III.2.2. L’écriture et la graphie dans la publicité chinoise

海/hai/ Mer (Publicité d’intérêt public- raz de marée)

Cette image est construite en deux parties : 氵« les trois gouttes d’eaux » et la répétition du caractère 每/mei/chaque-individu. Le slogan énonce 面对海啸 让每个人的心海不再孤单/

mian dui hai xiao rang mei ge ren de xin hai bu zai gu dan/Face au raz de marée, ne faisons plus de cœur de chacun seul, s’inscrit sur la banderole rouge.

Cette publicité est apparue après le raz de marée de fin 2004 en Asie du sud-est. Trois gouttes d’eau et le caractère 每 composent un caractère complexe海/hai/ Mer : la partie gauche réalisée en calligraphie représente les eaux tumultueuses, l’autre partie du caractère 每, à droite, est remplacée par l’icône du cœur.

La publicité utilise le prétexte de la catastrophe du raz de marée pour prôner la solidarité. Elle joue sur le caractère qui suscite chez le lecteur une impression et un ressenti proches de ce que le bandeau inférieur indique. Le caractère 每, répété à l’infini et modifié par l’introduction de l’icône du cœur provoque une ambiance visuelle que vient confirmer le texte.

Toutefois, cette publicité marque aussi le niveau d’occidentalisation existant en Chine. En effet, le symbole du cœur n’est pas chinois (les Chinois se symbolisent pas le cœur par une image plus ou moins anatomique mais par un caractère, le caractère 心) : on se trouve devant une icône européenne récemment « mondialisée ».

必理痛
(Publicité pour le médicament contre le rhume)
[bi li tong]
Nécessité absolu/résoudre/douleur-souffrance
Traduction : chasser sûrement la douleur et la souffrance

Cette publicité en noir et blanc a obtenu un prix pour le graphisme des caractères.

A première vue, on ne comprend pas ce que le publicitaire exprime, mais quand on étudie minutieusement des silhouettes de deux couleurs, on remarque que des mots sont cachés dans l’image.

Ce sont :

任由鼻塞堵塞生活點解唔去買定必理痛慯風感冒 ? 47

[ren you bi sai du se sheng huo dian jie wu qu mai ding bi li tong shang feng gan mao]

Traduction libre : Pourquoi laisses-tu ton nez bouché au lieu d’aller acheter 必理痛/bi li tong/chasser sûrement la douleur ?

Dans la publicité chinoise, l’usage du noir et blanc pour les médicaments contre le rhume n’est pas nouveau : il existe depuis des années un médicament 白加黑/bai jia hei / « Blanc et Noir » (le jour on prend le cachet blanc et la nuit le cachet noir) qui a bien réussi sur le marché. Or, cette publicité joue d’une part sur ces deux couleurs les plus simples et contrastées et d’autre part sur le style de 黑体字/hei ti zi/caractère du style hei ti. L’attention est attirée par l’union d’une forme esthétique et d’un sens médical : les formes en gras dominantes suggèrent l’obstruction du nez.

Dans cette publicité, trois significations sont bien montrées dans cet enchevêtrement :

La première signification de cet enchevêtrement est, sans doute, la mise en œuvre d’un jeu, comparable à des jeux graphiques ou à des « rébus » : il y a une temporalité du jeu, qui définit un certain usage de la publicité. Le temps de « jouer » est un temps que l’on consacre à la découverte et à la mémorisation de la publicité et de la norme, de la consigne, dont elle est porteuse.

La seconde signification, intéressante, est, sans doute, l’inscription de la publicité dans une culture ludique, dans une culture du jeu graphique. La publicité est, ici, présentée sous la forme d’un jeu, ce qui l’inscrit dans une forme de communication particulière, qui, à la fois, va impliquer le lecteur davantage en suscitant, chez lui, le plaisir du jeu, et va donner à la norme un caractère ludique qui va faciliter son appropriation et sa reconnaissance dans la communication.

Enfin, la troisième signification de cette figure de l’enchevêtrement dans la publicité a la définition d’un espace propre du jeu. La publicité vient instituer un espace de communication et de lisibilité séparé du reste des formes de la communication par la figure même de l’enchevêtrement. La figure de l’enchevêtrement clôt la publicité, elle constitue une forme de clôture qui isole la communication et fait d’elle un espace à part dans le champ de la sociabilité (espace urbain s’il s’agit d’une affiche murale ou espace du média s’il s’agit d’une publicité relevée dans les médias).

