III.1.2. La variation du signe linguistique en chinoise

Les caractères chinois sont caractéristiques de la culture Han (environ 98% de la population chinoise sont Han). Ils se sont transformés à partir de dessins en unensemble de traits et ont donné des signes de forme carrée, appelés couramment caractères chinois et plus scientifiquement sinogrammes. L’écriture chinoise 42 retient essentiellement l’aspectgraphique, en éliminant progressivement au cours de son évolution toute ressemblance figurative ; par conséquent, l’écriture chinoise n’est pas seulement pictographique. Elle est constituée également d’idéogrammes (associant deux dessins pour définir une idée : un homme avec un arbre figure le repos 休xiu), de caractères abstraits (上shang haut et 下xia bas) et d’idéophonogrammes (un élément du caractère donne l’idée et l’autre la prononciation : 蚊/wen/moustique se prononce 文wen, 虫ce qui donne l’idée du battement des ailes d’un insecte).

Exemples  de pictogrammes :

Nous voyons clairement que l’écriture chinoise est venue d’une expression de la nature (dans la pensée chinoise, il n’y a pas de solution de continuité entre la culture et la nature. L’homme n’est pas dans la nature, il fait partie de la nature. Ainsi, les essieux qui ne sont que du bois transformé font partie de la nature. A l’origine, l’écriture chinoise était composée de signes et d’images stylisées de la réalité, puis ces signes se sont transformés en caractères qui expriment une unité de base déjà porteuse de sens. Cette spécificité du caractère qui est vécu comme naturel bien plus que comme culturel s’est développée à partir des dessins obtenus par le feu sur les carapaces de tortue ou sur les omoplates de bovidés, dessins conçus comme « naturels » et porteur de sens (divination). On passe du dessin au caractère tout en gardant cette idée de « naturel » porteur de sens. En Chine, le caractère est saisi comme un élément de nature parmi d’autres. Pour qualifier le caractère chinois, on utilise souvent l’expression « Une fleur, un monde ».

La structure et la forme originaire des caractères chinois fournissent de nombreuses informations sur la culture, les us et coutumes et les modes de vie des Chinois. Prenons l’exemple du caractère «取» (prendre). La partie gauche signifie l’oreille « 耳 », tandis que la partie droite signifie la main « 手 ». Ce caractère nous rappelle que dans les guerres d’antan, les vainqueurs coupaient l’oreille gauche des adversaires tués pour montrer leurs prouesses militaires. Si on ajoute «女» (femme) au dessous, le sens du caractère devient « 娶 » (qu) épouser une femme. On voit que chaque partie d’un caractère chinois possède un sens et que l’ensemble de ces parties rassemblées exprime les usages de la vie dans la société ancienne.

La fonction symbolique de la publicité chinoise se construit à partir de notions qui permettent de mettre en œuvre des codes spéciaux unifiant l’intelligibilité, la rationalité, la sensibilité et l’imaginaire dans la communication. Pour les Chinois, la forme de pensée dépend de la forme et de la structure du caractère qui évoque le monde. C’est sous cette forme qu’existent les systèmes idéologiques et les signes symboliques. C’est cette intelligence qui crée dans la prolongation de la culture « la grammaire » de la pensée et un « code » symbolique spécial.Nous allons analyser deux publicités de style respectivement abstrait et concret pour voir de près comment le publicitaire chinois se sert dans la communication descomposantes des caractères.

(Publicité pour le thé de Longjing)

L’image est construite en deux parties : la partie supérieure présente le caractère品/pin/goûter, composé de trois 口/kou/ bouches, et trois bols à thé figurent au bas de l’affiche. Entre les deux éléments un texte :

‘请品一品龙井茶
qing pin yi pin long jing cha
je vous en prie/je vous invite/goûter/ thé Long jing
« goûtez, s’il vous plaît, un thé Long jing!» 43

品/pin est un caractère composé associatif réunissant trois bouches. Dans le Jiaguwen 44 , le mot pin désigne également une forme d’ustensile. Une expression chinoise dans 说文解字 « Shuo wen jie zi» 45 s’écrit 三人为众,故从三口/san ren wei zhong, gu cong san kou /trois personnes en groupe sont considérées comme trois bouches.

Le caractère 品/pin qui évoque un groupe d’objets, est en correspondance parfaite avec les trois bols qui font penser à plusieurs personnes réunies pour boire du thé. 品/pin a un caractère pictographique et idéogrammatique à la fois. Cela nous rappelle qu’en France on parle de groupes d’humains (famille, peuple, etc.) comme « de bouches à nourrir ». En Chine, la même acception existe.

(publicité chinoise pour IKEA)
[yi]
(Embellir)

IKEA, multinationale d’origine suédoise, vend des meubles sur le marché chinois. Pour mieux s’y adapter, elle s’efforce de chercher à correspondre aux usages des les besoins des consommateurs chinois en représentant l’image d’objets courants pour attirer l’attention du public.

En effet, le mot Yi se compose de trois parties idéographiques : la partie supérieure a la forme d’un toit, la partie centrale représente une étagère et la troisième, celle du bas, se compose d’un trait épais qui symbolise le sol d’une maison. Les deux parties noires, en haut et en bas, se font écho en suggérant la forme de la maison. L’intérieur de la maison est obligatoirement équipé de meubles, cela correspond précisément à la forme du caractère.

Dans cette publicité, les clés et le placard sont les signifiants, et la maison et la famille sont les signifiés. L’objectif est donc clair : nous donner envie de meubler la maison avec des produits IKEA. Le concept d’embellissement 宜/yi est souligné par le sceau situé à la droite du toit, qui a la forme d’un petit cercle contenant le caractère 家/jia signifiant la famille.

Le mot chinois se caractérise par la combinaison de ces clés et des parties phonétiques. Un caractère a une fonction polysémique. Ainsi, on peut découvrir ou percevoir le monde selon la structure des caractères. Si on veut détailler les potentialités de sens de chaque caractère chinois, les dictionnaires et les livres canoniques n’y suffisent pas.

La publicité chinoise exploite d’autres spécificités de la langue comme, par exemple, le spécificatif.

Notes
42.

Née il y a 3 500 ans, l’écriture chinoise est la seule écriture aussi ancienne à être encore en usage aujourd’hui. Les premières traces de l’écriture chinoise sont des oracles gravés sur des pierres ou des carapaces de tortues. Au fil des siècles, l’écriture chinoise se fixe peu à peu autour de pictogrammes et d’idéogrammes complexes. Au début, il existe de très nombreuses variantes pour un même idéogramme, mais Shi Huangdi, premier empereur de la dynastie Qin, décide vers 215 avant J.-C. d’unifier l’écriture des caractères. Il existe aujourd’hui 50 000 caractères chinois différents (dont plus de 3 000 d’usage courant) et, malgré la complexité de leur langue, plus de 85 % des Chinois savent lire et écrire.

43.

Nom d’un des thés les plus fameux de Chine dont le nom signifie « puits du dragon ».

44.

Le Jiaguwen fit son apparition sous les Shang (XVIe siècle-1066 av. J.-C.). Comme dans toutes les sociétés paysannes, les Shang pratiquèrent la divination au sujet des récoltes, du climat, de la guerre et de la chasse…Un trou était foré dans une carapace de tortue ou sur un os animal avant de la soumettre sur un feu doux. Cette technique provoquait des fissures de surface formant des dessins qui étaient interprétés. Bien qu’il soit proche de la gravure, le jiaguwen est déjà une écriture relativement élaborée.

45.

Un ouvrage classique décrivant les origines des caractères chinois.