Chapitre IV. L’espace dans la rhétorique publicitaire

La publicité par l’affichage est un média dont l’implantation est aussi importante en France qu’en Chine : panneaux en ville ou à la campagne, affiches sur supports lumineux sur les immeubles et les moyens de transport, tels que bus, métros et trains, avions. Le lieu de la communication, le temps d’exposition au public, la quantité de regards possibles, les conditions de visibilité, les attentes supposées de celui qui regarde, sont autant de variantes qui structurent la capacité de capter le regard et de laisser une trace dans le mémoire du public. Toute entreprise ou organisme usant de la publicité exprime son identité selon une architecture précise, distinctive et accueillante pour orienter le public, stimuler l’appétit des consommateurs, déclancher l’impulsion d’achat.

En outre, la publicité de caractère esthétique crée parfois la surprise chez le public par le lieu dans lequel elle se trouve. L’affiche est alors considérée comme un spectacle ou une exposition voire un musée offrant un grand éventail culturel sur la scène sociale. « L’espace est matériau de vie bien avant d’être cadre de vie ou même lieu de repérage, et c’est en tant que tel qu’il est approprié par l’individu qui cristallisera son territoire en le marquant par les objets et par ses actes ». 67 Bernard Lamizet a aussi expliqué dans son livre « Les lieux de la communication » la relation entre le temps et la géographie : « Les lieux nous donnent des points d’ancrage de notre représentation de l’espace : c’est par eux que l’espace accède à notre mémoire, mais aussi que l’espace est descriptible et peut entrer, dès lors, comme référence dont on parle, dans des situations de communication. Les lieux de la mémoire sont les formes qui permettent de parler de l’espace : de l’inscrire dans le champ de la communication. Au-delà la mémoire de l’espace va donner à ceux qui la détiennent une véritable culture : l’espace, objet de savoir, va devenir l’objet d’une culture, assumée en tant que telle par le sujet qui en est porteur. » 68 Dans la société moderne, tout espace peut devenir lieu de communication.

Un des espaces privilégiés de la communication publicitaire est la station de métro en raison de l’affluence du public et de sa disponibilité dans l’attente de la rame ; ses murs sont donc couverts d’affiches parfois de grande taille, renouvelées périodiquement par les annonceurs. Nous nous attachons ici à l’analyse de l’une de ces affiches pour Mercedes AMG, dans le métro parisien.

La photo représente la nouvelle Mercedes AMG encadrée comme un tableau, elle est belle comme un œuvre d’art et semble hors d’atteinte. Même le graffiti représenté la contourne, sans la toucher.

Le texte, en bas à droite, présente la voiture comme un produit sportif, avec des termes techniques sur ses performances. Mais, en même temps, il la présente comme un objet d’art : le rédactionnel figure en bas à droite de l’affiche, elle-même entourée d’un cadre, comme un cartel de musée à côté d’un tableau ; enfin, la présence du graffiti inscrit le produit dans le monde contemporain.

Cette publicité joue sur le contraste entre une voiture de luxe et des tags. Comme on le sait, la RATP lutte contre les dégradations provoquées par les tagueurs qui usent des surfaces publiques pour apposer leurs graphes comme des signatures. Pour eux, il n’existe aucune surface « sacrée » : toute surface est bonne à « tagger ». Or l’image publicitaire montre que le « tagueur » a soigneusement évité de recouvrir la Mercedes de son graffiti, comme si cette voiture représentait justement un espace sacré que l’on ne doit pas souiller. Rien n’est digne de respect, sauf la Mercedes.

Il y a des lieux particuliers définis par un certain nombre de propriétés : des lieux historiques, des lieux ayant des traits esthétiques reconnus, des lieux consacrés à des fonctions sociales spécifiques, telles que les lieux de travail. De plus, il faut distinguer deux sortes d’espace : l’espace dans l’image publicitaire et l’espace où se trouve installé la publicité. Les deux espaces sont régis par la rhétorique publicitaire, mais avec des champs d’application certes liés, mais différents. Notre intérêt portera sur des publicités présentant des paysages urbains ou ruraux pour voir comment les médiations de la communication font de cet espace de représentation un espace effectif de communication.

Notes
67.

Abraham Moles et Elisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, p.8.

68.

Bernard Lamizet, Les lieux de la communication, Liège, Mardaga, 1992, p. 31.