II.2. La chanson populaire

Les chansons font partie du paysage culturel. Certaines d’entre elles sont entrées dans la mémoire collective par transmission orale (parfois au fil de nombreuses générations). D’autres, dans la période moderne, sont devenues des chansons populaires grâce au disque et à la radio et à la télévision. Bien entendu, ces chansons connues de tous, sont utilisées de manière stratégique par les publicitaires. Envoici deux exemples :

N’oublie pas mon petit soulier (Nocibé)

Cette publicité est diffusée avant Noël pour Nocibé, distributeur de parfums. Toute l’image évoque la Fête de Noël : le rouge du Père Noël, l’air joyeux du mannequin/jolie femme, sa tenue de fête – son soulier doré à haut talon qui, au-delà de la référence à celui de la chanson, évoque la pantoufle merveilleuse de Cendrillon grâce à laquelle la pauvre enfant deviendra princesse. Le rédactionnel est dans le même esprit: « N’oublie pas mon petit soulier » est une phrase extraite de la célèbre chanson de Tino Rossi « Petit Papa Noël », devenu une véritable rengaine de Noël. Elle fait ressortir à la fois la fête et le thème de la publicité.

Mettre des cadeaux dans les souliers la nuit de Noël est une tradition française (différente de celle d’autres pays comme les Etats-Unis où l’on met des cadeaux dans les chaussettes).

Le texte de la chanson replonge les consommateurs dans leur enfance, bien que cette publicité vise les adultes : ils attendent impatiemment les cadeaux du Père Noël. La formule : « Petit papa Noël » est censée stimuler les consommateurs masculins : c’est l’homme qui joue ici le rôle de « papa Noël ».

On pourrait aussi voir un second niveau de signification dans cette publicité, un écho à la formule « standard », véritable syntagme figé : « n’oublie pas mon petit cadeau » qu’utilisent, selon la tradition, les prostituées pour se faire payer. La publicité jouerait alors sur un registre supplémentaire : celui du droit qu’offre le cadeau sur celle à qui on l’offre. La chanson est utilisée à double sens et la jolie femme attend son cadeau comme une enfant, mais aussi comme une femme. La publicité vise l’acheteur masculin en lui faisant endosser le rôle fantasmatique de « papa Noël ». La femme est réduite au rôle de « femme enfant ».

一条大河 ( 曾经 ) 波浪宽 ……
(Publicité d’intérêt public destinée à la protection de la rivière de Huai He)
[yi tiao da he (ceng jing) bo liang kuan]
(Une grande rivière qui « avait » des flots importants…)

Ces mots sont extraits de la chanson d’un film contant l’histoire de la Guerre de Corée, présentée par la propagande comme une guerre de résistance à l’agression américaine. La première phrase évoque une grande rivière aux flots impétueux et la deuxième évoque les parfums du riz répandus sur les rives... Il ne s’agit pas d’une simple chanson, mais d’un texte de propagande valorisant « la guerre de résistance » en Corée (la Guerre de Corée est encore présentée ainsi en Chine.) Cette chanson avait pour but d’encourager des milliers de Chinois à participer à la guerre. Aujourd’hui, elle est utilisée pour donner aux Chinois un regain d’ardeur patriotique.

Cette publicité utilise la chanson pour promouvoir l’idée de la sauvegarde de la rivière de Huai He afin que nous la léguions à nos descendants « avec ses flots impétueux » telle que nous l’avons reçue.

Nous devons tout de suite agir pour sauver cette rivière polluée, pour que nos enfants puissent chanter cette chanson sans en parler au passé, et parce que nous devons protéger notre patrie: pour queles parfums du riz se répandent toujours comme avant sur les bords de la rivière.

L’émotion esthétique dans le champ de la musique est liée à la mise en œuvre d’une représentation collective de l’appartenance. Elle relève toujours elle-même, d’une logique de médiation. Elle s’inscrit aussi bien dans la participation à un événement collectif que dans la perception singulière des formes et des sons de la représentation. Dans la première publicité, « Petit Papa Noël » éveille la mémoire, et dans la seconde, «Une grande rivière qui « avait » des flots importants… » suscite chez les habitants la prise de conscience de la nécessaire protection de l’environnement.