Conclusion

L’histoire de la marque devait ainsi être complétée par l’histoire des marques. Si l’on compare la série Banania et la série Grand Lapin, on trouve un dénominateur commun : l’image est au sein d’un contexte socio-culturel et accompagne l’évolution de la société en l’exprimant. Banania est né dans le champ culturel français, dont il exprime une des époques. Grand Lapin ne peut être né qu’en Chine, parce que la légende concernant la lune fait partie de la culture traditionnelle chinoise.

Toutefois, remarquons une spécificité propre à l’évolution chinoise : Grand Lapin existe depuis une quarantaine d’années. Pendant ce temps, la Chine a connu des changements profonds du point de vue politique, économique et culturel. La Chine est passée d’une économie planifiée à une économie de marché. Pendant la période de la planification, les producteurs n’avaient pas besoin de trouver leurs acheteurs, c’est l’Etat qui les désignait pour lui car les produits étaient rares, et les consommateurs n’avaient pas la liberté de choisir. Dans ces conditions économiques, la publicité n’avait aucune valeur pour la communication : il n’y avait donc pas en Chine de publicité commerciale et on ne voyait dans les médias que les propagandes politiques. En revanche, dans la nouvelle économie, la compétition entre les marques et les produits bat son plein et la publicité se doit de motiver les consommateurs pour qu’ils achètent un produit déterminé. On passe du lapin sage et traditionnel à un lapin dans la compétition qui s’exprime aussi bien en chinois qu’en anglais, ce qui est considéré comme un signe de modernité.

Après notre analyse de la marque « Banania », nous avons remarqué que dans des journaux français, une nouvelle discussion est apparue pour traiter du problème de la colonisation. La référence au passé colonial gêne toujours. Aujourd’hui, sous la pression d’un collectif de Réunionnais, Antillais, Guyanais qui avait porté plainte, la marque a définitivement enlevé certains motifs. Pour fêter cette suppression, « Charlie Hebdo » a publié le 8 février 2006 le dessin « J’ai toujours dit que c’était dégueulasse ! ». Par ailleurs, le président de la société propriétaire de Banania a dit comprendre « l’émotion » suscitée par ces publicités « colonialistes », car pour lui, un slogan ne doit pas humilier une partie de la population. Il doit par ailleurs évoluer avec le temps.

Ici nous n’avons peut-être pas à commenter cette discussion pour savoir si elle est correcte ou incorrecte, mais il faut que nous mettions en évidence le fait que la publicité évolue sans cesse avec le développement social. La publicité est aussi un indicateur qui représente la société aussi bien dans le domaine de l’économie des biens matériels que dans le domaine des identités psychologiques. Comme le dit Andrea. Semprinidans son livre « La Marque » : « On demande aux marques commerciales un effort plus profond et plus complexe. Il s’agit de resémantiser l’univers de la consommation dans sa globalité, de redonner un sens et une valeur à l’acte même de consommer, de savoir montrer aux individus que consommer peut être autre chose que le simple achat de produit dont on a besoin ou le renouvellement d’équipements en fin de course. » 33

L’évolution et les transformations des marques, dans le marché et dans la communication publicitaire, s’inscrivent dans des dynamiques parallèles aux dynamiques qui structurent l’évolution des pratiques sociales. En l’occurrence, l’évolution de la marque « Banania » comporte un élément permanent, ce qui fonde la marque, le nom propre et l’image du tirailleur, mais ces éléments permanents se trouvent confrontés, dans l’histoire, aux évolutions politiques et culturelles de la société, en l’occurrence la colonisation, puis la décolonisation.

Les modifications des formes d’expression de l’identité des marques s’inscrivent dans ce que l’on peut appeler une mémoire de la marque, qui définit un « temps long » de la marque, fait constitutif de son identité. C’est parce que les marques ont, ainsi, un « temps long », articulé aux temps courts de leurs transformations et de leurs usages, qu’elles constituent pleinement des identités dans l’espace public ; l’articulation entre temps long et temps court est, ainsi, l’un des éléments structurants du concept d’identité.

La publicité peut se définir comme l’espace public d’expression des marques et comme l’espace symbolique d’institution des marques comme identités. La publicité est, finalement, pour revenir à l’étymologie du terme, ce qui rend publiques les marques : ce qui donne aux produits et aux pratiques sociales l’existence symbolique exprimée par les marques.

Notes
33.

Andrea Semprini, La marque, une puissance fragile Paris, Vuibert, 2005, p.32.