III.3.5. « Libres chants » 56

Une autre pratique publicitaire de la communication – tout aussi traditionnelle que l’utilisation de la rime, mais plus libre dans le jeu de l’organisation du discours – consiste dans la répétition des mêmes prononciations dans la phrase publicitaire. Cette répétition met en relief le terme, donc l’idée clé de la publicité. On pratique et apprécie la répétition non seulement pour jouer à des jeux linguistiques, mais aussi pour offrir un fil conducteur entre les mots composant le discours afin d’aboutir à l’objectif de la communication publicitaire. Nous interprétons ci-dessous  quelques exemples:

Dans les publicités françaises :

Azzaro, pour les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes.

(Publicité française pour le parfum Azzaro)

Nous remarquons d’abord la construction syntaxique de l’expression reposant sur le ricochet entre les deux relatives qui rythment fortement l’ensemble. Chaque relative utilise le même verbe, seul le complément d’objet change, mais l’allitération en [m] cinq fois contribue à l’unité et à l’harmonie phonétique du slogan.

Un slogan qui chante ainsi à l’oreille est facilement mémorisé.

Renault, des voitures à vivre. (Publicité française pour Renault)

Nous voulons ensuite citer un autre exemple où le jeu phonétique met en valeur sur la consonne [v].

L’allitération en [v] n’est fondée que sur deux termes différents avec trois fois la répétition de la consonne [v], une pour le terme principal « voiture », et deux pour le mot complémentaire « vivre » : la combinaison consonantique des mots en renforce le poids sémantique. Si nous voulons développer notre analyse linguistique, le discours publicitaire « Renault, des voitures à vivre » exprime implicitement la relation existant entre deux signifiants et deux signifiés du slogan : « voiture » désigne un objet et «à vivre» renvoie à une forme de pratique, à un mode social d’existence. Ainsi en arrivons-nous à la conclusion que la répétition d’un certain élément linguistique est l’une des stratégies techniques dans la communication publicitaire.

En français, la communication publicitaire profite de la répétition des termes du discours pour réaliser ces stratégies de communication : le jeu linguistique, stratégie ou technique. Il en est de même en chinois en dépit de sa profonde différence linguistique par rapport au français. En Chine, le jeu linguistique constitue aussi une des stratégies les plus utilisées dans la communication.

Dans les publicités chinoises :

网易,网聚人的力量。(Publicité chinoise pour l’Internet NetEase)

(wang yi, wang ju ren de li liang)

网易, wang yi, NetEase

网聚, ju ren, regrouper

人的, ren de, homme

力量, li liang, force/pouvoir

Traduction littérale : NetEase /regrouper/homme/force

Traduction libre : NetEase a le pouvoir de regrouper les êtres humains

Dans cette publicité, le discours comporte deux morphèmes semblables à la fois  en écriture et en prononciation: « 网 » (wang) vs « 网 » (wang). Cette répétition de ces deux morphèmes représente aussi le jeu linguistique dans la langue chinoise. Le premier morphème est le segment du nom d’un site Internet, le deuxième, le segment d’un verbe.

北京晚报不晚报。(Publicité pour le Soir de Pékin).

(Beijing wanbao bu wanbao.)

Beijing北京 = Pékin

Wanbao晚报 = journal du soir

晚 wan = soir, nuit tard (titre du journal), 报bao = journal

Bu不 = négation, ne pas

Wanbao 晚报  = diffuser tard

晚tard, 报 diffuser/informer

Le premier Wanbao 晚报  journal du soir est un nom, le titre du journal, et le second est un verbe qui veut dire : ne pas retarder les informations.

Traduction littérale : journal du soir/ne pas retarder de diffuser les informations.

Traduction libre : Pékin Soir ne retarde pas les informations.

Cette publicité, – pour le journal « Soir de Pékin » montre une fois de plus le rôle stratégique du jeu linguistique dans la communication publicitaire ; la répétition du même signifiant « 晚报 » (wan bao) en écriture et en prononciation avec plusieurs signifiés. Par ailleurs, il s’agir de publicité par un journal, donc de communication au second degré : 1) « le Soir de Pékin » n’est publié que le soir après quatre heures de l’après-midi ; 2) il donne les nouvelles sans tarder. Ce jeu linguistique articule les deux significations différentes d’une même expression chinoise dans la prononciation comme dans la graphie.

IBM, 不论是一大步,还是一小步,总是带动世界的脚步。

(Publicité chinoise pour le produit IBM)

(IBM, bu lun shi yi da bu, hai shi yi xiao bu, zong shi dai dong shi jie de jiao bu.)

(IBM, qu’il fasse un grand ou un petit pas, il avance toujours au pas du monde.)

Voilà le troisième exemple de publicité chinoise de répétition d’un élément linguistique

En chinois « 步 » [bu] qui équivaut à « un pas » en français traduit une activité physique de l’homme «  marcher ou avancer». Ce discours publicitaire répète trois fois le terme « 步 » (« un pas ») dans différentes structures syntaxiques. Les deux premiers s’opposant l’un à l’autre (« un grand » à « un petit pas ») expriment une alternative, le dernier «le pas »  permet d’interprêter l’ensemble du discours : IBM conduit l’allure du monde (c'est-à-dire son développement). De plus, l’opposition sémantique entre les deux adjectifs « grand » vs « petit » renforce l’idée selon laquelle IBM est toujours un vecteur de progrès.

Les libres chants ne sont pas en désordre, ils s’articulent aisément entre eux. Le slogan ne fonctionne pas uniquement sur les ressources de la répétition. Les libres chants pourraient bien, dans leur construction même, en tant que style expressif, valoriser la marque du produit, parce que ceux-ci jouent un rôle de connecteur étroit entre le produit et le client.

Les assonances et les allitérations sur lesquelles reposent, pour l’essentiel, la musicalité de la langue sont censés intervenir sur l’inconscient du lecteur : ils l’amènent par le plaisir procuré au comportement d’achat souhaité par le vendeur.

Notes
56.

Le terme « Libres chants » est introduit par Blanche Grunig dans son livre « Les mots de la publicité », Presses du CNRS, 1990, p. 197.