III.3.1. La rime

Terminant le dernier mot d'un vers qui finit par le même son que le dernier mot d'un autre, la rime est une reprise d’une série de sons marquant la fin d’une séquence rythmique à la fin d’un vers comme style expressif ; elle est le moyen de structuration le plus spécifique du texte poétique, elle est faite fondamentalement pour l’oreille. La rime n’est pas seulement, ou pas toujours, un jeu phonique, elle peut aussi évoquer un sens. Et ce jusque dans sa facture poétique la plus classique. Ainsi, dans un des poèmes à Cassandre, Ronsard écrit au sujet de Cassandre :

L’autre Soleil. Cestui-là de ses yeux

Enlustre, enflamme, enlumine les Cieux

La rime « yeux » et « cieux » n’est pas seulement là pour parler à l’oreille, elle renforce l’idée que les yeux de Cassandre sont les cieux de celui qui aime la jeune femme.

Dans ce cas, on voit bien que la rime a un double effet : son et sens.

En Chine comme en France, la poésie, qu’elle soit écrite ou chantée, tient une place capitale dans la littérature comme dans la culture quotidienne. Certains vers de Verlaine ou de Hugo, poètes du XIXe siècle, vivent encore dans la tête de certains Français (« Les sanglots longs/

Des violons/De l'automne/Blessent mon cœur/D'une langueur/Monotone » de Verlaine ou bien « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne/Je partirai./ Vois-tu, je sais que tu m'attends./J'irai par la forêt, j'irai par la montagne./Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps » de Victor Hugo)., et en Chine, les gens retiennent encore par cœur des vers des poètes Li Bai (701-762) comme 花间一壶酒, 独酌无相亲。举杯邀明月,对影成三人。

(Parmi les fleurs une coupe de vin / Seul je bois, pas un ami. / Levant ma tasse, j'invite la lune claire, /En comptant mon ombre, / nous voilà trois.) et de Du Fu (712-770).

D’autre part, la rime, support de la mémorisation (encore que ce ne soit pas sa fonction première) aide à graver une publicité dans la mémoire, à lui faire dépasser le temps de sa publication pour l’inscrire dans la durée.

Si tu fumes, tu te consumes ! (Publiée par l’Union Professionnelle des Médecins Libéraux de Rhône-Alpes en 2004)

Le rédactionnel joue sur « fumes » et « consumes ». La rime associe les deux termes à l’œil et à l’oreille du lecteur, les rendant ainsi indissociables dans son esprit. Le message est le suivant : en se consumant, la cigarette consume la vie du fumeur. L’action du feu sur la cigarette est transférée sur le fumeur. Cela induit un rapport de cause à effet entre les verbes fumer et se consumer.

Cette formulation rappelle la métaphore courante : « brûler sa vie par les deux bouts » qui existe depuis très longtemps. Cette nouvelle métaphore aide le public à faire le lien entre la cigarette et la mort.

生命悬于一线,平安更需保险
(Publicité pour une assurance sur la vie en Chine)
[sheng ming xuan yu yi xian, ping an geng xu bao xian]
(La vie est suspendue à un fil, il est nécessaire d’avoir la sécurité pour avoir la sérénité.)

  • Premier groupe de caractères :
    • Caractères 1 et 2 : 生命 Vie
    • Caractères 3 et 4 : 悬于 suspendue
    • Caractères 5 et 6 : 一线 fil
  • Deuxième groupe de caractères :
    • Caractères 1 et 2 : 平安 paix
    • Caractères 3 et 4 : 更需 nécessité
    • Caractères 5 et 6 : 保险 sécurité
    • Traduction littérale :
    • Vie / suspendue / fil
    • Paix / nécessité / sécurité

Le rédactionnel, comme dans la publicité française joue sur la rime en [].

sheng ming xuan yu yi xian (一线)

ping an geng xu bao xian (保险)

Les formes en parallèles - vie et sérénité, suspendu et nécessité, fil et sécurité – se renforcent mutuellement par l’intermédiaire de la mise en rime.