Le principe d’imprégnation du consommateur est simple : pendant tout le temps où l’on étudie le rébus publicitaire pour le comprendre, le message est mémorisé.

La calligraphie

En Chine, on ne peut pas parler de la calligraphie sans parler de la peinture même, car ce sont deux composantes essentielles de la culture qui sait pleinement articulées l’une à l’autre. La calligraphie et la peinture émanent de la même source et il existe des liens étroits entre ces deux arts jumeaux. Dès l’antiquité, les bons peintres furent aussi de bons calligraphes et la calligraphie remonte aux origines de l’histoire du pays. A partir du 10e siècle, des lettrés cherchèrent à exceller dans ces deux arts plastiques fondés sur une esthétique commune et sur les mêmes techniques de base, et ayant l’un et l’autre, le pinceau et l’encre comme moyens de création. Les Chinois écrivaient avec un pinceau fait d’un faisceau de poils fixé à l’extrémité d’un manche en bambou ou en bois. Trempé de plus ou moins d’encre, le pinceau peut donner un caractère ou une image grâce à la variation de geste du poignet de l’opérateur. Il faut plusieurs années d’exercice pour savoir manier le pinceau avec adresse. Lorsqu’ils apprennent à lire, les Chinois commencent à tracer des caractères selon les modèles d’écriture des grands calligraphes. Cet apprentissage dure une dizaine d’années. La plupart des calligraphes de la Chine ancienne étaient des lettrés ayant reçu une formation classique : ils connaissent la poésie, la peinture, la musique, la danse, l’histoire et la philosophie.

La calligraphie est étroitement liée aux activités de la vie courante, aux relations sociales, à l’étiquette, à l’habitation et à toutes les pratiques sociales. On demande aux calligraphes, entre autres, d’écrire des dédicaces sur papier ou des caractères à graver sur des tablettes (en style classique et cursif). Ainsi, les commerçants chinois croyant qu’une enseigne tracée de la main d’un calligraphe renommé leur apportera la prospérité, n’hésitent pas à dépenser de fortes sommes pour se procurer une telle enseigne. A l’approche du Nouvel An chinois, la famille a coutume de coller de chaque côté de la porte d’entrée des « sentences parallèles » écrites sur papier rouge pour souhaiter une heureuse année. Les œuvres des grands calligraphes sont donc considérées comme des « trésors ». Tout Chinois est fier d’en posséder une, et ne manque pas de l’accrocher dans son cabinet de travail ou de la conserver pour la montrer à ses amis. Jadis, une belle écriture était un tremplin pour réussir dans une carrière officielle, une condition préalable pour les candidats qui se présentaient aux examens impériaux.

Pour les Chinois, les exercices calligraphiques constituent une façon de nourrir l’esprit et de l’exercer. Dans une œuvre traditionnelle chinoise, on voit souvent que la calligraphie, la peinture et la poésie ainsi que les sceaux se complètent si bien qu’ils forment un ensemble harmonieux à la fois pour le regard et pour la signification.

Aujourd’hui, la calligraphie est souvent pratiquée comme une distraction, une sorte de loisir de l’esprit. Quand on fait une promenade au parc, on voit souvent des Chinois équipés d’un seau ou d’un pot d’eau, pratiquer la calligraphie sur le sol cimenté, pour le plaisir, avec un grand pinceau spécial. Cela constitue un nouveau « paysage » pittoresque dans l’aspect urbain. Le recours à la calligraphie inscrit la publicité chinoise dans la tradition de la culture, elle s’enracine, en quelque sorte, dans un passé culturel qui fait de la publicité une activité culturelle pleinement légitime. Il y a, sans doute, dans ce recours à la calligraphie, le projet culturel et idéologique de faire reconnaître à la publicité la légitimité d’une ancienne tradition culturelle.

