En Chine populaire, après l’échec du Grand Bond en avant (1958-1961), qui a provoqué un véritable marasme économique et accéléré la rupture des relations avec l’U.R.S.S. (1960), Mao Zedong a lancé, au cours de l’été de 1966, une « grande révolution culturelle prolétarienne », censée représenter une nouvelle étape de développement dans l’histoire du pays.
La mobilisation de la jeunesse au sein d’unités de Gardes rouges destinées à réprimer les tendances à l’embourgeoisement, la rééducation des intellectuels de droite déportés dans les campagnes, la chasse systématique aux millions d’individus réfractaires au pouvoir du Grand Timonier et à son Petit Livre rouge, sont autant d’éléments qui participent à la mythologie d’un homme nouveau incarnant la pureté révolutionnaire.
La grande révolution culturelle chinoise est montrée comme une guerre populaire opérant le renversement d’une classe par une autre. Elle est représentée comme le prototype d’une révolution opposée à l’impérialisme, à la féodalité et au capitalisme bureaucratique, mise en œuvre au sein d’un processus de restauration et de contre-restauration. Le problème est de changer l’idéologie, ce qui est capital, c’est que la classe ouvrière prenne le pouvoir, et impulse un « bond idéologique » pour conquérir ce pouvoir. Cette Grande Révolution culturelle, qui a commencé en 1966 s’est terminée entre 1976 (mort de Mao) et 1978 (chute de la « bande des quatre »). Elle aura donc duré plus de 10 ans.
Les caractéristiques de la propagande politique de cette époque révolutionnaire se manifestaient évidemment par les affiches comme cette affiche de soutien au comité révolutionnaire de la mairie de Shanghai.
Sur cette affiche de propagande, nous remarquons tout de suite les caractéristiques de la propagande révolutionnaire qui s’appuie bien évidemment sur le « réalisme socialiste ». Cette image a été affichée au moment de l’établissement du comité révolutionnaire de Shanghai après une longue période de confrontation idéologique et d’anarchie.
« Acclamons chaleureusement l’établissement du comité révolutionnaire de la mairie de Shanghai » 72 .
L'image se divise en trois plans : le plan le plus éloigné, occupant la moitié supérieure de l’image, est illuminé par les rayons d’un soleil qui se lève. Ces rayons forment en outre un halo clair autour de la tête du jeune personnage, figuré au premier plan. Ce premier plan montre le buste d’une jeune fille Garde Rouge, les bras haut levés pour manifester son enthousiasme et sa détermination, la bouche ouverte comme si elle était en train de parler pour proclamer l’établissement du comité révolutionnaire de Shanghai.
Le plan moyen propose « une mer rouge » composée de drapeaux surmontant une foule ordinaire de tous les milieux, dans laquellechacun, sourit et tient un petit livre rouge de la main gauche contre son cœur.
Dans la révolution culturelle, les significations de cette affiche sont les suivantes: les rayons symbolisent la pensée du président Mao, considéré pendant cette révolution comme le soleil. Le rayonnement solaire était aussi la métaphore de l’idolâtrie dont Mao était l’objet. Les drapeaux rouges symbolisaient le développement révolutionnaire à l’échelle nationale. Le sens du geste de la jeune garde rouge s’impose au premier coup d’œil : elle semble avancer à grand pas, se projeter en avant, la tête haute et le regard plein de volonté révolutionnaire pour le combat idéologique. Dans cette affiche, le message verbal, au registre inférieur, incite le peuple à s’engager dans sa révolution. L’affiche repose sur le principe d’une double identification possible, proposant aux jeunes gens de rejoindre les gardes rouges, et à tous les autres, de tout âge et de tous les milieux, de les suivre
Quarante ans plus tard, certaines affiches publicitaires exploitent très explicitement la référence aux affiches de propagande, comme cette affiche publicitaire qui concerne les Télécommunications.
单项收费万岁
[dan xiang shou fei wan sui]
Traduction : Vive le paiement des télécommunications à « sens unique »
En Chine, les communications par téléphone mobiles, sont payées depuis toujours par les deux consommateurs : celui qui reçoit la communication et celui qui téléphone. On attend impatiemment un nouveau règlement qui instaurait le paiement unique. C’est une revendication des masses populaires, longtemps exprimée avec autant d’énergie que d’intransigeance : elles le considèrent comme un droit, comme une prise de pouvoir des consommateurs, tout comme les masses populaires avaient pris le pouvoir à Shanghai.
C’est pour répondre à cette attente que China Telecom a lancé un nouveau système de communication téléphonique par portable réalisant ainsi le rêve des consommateurs : il n’y a plus que celui qui appelle qui paye.
