Bien que « LU » et « 798 » connaissent le même type de transformation – de l’usine en centre culturel, il existe néanmoins une différence importante entre les deux processus. Pour « LU », c’est l’administration culturelle de la Région, la DRAC qui a été chargée de cette transformation. Quant à « 798 », ce sont les artistes eux-mêmes qui ont pris en charge cette transformation. Chez « LU », on peut trouver un musée, une librairie, des salles d’exposition…tout cela forme un vrai centre culturel à destination sociale. Chez « 798 », on peut voir des ateliers de peinture, des cafétérias, des restaurants isolés. Tout cela constitue un centre artistique et commercial.
J’ai visité personnellement les deux centres en France et en Chine ; je trouve qu’en France, la transformation de l’usine de biscuits en centre culturel a pour objectif la protection du patrimoine culturel et industriel du pays. Après avoir rationnellement intégré l’ancien site de l’usine « LU » dans la société contemporaine, ce « lieu unique » a été sauvegardé par un grand programme de la Région pour offrir un vaste centre culturel au public. En Chine, sous l’influence de la culture occidentale, des peintres, des groupes d’artistes, des associations, ont mis spontanément l’usine « 798 » en valeur culturelle pour satisfaire aux demandes croissantes de culture des habitants qui ont les moyens de vivre dans une certaine aisance. Par la transformation de l’ancienne usine « 798 », d’une part nous voyons que les Chinois se réveillent graduellement du sommeil profond dans lequel ils étaient plongés depuis longtemps pour rattraper le temps perdu ; d’autre part nous ne devons pas nier le fait que certaines personnes profitent de cet endroit pour réaliser leur rêve de faire fortune, y compris des artistes dont chacun prenait en charge l’aménagement d’une petite unité à ses frais et selon ses goûts. Par sa fréquentation et sa nouveauté culturelle, « 798 » est devenu à Pékin un des lieux préférés des publicitaires, principalement pour les produits culturels comme les annonces de salons, expositions, spectacles.
L’utilisation de l’espace par la publicité (encore l’exemple du petit Palais avec « N° 5 » ou l’exemple des lieux ruraux chinois avec les inscriptions sur les murs) et ce qui concerne son utilisation par les faits culturels, ce qui n’est quand même pas la même chose. L’usage des bâtiments LU ou des bâtiments « 798 » par les activités culturelles fait assurément de la publicité aux établissements qui les possédaient, mais nous sommes quand même dans un autre type d’usage symbolique, puisqu’il ne s’agit plus de faire la publicité de la marque, mais de mettre en œuvre des activités culturelles qui transforment l’espace. Il faut, d’ailleurs, noter au passage que l’appellation « Lieu Unique » à propos du site LU rappelle, justement, les deux lettres du signe, « L » et « U ». Ces deux usages de l’espace dans l’activité symbolique concernent: d’une part l’usage par la publicité commerciale classique, et, d’autre part, l’usage par des pratiques et des activités esthétiques et culturelles.
Après avoir analysé ces corpus, nous relevons quelques points principaux sur l’espace symbolique, l’espace social et l’espace de communication. On fait des sujets de la communication les acteurs d’une stratégie d’appropriation de l’espace. L’espace a une position déterminante dans le champ de la communication sociale. L’affiche peut embellir l’environnement en dépendant du lieu, et le lieu est chargé d’une autre fonction par un support de communication.
Le lieu est un espace de langage dans le sens où les pratiques de l’espace mobilisent un code. Il établit par une référence culturelle une correspondance entre la distance spatiale et la nature de la relation. L’espace social différencié de l’espace naturel est couvert par la marque et par des repères, par lesquels les villageois ou les citadins se l’approprient en l’intégrant à leurs systèmes de représentation. L’espace public n’est pas un espace neutre, ni un cadre vide à remplir de pratiques sociales. L’espace peut être envisagé comme une métaphore du système social, un imaginaire de l’espace, également champs de valeur.
Le lieu de communication constitue une marque qui distingue les différents systèmes sociaux en communication. Le lieu de communication représente l’identité sociale et politique d’un pays, c’est-à-dire que cet espace actualise les procédures, les formes et les rituels de l’exercice du pouvoir. Au sujet de l’espace de la communication, on peut trouver une différence entre les pays qui ont des systèmes politiques et sociaux différents. En France, la publicité commerciale est autorisée à l’affichage au bord de l’avenue des Champs-Élysées ; c’est le cas de la publicité pour les produits Louis Vuitton. Les Champs-Élysées sont le meilleur lieu de communication pour la publicité. En Chine, l’avenue de Chang An à Pékin joue le même rôle significatif que les Champs-élysées en politique, en économie et en société, mais le gouvernement chinois n’y autorise pas l’affichage de la publicité. En réalité, dans les années 80, on y voyait des publicités commerciales, mais au début de ce siècle, le gouvernement chinois y a interdit toutes les publicités afin de renforcer la valeur politique de cette avenue. C’est pourquoi on n’y voit plus d’affiches publicitaires actuellement.
Tout cela explique que l’espace soit un des facteurs importants pour la communication elle même. Après le raz de marée de fin 2004 en Asie du Sud-est (voir le détail de cette publicité dans la partie du code linguistique), nous avons pu voir une affiche publicitaire dans la gare de Dalian en Chine. Elle compose le caractère chinois « la mer ». En chinois, ce mot comporte deux signes pictographiques qui signifient « eau et chacun ». « L’eau » est représentée par trois gouttes et « chacun », par les cœurs d’amour. Nous avons remarqué une réaction très vive du public suscitée d’une part par l’icône publicitaire elle-même, et d’autre part par le lieu lui-même, car la gare est un lieu privilégié où une circulation considérable des passagers renforce l’impact de la communication. Cette même publicité dans un petit village reculé n’aurait pas pu avoir le même impact. Le lieu et la puissance de communication s’influencent mutuellement. L’espace représenté laisse une impression à la fois la perception visuelle et la perception liée au touchant et aux mouvements du corps, la vue apprécie l’espace en fonction de son occupation par un corps humain mobile, et nous insistons aussi sur le fait que regarder une image, c’est entrer en contact dans notre univers quotidien. « L’espace social doit être considéré comme un espace discursif si par discours on ne désigne pas seulement la parole et l’écriture, mais tout autant la liaison des mots aux actions qui leur sont attachées formant ainsi des totalités significatives. » 70
Ercosto Lacau, La guerre des identités, Paris, Edition de la découverte/M.A.U.S.S. p. 10.