La communication publicitaire : une double logique

D’une part, la publicité se situe dans l’espace public, elle repose sur la confrontation des marques et elle fonde leur identité sur leur antagonisme, et d’autre part. D’autre part, elle encourage à des activités sociales dont elle est une représentation sublimée, et de ce fait, elle met en scène des activités et des pratiques sociales mises en œuvre par des personnages auxquels nous sommes censés nous identifier symboliquement.

De plus, le propre de la communication publicitaire est d’être à la fois dans une rhétorique de la séduction et dans une rhétorique de la prescription. Dans la rhétorique de la séduction, elle cherche à susciter le désir du lecteur en vue de lui faire adopter une pratique sociale. Dans la rhétorique de la prescription, elle cherche à établir une identité sociale du lecteur, en vue de le faire adhérer à une culture ou à lui faire adopter un ensemble de normes.

Il importera donc, dans notre travail de faire apparaître cette double orientation rhétorique de la publicité, cette double logique d’interprétation de la communication publicitaire, et de le faire dans la déclinaison française et dans la déclinaison chinoise. Certes, la publicité nous place dans une double posture, à la fois en situation de désir et en situation de sujet de sociabilité. Mais le « désir » chinois est-il identique au « désir » français ? La séduction use-t-elle des mêmes stratégies en France et en Chine et, enfin, le système dit de prescription est-il semblable dans les deux pays ? Il ne suffit pas, pour nous, de répondre par la négative ces trois questions, encore faut-il faire l’analyse culturelle et/ou historique de ces différences. Il est des différences simples à saisir : ainsi, la publicité Citroën mettant en scène la passation des pouvoirs entre François Mitterrand et Jacques Chirac serait impossible en Chine où la loi interdit de faire figurer un homme d’Etat dans une publicité commerciale. Cette loi étant dans le droit fil, comme nous le verrons, de la tradition chinoise de la représentation publique ou de la non représentation du pouvoir. Il est aussi des différences bien plus complexes qui mettent en jeu les ressorts culturels les plus profonds des deux pays : pour comprendre une image publicitaire, il faut maîtriser les pré-requis culturels partagés par les membres d’une communauté.

La culture, dans la communication publicitaire, joue un quadruple rôle : elle fournit la plupart des thèmes de la publicité, elle instaure les normes de la communication, elle instaure aussi les modèles sociaux et les normes des pratiques sociales ; enfin, elle institue les identités des acteurs.

En général, les slogans publicitaires insistent sur cette rhétorique : « si vous achetez tel produit, vous serez comme une star à votre tour, c’est-à-dire quelqu’un que l’on regarde et que l’on admire. » Le discours met l’accent sur la subjectivité, elle transforme la représentation de l’objet en objet soi-même. La publicité est une sorte de stade de miroir qui teste notre compétence cognitive.La relation entre vendre et acheter ne met pas accent sur la possession de tel produit, mais sur l’existence du consommateur. Au sujet de la relation entre la publicité et l’individu, c’est-à-dire entre la publicité et « je », se développe tout un jeu d’influence. La publicité cherche à créer de l’harmonie en moi par la modification de la réalité. Sous son influence, comme entraîné par le courant, l’individu commence à réorganiser les choses en soi, à réorganiser ses idées, à unifier ses perceptions, dans une campagne publicitaire, tout l’art est de « me faire reconnaître », soit que « je suis en manque », soit que « je suis démodé et de me persuader que je dois changer la réalité où je suis ». Nous montrerons au cours de ce travail que ce problème du « je » ne peut pas se poser de la même manière en France et en Chine. En France, comme dans tout l’Occident, l’individualisme a droit de cité, mieux, l’individu peut se penser comme un individu sans se couper de sa société. En Chine, la situation est totalement différente : le « moi » est bien plus groupal que réellement individuel. Même dans l’évolution récente des nouvelles couches sociales chinoises, la prégnance du groupe (famille, collègues, voisins, etc.) est fondamentale dans la vie et la « face » 4 de chaque sujet. Nous verrons qu’une publicité fondée sur la mise en valeur de l’individu consommateur ne peut pas user de la même stratégie en France et en Chine, quant à la définition implicite du sujet, de l’individu.

