Conclusion

Les sentences parallèles et leur forme poétique sont au cœur de la culture chinoise et leurs messages comme la manière dont on les pratique font écho à la mémoire chinoise. Leur histoire, leurs significations originelles et les situations contemporaines de leur usage sont connus de tous, qu’ils en aient conscience ou non.

En Chine, la poésie est une des bases de la culture au quotidien. Tous ceux qui bénéficient d’une formation suffisante lisent couramment de la poésie, suivant en cela la vieille formule : « celui qui peut bien connaître 300 poèmes de la dynastie de Tang est capable de les composer par soi-même » Même les gouvernants sont au comble de la joie et du prestige quand ils peuvent mettre telle ou telle strophes classiques dans leurs discours.

Le propos des sentences parallèles  repose àla fois sur la signification des mots écrits et sur le fait que le lecteur a une attente inconsciente issue de sa matrice culturelle. Le lecteur de sentences parallèles, selon le lieu où elles se trouvent et le moment de leur installation « sait » ce qu’il doit y trouver. Il « sait », selon le contexte que l’éventail des possibles est plus ou moins ouvert et il appréciera une formule qui joint finement la culture classique à la situation. Créer des sentences parallèles est un art, mais les lire, les comprendre et les apprécier en est un aussi.

La fonction des sentences parallèles rend évident leur usage par la publicité. Mais cet élargissement du champ traditionnel les fait quelque peu dévier de la tradition. S’appuyant sur le fait qu’elles sont toujours liées à un voeu de bonheur et/ou de prospérité et santé, les sentences parallèles publicitaires assimilent bonheur, santé, prospérité à l’acquisition d’un produit et/ou d’un service.

Enfin, les sentences parallèles tissent entre elles un réseau aux multiples canaux de communication. Inscrites dans la tradition poétique chinoise, elles usent des techniques sophistiquées de cette poésie et notamment de l’art de relier des situations qui paraissent les plus diverses et les plus éloignées pour mieux lesinterpréter. Selon Confucius, la poésie, en liant des figures et des thèmes en apparence hétérogènes ou éloignés élargit, par transfert associatif, la signification originale, suscite l’émotion, stimule la réflexion et permet l’expression de griefs (entre autres). Comme l’écrivait ZHOU Ji, « le référent s’appar ente alors analogiquement à l’émotion de chacun, de sorte que chaque lecteur voit [ se] refléter dans le poème l’état d’esprit et les disposition s qui lui sont propres. » 62

Ainsi, c’est tout « naturellement » que le publicitaire chinois se sert souvent de la rhétorique poétique pour susciter les désirs les plus profonds et les plus forts des consommateurs. Les discours poétiques et les sentences parallèles ont donc tiré parti d’un langage métaphorique, constitué par le répertoire des figures symboliques chinoises. Ces figures, qui ont cristallisé l’imagination et les désirs chinois durant de longs siècles, gardent aujourd’hui toutes leur efficacité.

Dans la première publicité analysée (Bank of China), les mot飞入/fei ru/se poser sont remplacés par les mots 安居an ju/s’installer, ce qui procure un sentiment de sécurité : changer les caractères donne naissance à une autre figure et un autre ressenti. Dans la partie en sentences parallèles, les formules créent un autre rapport entre les signes et les choses d’une part, et d’autre part, des liens se tissent entre les signes eux-mêmes. Elles nous invitent non seulement à chercher ce qu'elles représentent comme une intention « cachée derrière un texte », mais aussi à considérer le mouvement du sens vers la référence pour donner une perspective d’une référence éminemment ouverte.

Notes
62.

ZHOU Ji, in François Julien, La valeur allusive, Paris, P.U.F., 2003 (1985), p. 216.