Cette nouvelle pratique de la calligraphie n’a évidemment pas échappé aux publicitaires chinois. La calligraphie est depuis longtemps une stratégie chinoise de la publicité, comme le montrent les deux exemples que nous analysons ci-dessous :

中国人寿保险 (Publicité pour la Compagnie chinoise d’Assurances sur la Vie)
(zhong guo ren shou bao xian)
(Assurance chinoise sur la vie)

Notre première réaction devant cette image est l’admiration, comme devant un tableau calligraphique. Un tableau classique est composé généralement de l’attaque du signe, de son corps essentiel, de la signature et du sceau de l’auteur.

Le publicitaire a composé une affiche très expressive grâce aux éléments suivants :

  • Le pictogramme

Comme nous le savons, la complexité des caractères chinois vient de ce que chaque élément qui le compose possède un sens. Le chinois se caractérise par l’association de ces clés et des parties pictographiques.

Si nous analysons le caractère chinois /bao/assurance, nous constatons qu’il se compose de trois éléments: à gauche, la forme/ren/homme, en haute à droite, /kou/ population, mais aussi bouche à nourrir, au-dessous, le signe attendu /mu/bois a été remplacé par la forme d’un tripode 48 symbole de stabilité et sécurité. Ainsi, le signe/bao/assurance évoque la confiance qu’on peut avoir dans cette société.

  • La valeur du mot 鼎/ding/tripode dans le proverbe

A l’intérieur du sceau, on peut lire le proverbe suivant : 一言九鼎/ yiyan jiuding/la promesse est solide comme neuf tripodes issu de la légende des neuf trépieds 49 qui remonte à la dynastie mythique des Xia (2207 – 1766 ou 1558 avant J.-C). Il met en lumière une solidité et une stabilité tant matérielles que spirituelles comparables à celle d’un grand trépied.

La fonction expressive de la publicité est donc assurée à la fois par le signifiant (la calligraphie) et par un signifié connu de tous dans la culture chinoise (le sens du proverbe).

  • La signification générale du sceau :

En Chine, une peinture ou calligraphie sans l’empreinte d’un sceau à la fin du tableau est considérée comme une œuvre incomplète. Le sceau donne également à l’œuvre de l’authenticité et de la valeur. La couleur rouge atteste la responsabilité et la suprématie de la compagnie d’assurances En effet, dans l’antiquité, c’est l’empereur qui avait le sceau rouge qu’on pouvait apposer sur les documents impériaux.

La compagnie d’assurances joue sur cette symbolique et cette histoire pour se donner une autorité enracinée encore aujourd’hui dans l’esprit chinois.

  • L’opposition entre le clair et le foncé :

La couleur 险/xian/claire obtenue par la légèreté du trait, représente la faiblesse, la fragilité, tandis que la couleur foncée, qui représente 保/bao/assurance est obtenue par un trait épais. La signification de ce contraste entre le clair et le foncé est encore renforcée par la proximité des deux caractères de sens opposé. Le contraste dans l’intensité des couleurs constitue donc une autre stratégie sensible de la communication de cette publicité.

En utilisant l’image et la signification du tripode, le publicitaire combine intelligemment le nom de la compagnie d’assurances et la tradition chinoise. Cette image publicitaire « parle d’elle-même » aux Chinois, parce que le tripode et la calligraphie au pinceau sont des représentants vivants de la culture traditionnelle. L’objectif de cette publicité est de donner une image de la compagnie d’assurances sur la vie qui est, comme image du tripode, celle de la solidité et de la longévité.

(Publicité politique pour le retour de l’Ile de Taiwan au sein de la Chine)
[Ren]
(Homme)

Cette affiche gouvernementale représente l’île et ses habitants sous forme calligraphique et poétique, à l’occasion du 9 septembre (d’après le calendrier lunaire), fête de Chong Yang.

En chinois, ce qui signifie l’« l’homme » est le caractère « ren » (人), composé de deux traits seulement. Un rouleau est accroché sur le mur ; le caractère ren (« homme ») et le dessin de l’île ne sont pas dans le même style, ce qui indique qu’il s’agit de la réunion de deux pays différents. Par ailleurs, un poème de Wang Wei, poète de la dynastie Song,intitulé le 9 septembre, se souvient des frères de Shandong, est calligraphié en haut à droite.

独 在 异 乡 为 异 客,

[du zai yi xiang wei yi ke,]

(Seul, étranger sur la terre étrangère,)

每 逢 佳 节 倍 思 亲。]

[mei feng jia jie bei si qin.

