Contes et romans témoignent de la manière dont la littérature rend compte des représentations collectives : l’avènement du roman comme du conte moral témoigne des liens qui unissent le social et l’intime. Nous présentons ici, dans une acception large, des exemples dans lesquels une œuvre est confisquée au profit d’un message tiers. L'œuvre n'y est pas montrée pour elle-même mais pour convaincre le public de l’excellence d’un produit.
Le Crédit Mutuel
Le Crédit Mutuel a lancé, en septembre 2003, une série d’affiches se référant à quatre des contes de Charles Perrault les plus connus en France : La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet, Le Petit Chaperon rouge et Cendrillon.
La première image rappelle qu’une Princesse, la plus belle du monde, qui devait dormir cent ans dans un château couvert de ronces, est réveillée par le fils d’un Roi, à qui elle semblait destinée. « Est-ce vous, mon prince ? Lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre. Le prince charmé de ses paroles répond qu’il l’aime plus que lui-même. » Tout le palais s’est alors réveillé avec la Princesse, et la vie a recommencé comme avant.
La Belle au bois dormant, devenue figure de la culture populaire, est utilisée comme une métaphore de l’épargne populaire que propose le Crédit Mutuel. Le sommeil de la princesse a duré 100 ans. Puis, elle s’est éveillée : le principe de l’épargne inclut, par définition, la notion de temps, temps au bout duquel, l’épargne s’éveille, c'est-à-dire est à nouveau disponible. Au bout de cent ans, la jeune fille n’a pas vieilli ; toujours jeune et belle, le temps n’a pas eu de prise sur elle. Elle a en quelque sorte capitalisé sa jeunesse. Comme elle, les fonds épargnés échappent aux aléas du temps et de l’économie : ils sont, non seulement disponibles, mais intacts comme au moment du dépôt.
La deuxième image évoque le conte du « Petit Poucet ». L’épargne, c’est la confiance dans la vie ; c’est le pari qu’elle sera toujours là quand on en aura besoin. Elle trace donc un chemin du passé où l’argent a été déposé vers l’avenir qu’elle assurera. Elle est semblable aux cailloux, semés par le Petit Poucet, pour lui permettre de retrouver sa maison. Ici, chaque caillou représente évidemment un des dépôts successifs, principe de l’épargne populaire.
Par ailleurs, tout lecteur de l’image qui connaît bien le conte sait que la stratégie du Petit Poucet lui a permis, ainsi qu’à ses frères d’échapper à l’ogre. Celui-ci est peut être ici une métaphore des risques de l’existence, des aléas de la vie, desquels l’épargnant pourra en quelque sorte échapper.
La troisième image se réfère au « petit Chaperon rouge ». L’image montre le Petit Chaperon Rouge portant un sac (ce n’est pas un panier ici) d’où dépasse la fameuse galette. Le loup, comme dompté, accompagne l’héroïne au lieu de la « croquer », il joue plutôt un rôle protecteur. En mettant la galette en scène, le publicitaire joue sur le double sens du mot : en langage familier, galette, on le sait, désigne l’argent (il a de la galette, as-tu de la galette ?). La jeune fille a donc de l’argent qui brille dans son sac. Quant au petit pot de beurre que l’on ne voit pas ici, mais auquel songe obligatoirement le lecteur, il renvoie aussi à l’expression populaire de l’épargne : on fait son beurre en gagnant de l’argent.
Enfin, la dernière image évoque « Cendrillon » mais avec de notables différences : 1) C’est Cendrillon qui tient la baguette magique et non pas sa marraine la fée ; 2) elle est dans une voiture de luxe (modernisation du carrosse) avec deux citrouilles, alors que dans le conte, il n’y a qu’une citrouille qui se transforme en carrosse. Les citrouilles peuvent représenter les placements qui vont fructifieret se transformer en biens matériels censés assurer le bonheur représenté par la voiture de sport. Autrement dit, notre belle jeune fille gère elle-même sa fortune par l’intermédiaire de « sa » baguette magique, c'est-à-dire de son épargne.
Ces publicités font revivre pour lepublic ces contes dont les éléments symboliques font partie de la trame et de la chaîne du tissu culturel français. « Les publicités se structurent comme d’autres formes d’art, empruntant les conventions de la littérature et de l’art pour communiquer leurs messages. » 35 Le publicitaire, comme le conteur, communique avec des codes culturels de référence, et les lecteurs, comme cibles, se prennent au jeu en s’identifiant simplement aux personnes des contes.
一碗就过岗 (Jeep 4700/Jeep 4000)
[yi wan jiu guo gang]
Un bol /passer/colline
Traduction : Franchir une colline avec seulement un bol d’alcool.
Cette publicité fait des emprunts au roman intitulé «Au bord de l’eau », compilé et unifié par Shi Nai’an au XIVe siècle à partir de contes de la littérature orale.
Dans la région qu’habitait Wu Song, un des cent huit héros du roman, les gens n’osaient pas sortir le soir, parce qu’un tigre y avait déjà fait de nombreuses victimes.
Un jour, Wu Song boit trois bols d’alcool dans une auberge, franchit une colline, rencontre le tigre et le tue à mains nues. C’est pour cette raison qu’on le nomme le « héros tueur de tigre ».
Le rédactionnel de cette publicité « Franchir une colline avec seulement un bol d’alcool » veut démontrer que la Jeep 4700/Jeep 4000 36 est plus forte que Wu Song qui, lui a eu besoin de trois bols d’alcool !
Dans le logotype, le mot Jeep est surmonté de caractères chinois (豪气顿生 / hao qi dun sheng) qui évoquent le dynamisme vital propre à la conception chinoise classique de la vie, intégrant héroïsme et souffle cosmique. Cette publicité vante la faible consommation d’essence de la Jeep qui de surcroît nous rend plus forts.
Nous remarquons que le sens de l’œuvre ne se réduit jamais aux significations littérales. Tout homme possède la faculté de le saisir et de l’intégrer dans son expérience personnelle sans avoir recours à une technique particulière de compréhension. En Chine comme en France, un certain nombre d’ouvrages sont devenus des référents culturels. Bien souvent l’identité de leurs auteurs passe au second plan dans la mémoire collective au profit d’un caractère mythique de certains textes (ou d’éléments de texte) devenus quasiment légendaires et qui, malgré le fait que, comme tout texte littéraire, ils soient datés, nourrissent la culture en étant constamment « adaptés » et actualisés : ainsi, « Au bord de l’eau » et les contes de Perrault (écrits et publiés au 17e siècle) sont des adaptations et des réércitures de contes appartenant aux anciens fonds populaires français et chinois. Ils n’ont pas d’âge, ils sont dans la permanence, devenus des « textes de mémoire » pour reprendre l’idée chère à Pierre Nora, des « lieux de mémoire ».
Michael Solomon, Comportement du consommateur, Paris, Pearson Education, 2005, p.258.
Jeep 4700 / Jeep 4000
Equipement de Jeep 4000 : Quadra-Trac II
Boîte de vitesses automatique assistée par ordinateur. Selon les besoins, contrôle du fonctionnement des 4 roues ;
Importé par le fabriquant, moteur six cylindres muni d’une nouvelle conception et d’une boîte de transfert Quadra-Trace 4x4 permanent
Suspension Tridra-Trac II TM
Dispositif de climatisation à infrarouge maintenant une température constante
Sièges en cuir réglables électriquement 8 positions
Système de sécurité anti-vol (avec clé)
4 « airbags » de sécurité
4 roues motrices contrôlées par ordinateur