de ce corpus, clos en 2006, que nous avons extrait ce qui nous semblait le plus significatif pour construire notre analyse.
Notre travail se fonde sur trois hypothèses principales et trois questionnements :
Le média publicitaire repose sur des savoirs partagés relatifs à l’histoire, aux traditions, aux images d’un groupe culturel donné. Si le message en mots ou en images reste un des outils majeurs de la publicité, il n’est pas pour autant, loin de là, le seul élément de la « boîte à outils » de la publicité. On y trouve des savoirs populaires, des évidences partagées, des chansons, des contes, des dictons et proverbes, des images de l’histoire, mais aussi, éventuellement, des savoirs plus « savants », relatifs à la vie politique, aux arts, aux médias. Quel rôle joue donc la culture dans la communication publicitaire ?
Dans le processus de mondialisation en cours, les frontières deviennent chaque jour plus poreuses : la rencontre de cultures différentes est maintenant fréquente, que ce soit dans les activités économiques ou dans les activités culturelles et sociales. Mais, ce qu’on pourrait appeler l’interculturalisation du monde ne va pas conduire nécessairement à une homogénéisation des sociétés et des cultures. Celles-ci, confrontées à de nouvelles formes sociétales peuvent garder ou reprendre leur identité avec leurs propres atouts culturels dans des stratégies nouvelles. En face de l’interculturel, comment sont représentés les éléments de l’identité culturelle dans des publicités dans les cas français et chinois ?
Comme élément de la vie quotidienne, la publicité s’étend à tous les domaines des activités sociales, comme le commerce, la politique, l’éducation, etc. Ainsi, la publicité appuie de grandes causes d’intérêt public, en faveur de la santé, de la réduction des dépenses énergétiques, de la protection de notre environnement…Dans ces conditions, quelle place la publicité occupe-t-elle dans les pratiques sociales ? Sa valeur de communication en ce domaine est-elle reconnue en France et en Chine ?
La publicité à la recherche du désir
La simple observation de notre environnement et notre cadre de vie montre que la publicité appelée en France, au début du siècle, « la réclame » a envahi l’espace social, surtout l’espace urbain. La publicité colore nos paysages, transforme nos vies, influence nos comportements.
Selon Valérie Abad et Isabelle Compiègne « au XVIIe siècle, c’est un terme de la langue juridique qui désigne tout ce qui est rendu public. Au XIXe siècle, […] c’est une action destinée à faire connaître un produit et à le faire vendre. […] langage et publicité, La publicité est un phénomène socio-culturel. Elle a une fonction d’innovation car elle propose des modèles culturels. Mais elle renforce aussi un certain conformisme en étant le reflet des normes et stéréotypes de la société dans laquelle elle se déploie.» 1 Dans le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences de l’Information et de la Communication, Bernard Lamizet et Ahmed Silem ont défini la publicité comme une « activité de communication par laquelle un acteur économique, social ou politique (l’annonceur) se fait connaître, fait connaître sa marque, ou fait connaître ses activités et ses produits au grand public par la médiation de discours, d’images, de toutes formes de représentations, le faisant apparaître sous un jour propre à faire adhérer le destinataire – grand public, lecteurs ou usagers, etc. » 2 Nous considérons que la publicité, au-delà de la seule opération de marketing, repose sur la recherche du désir supposé de l’autre et sur sa mise en éveil. Tandis que la communication, en général, consiste dans l’identification spéculaire de l’autre au sujet de l’énonciation, la communication publicitaire consiste, en particulier, dans l’identification spéculaire du lecteur au sujet de désir représenté par le discours publicitaire. Il ne s’agit donc pas seulement d’une communication, mais d’une communication qui instaure du désir, qui institue une norme sociale du désir.
L’usage d’un produit ou la pratique d’une activité dans l’espace social ne se limite pas à un achat ni à une simple consommation. L’usage social comporte aussi une dimension symbolique, sur laquelle repose la satisfaction de notre subjectivité. Cette dimension symbolique de nos pratiques sociales s’inscrit aussi dans des déplacements métaphoriques 3 et dans des glissements de sens qui donnent à l’objet ou à l’activité une logique différente d’expression.
Tout au long de notre travail, nous allons remarquer que la publicité ne se limite pas au commerce. Elle ne parle pas seulement du produit et de l’économie ; elle peut présenter ou commenter une situation dans laquelle le public peut se reconnaître et communiquer dans le partage d’une même éthique ou d’une esthétique reconnue comme norme sociale. Nous pouvons donc dire que la publicité, support de communication, peut s’inscrire dans trois logiques : prescrire, séduire, et faire rêver. Sur ces trois points, elle a changé au cours des dernières années. Aujourd’hui, elle nous séduit souvent plus par l’humour et/ou la beauté des images que par le sérieux. Et enfin, elle ne nous fait pas rêver de la même manière parce que nos rêves ont changé.
En parcourant les définitions passées et actuelles, savantes et populaires, nous découvrons qu’elles ont toutes un caractère commun : la communication. Mais nous nous posons une question : comment s’organise la communication publicitaire dans la vie sociale ?
Le problème actuel du marché contemporain en général, et maintenant du marché chinois (du moins en partie) n’est plus de satisfaire uniquement des besoins matériels de base mais de susciter du désir, afin, de susciter dans un même mouvement l’envie du consommateur et de le satisfaire. Mais parce que l’acte d’achat est quand même une décision réfléchie, la publicité doit aussi convaincre par des arguments rationnels ou par des arguments qu’elle doit faire apparaître comme tels.
Valérie Abad, Isabelle Compiègne, Langage et publicité, Bréal, 1992, p.83.
Bernard Lamizet et Ahmed Silem, Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 461.
5 Rappelons ici que le terme « métaphore » vient d’un terme grec, « metaphorè », qui signifie « déplacement ». On peut lire, en Grèce, le mot « metaphorai » sur les camions de déménagement.