(Au jour de fête, comme je pense aux miens! )

遥 知 兄 弟 登 高 处,

[yao zhi xiong di deng gao chu,]

(Je sais que là-haut chacun de mes frères,)

遍 插 茱 萸 少 一 人。

[bian cha zhu yu shao yi ren. ]

(Portant un rameau, de moi se souvient.)

Le titre en couleur rouge situé en haut à droite nous invite à penser aux compatriotes de Taiwan le jour de la Fête du double neuf (le 9ème jour de la 9ème lune) 50 .

Ce qui peut nous frapper dans cette image, c’est le recours à la particularité de la composition du caractère chinois « ren » (人) et la citation d’un poème qui exprime la nostalgie. Dans l’image, les deux traits composant « ren » sont inégaux : le plus grand symbolise le continent, le plus petit l’île de Taiwan. Ils sont complémentaires. Le discours publicitaire poétique nous rappelle qu’à l’occasion de la fête, on pense beaucoup aux membres de la famille restés seuls à l’étranger. En leur absence, la réunion de la famille est impossible. Ils manquent beaucoup à la fête pour la réunification

La composition des signes de cette publicité nous permet de remarquer que c’est uniquement la pictographie du caractère chinois qui peut traduire un sentiment, avec son style métaphorique. Cette publicité nous rappelle que nous ne devons pas oublier une tâche historique que nous portons sur nos épaules – la récupération de cette Ile, et que nous devons faire de grands efforts pour la réunification du pays. Tout comme la calligraphie qui, dans son acte dynamique, entend susciter un mouvement harmonieux de forces.

La calligraphie et la peinture portant le nom de Wu-sheng-shi (« poésie silencieuse ») 51 , elles exaltent la beauté visuelle des idéogrammes. La calligraphie est devenue un art majeur. « En pratiquant cet art, tout Chinois retrouve le rythme de son être profond et entre en communion avec les éléments. A travers les traits signifiants, il se livre tout entier. » 52  En effet, en ce qui concerne la calligraphie, il y a lieu de parler de sens, c’est pourquoi nous disons que la calligraphie occupe, dans la communication dès la naissance de la publicité, une place non négligeable et joue un rôle indéniable.

Notes
47.

点解唔(dian jie wu en mandarin) est un dialecte cantonnais, le sens est « pourquoi pas », on ne fait que la traduction libre sans l’explication mot à mot.

48.

Le tripode « Ding » ou « San jiao ding » destinés aux aliments ou à la boisson joue un grand rôle dans l’histoire classique chinoise. Inventé par l’empereur mythique Huangdi (l’empereur Jaune), il y a plus de cinq mille ans, le « ding » (tripode) a d’abord été un instrument de cuisine en même temps que le symbole du passage de la nature à la culture, mais les « Neuf chaudrons » étaient à l’époque féodale les insignes du pouvoir du souverain, chacun d’eux représentant l’une des neuf provinces chinoises de l’antiquité. Sur chacun de ces neuf trépieds était gravé un grand nombre d’informations : carte géographique, montant de l’impôt, plantes, animaux, oiseaux, contes et légendes propres à chaque pays. Ces Trépieds sont en quelque sorte des urnes dynastiques. Ils étaient utilisés pour les rites sacrificiels. De plus, depuis environ 206 avant Jésus-Christ, il est le symbole du pouvoir impérial.

49.

Da Yu, (Yu le Grand), fondateur de la dynastie réduit le nombre des « pays » chinois de 12 à 9. Il ordonne à chacun des neuf « pays » de fondre un grand tripode de bronze.

50.

La cueillette d’une sorte de plantes aromatiques pour se les mettre dans les cheveux et la consommation d’alcool dans lequel ont macéré des chrysanthèmes sont sans doute des vestiges de rites pour se protéger des influences néfastes. C’est aussi devenu la fête des chrysanthèmes, aussi appelés « fleurs du neuvième mois » : on orne les maisons de chrysanthèmes et on entasse les pots pour former une pyramide. CF. « l’histoire et la civilisation chinoise » de l’université des langues étrangères de Beijing N°2, 2003, p.193.

51.

François Cheng, L’écriture poétique chinoise, Paris, Edition du Seuil, 1996, p.16.

52.

Ibid, p.16.