III.3.3. La dénégation et le détournement

La dénégation est un mode d'énonciation par lequel un sujet reconnaît un vœu ou une pensée tout en les niant. Selon Freud, la dénégation est un moyen de reconnaître quelque chose de refoulé. Ce n'est pourtant pas l'acceptation du refoulé, car la dénégation reste séparée du « processus affectif » du refoulement. En général, la forme affirmative constitue la condition élémentaire de tout succès publicitaire, tout cela s’explique que notre inconscient n’est pas habitué au langage en forme négative. Pour preuve, nous pouvons rappeler une publicité à notre sens réussie contre le tabac « prenez la vie à pleins poumons » dont l’efficacité est plus certaine que « ne fumez pas », pour la simple raison que la prescription vaut toujours mieux que la proscription.

Nous citerons trois publicités (deux publicités françaises, une chinoise) comme exemple.

« Week-ends paresse et gourmandise »(Publicités pour l’hôtel Campanile)

La première présente toute une famille attendant devant un confessionnal pour pouvoir avouer sa faute : celle d'avoir logé dans un hôtel Campanile confortable et bon marché.

La deuxième publicité montre des patients venant en famille s’allonger sur le divan d’un psychanalyste pour « exorciser » leur culpabilité d’avoir bénéficié des mêmes conditions privilégiées que la famille précédente.

Le rédactionnel de ces deux publicités est identique : « Week-ends Paresse et Gourmandise » chez Campanile où l’on peut éviter l’effort, se détendre et se régaler de plats savoureux. Et tout ça pour seulement 41 euros par jour, ce qui fait que « vous allez vite vous sentir coupables ! »

C’est donc la notion de culpabilité qui est iconiquement mise en avant.

Ces deux images invitent la famille, par la tentation et la séduction, à se laisser aller à la paresse et à la gourmandise et donc à la transgression, source du plaisir dans ce week-end chez Campanile. Au lieu d’être condamnés, chez Campanile, les péchés sont cultivés. La chaîne d’hôtel se présente comme capable «d'assouvir» des désirs interdits. Les images mettent en scène le plaisir d’une double transgression: refuser le péché et rechercher le plaisir. Mieux encore, c’est un péché de ne pas pécher.

0% MOCHE (Publicité pour la Lancia Musa-B colore)

Cette publicité base tout son message sur le thème de la revendication politique. La voiture se trouve au centre de l’image. Dans le registre supérieur, une étoile rouge à cinq branches surmonte le M de Moche. Elle porte un sigle UCM (luttons contre le moche). Dans le registre inférieur, outre les informations concernant le produit, on trouve la phrase suivante : « luttons contre le moche, revendiquons notre droit au beau et exprimons notre envie de design et d’élégance. Militons pour 0% moche et la démocratisation du 100% suréquipé ».

L’étoile rouge est évidemment celle de la révolution (qu’elle soit de mai 68 ou des Brigades Rouges) et les verbes utilisés (dans le sens revendicatif) : lutter, revendiquer, exprimer, militer pourrait être autant d’éléments d’un tract ou d’une banderole révolutionnaire. Enfin le terme « droit » montre bien qu’il s’agit d’une revendication de droits nouveaux, ce que vient renforcer le terme « démocratisation ».

Cette publicité se sert de la dénégation dans un discours qui copie les discours et slogans révolutionnaires. Le progrès offert par cette voiture semble s’inscrire dans un courant de lutte populaire contre le « moche ». Cette idée a été d’ailleurs renforcée par les publicités télévisées pour ce même produit qui montraient une manifestation avec banderoles déroulant les mêmes thèmes. Il est évident que ce parti pris relève d’un traitement humoristique, on dirait d’un message au second degré, qui transforme la revendication des droits en revendications de consommation. Il illustre d’une certaine manière le triomphe affirmé de la société de consommation sur les espérances révolutionnaires : on se bat (si l’on en croit cette publicité) pour des suréquipements automobiles !

这不是胜利
[zhe bu shi sheng li]
Traduction : C’est pas la victoire ! (Publicité d’intérêt public)

Une racine métamorphosée en une main, sur laquelle on ne trouve plus les doigts entiers, il reste seulement deux doigts en forme de « V » signifiant « Victoire », et les autres trois sont cruellement coupés.

L’ironie de cette affiche consiste aux deux doigts restants avec de petits bourgeons qu’on n’a pas encore coupés en montrant avec une effronterie audacieuse sa victoire. Tout cela suscite l’attention de Journal consacrés aux objets luxes de la ville de Shen zhen (zone économique franche à côté de Canton) affiché en bas à droite avec son discours ironique de la dénégation « c’est pas la victoire ! » est écrit en haut à l’angle gauche.

En effet, le gouvernement chinois encourage chaque année le public à reboiser, mais chaque année il reste toujours des arbres abattus sans planification. Bien qu’il y ait des arbres, ils sont pitoyablement là comme des handicapés dans le système écologique. « C’est pas la victoire ! » met largement d’une manière par la dénégation, le préjudice causé par la déforestation à l’environnement. Cette dénégation renforce la prise de conscience du public par rapport à la protection de l’environnement.

Cette forme inscrit chez les lecteurs non seulement une marque mémorielle, mais aussi suscite chez eux de la réflexion. Dans certaines circonstances, la dénégation porte en effet une puissance d’argumentation plus forte que la forme affirmative. Ces trois publicités ont bien utilisé cette technique pour mettre en évident la qualité de la communication.