Dans la publicité « Alfa 147 Milano Elle roule, vous défilez », la voiture est à la fois un moyen de transport, mais aussi (et surtout) un élément de prestige, le témoignage de la prospérité, de la position sociale. « L’image de soi dans le regard d’autrui est centrale dans cette prise de conscience. » 5 Le consommateur attend de son entourage qu’on lui dise qu’il suit la voie royale du prestige social. Cette publicité peut être lue et comprise par un public français et un public chinois, du moins dans sa signification de base ; ce qui sera différent, c’est l’écho que des notions comme le prestige, la prospérité, la fierté aura dans les deux cultures. Nous montrerons en quoi ces échos, que l’on peut appeler culturels, conditionnent l’élaboration des publicités : la voiture roule sur la route et son propriétaire défile sur la scène sociale … française ou chinoise.

Dans les deux cas, le cas chinois comme le cas français, la publicité se caractérise par le fait qu’elle met en œuvre une médiation qui associe communication et consommation, qui articule, dans la médiation mise en œuvre, l’activité symbolique, par laquelle le sujet institue une identité symbolique de sujet de langage et de représentation, et l’activité économique de consommation et d’usages sociaux, soumis à une norme. C’est en se conformant à cette norme que le sujet se donne une identité sociale qui unifie les pratiques singulières en faisant d’elles des pratiques culturelles et construit une homogénéité sociale, fondée sur l’adhésion à un certain nombre d’idéaux exprimés par la publicité et les médias. En ce sens, la communication publicitaire est une médiation qui articule la singularité du désir du sujet et de son activité symbolique à la dimension collective de la norme sociale et institutionnelle qui définit des pratiques sociales de consommation et d’usage des biens produits qui font l’objet d’un commerce dans l’espace public. Notre travail tentera de montrer que sur cette base, les deux cultures mettent en scène d’autres histoires, d’autres recours, d’autres valeurs de la norme et du collectif en usant chacune de leurs pré-requis culturels.

La communication est au cœur de la société. Depuis les années quarante du siècle dernier, divers modèles d’analyse de la communication ont été élaborés, discutés, corrigés. Si le modèle de Jakobson reste fondateur (émetteur, récepteur, message, canal, code et référent), il pêche par sa linéarité et une forme de statisme. Avec Norbert Wiener 6 , la prise en compte de la relation entre l’émetteur et le destinataire est mieux assuré et permet de rompre avec la linéarité du modèle en introduisant la rétroaction afin de saisir comment la réaction du destinataire exerce une influence sur le comportement de l’émetteur.

Pour réaliser la compréhension réciproque entre l’émetteur et le destinataire, il est nécessaire d’avoir un code commun. C’est-à-dire que le partage d’un code est la condition essentielle à l’établissement de la communication. Dans nos sociétés modernes, la communication, largement prise en charge par les médias, s’insère quotidiennement dans les activités sociales et exerce une influence immédiate et forte sur les individus avec une proposition de nouvelles pensées, de nouvelles idées, d’attitudes, de styles de vie, de modèles comportementaux, etc.

Notes
4.

La « face » est une des clefs les plus importantes de la compréhension du monde chinois. 面 (miàn) « face » couvre le territoire de la réalisation sociale. La « face » définit la réputation sociale du sujet. Elle s’acquiert par la réussite mais aussi par la mise en scène de soi.

5.

Edmond Marc Lioiansky, Identité et communication, Paris, P.U.F., 1992, p.246.

6.

Norbert Wiener (1894 -1964), mathématicien américain, fondateur de la cybernétique.