La publicité cherche alorsà signifier ce changement en faisant manifestement référence au contexte de l’affiche analysée plus haut : la composition est à peu près la même et ce nouveau mode de facturation est une victoire remportée par les consommateurs. Le publicitaire use du style et de la graphie des affiches de la Grande Révolution Culturelle comme d’une métaphore : le progrès des avantages donnés au consommateur est « révolutionnaire » en supprimant quelque peu les problèmes financiers de l’ancien système. Tout comme la révolution culturelle voulait donner le pouvoir aux masses au détriment des élites embourgeoisées et néocapitalistes.
Plus précisément, l’arrière plan de cette publicité reprend les rayons de soleil de la rhétorique révolutionnaire. Ceux-ci ne sont plus symboliques d’une révolution politique radicale ouvrant sur avenir lumineux mais une nouvelle stratégie économique China Telecom : les rayons du soleil ne sont plus ceux de la pensée Mao, mais ceux du dynamisme économique pour le plus grand nombre.
Le plan moyen est composé, là aussi, d’une foule, qui manifeste sa grande joie en frappant sur des gongs et tambours avec entrain.
Le premier plan est occupé par un ouvrier dans la posture révolutionnaire classique brandissant triomphalement un tract, habituellement dénoté comme l’écrit typique de la revendication, en caractères gras ; tous des éléments ayant un sens évident pour un Chinois : « nous nous rallions à cette décision ». Quant au slogan en couleur rouge, Vive le paiement des télécommunications à « sens unique », il est porté brandi par la main gauche de l’ouvrier, tandis que la main droite, dirigée vers la foule, la paume ouverte, constitue un appel à le suivre.
Le bandeau bleu clair donne toutes les informations nécessaires : cette réforme s’applique seulement au portable 小灵通/xiao ling tong/portable spécial, qui est placé au centre des trois caractères. Les raisons données pour l’acheter sont les suivantes :
1) vous payez d’un seul côté comme avec le poste fixe ; 2) vous téléphonez à l’étranger en composant les chiffres 17908 (carte IP), vous ferez des économies sur le tarif international ; 3) il a une bonne réputation de protection de la santé à cause des ondes de faible puissance; 4) son timbre est agréable et discret ; 5) son poids est léger :75g, le temps de charge est de 72 heures, et la durée de laconversation de 6 heures ; 6) il possède des fonctions de mémoire d’appel et de transfert, etc. Si vous voulez réduire les dépenses, choisissez-le ».
Cette publicité s’inspire de l’ambiance de la révolution culturelle, c’est donc une image au « second degré ». En s’appuyant sur un événement historique, dépassé et critiqué, elle fait preuve d’une sorte d’humour. Le créatif suscite la mémoire : la représentation du personnage qui a les traits d’un militant ouvrier révolutionnaire en train de distribuer ses tracts est une sorte de « citation » des affiches révolutionnaires et de l’imagerie de la révolution. Que cette figure-là, en particulier, ait réellement été présente dans des affiches ou que seulement y ait été présente une image du même type. Ce qui est important, c’est que nous sommes devant ce que l’on peut appeler une icône, une image figée de personnage historique de référence; 2) le discours « Vive le paiement des télécommunications à sens unique », c’est l’idée selon laquelle il y a des formes linguistiques et rhétoriques figées, des formes de discours qui, comme la forme « Vive… », marquent, dans toutes les situations de communication dans lesquelles on les trouve, la référence à la culture révolutionnaire. Cette publicité montre aussi que les temps ont changé, que la Chine est passée dans une nouvelle ère, une nouvelle idéologie où la seule révolution n'est plus que technique et commerciale : le bonheur promis par la Grande Révolution Culturelle est devenu celui promettant l’ouverture sur l’économie socialiste de marché. L’humour est lié ici à la distanciation qui consiste à utiliser un fait historique comme figure de la rhétorique publicitaire.
On peut rapprocher cette publicité chinoise d’une publicité parue en France en novembre 2005 dans le journal gratuit « Metro ».
En France, il s’est produit un mouvement de type révolutionnaire au mois de mai 1968, appelé « le mouvement de Mai 68 ». Cet événement a commencé le 22 mars 1968 à l’Université de Nanterre. L’onde de choc s’est propagée à l’ensemble du pays et a provoqué de grands bouleversements. Durant ces semaines de crise, la paralysie du pays a été totale, celle de l’information également sauf pour les journaux qui paraissaient d’abord irrégulièrement. Ensuite, la distribution, en grève, a fini par les faire disparaître des kiosques, un certain temps. Ils ont ensuite retrouvé un rythme de parution et distribution à peu près normal.
On a vu alors fleurirdes slogans, des tracts et desaffiches. Beaucoup de ces dernières ont été créées par l’Atelier des Beaux-Arts, en sérigraphie ou en lithographie. La sérigraphie permet une exécution plus rapide et des tirages plus nombreux, surtout pour les affiches monochromes. Les slogans les plus connus sont « Mai 68, Début d’une lutte prolongée », « La lutte continue», « Il est interdit d’interdire », « Sous les pavés la plage » et « Désirer la réalité, c'est bien ! Réaliser ses désirs, c'est mieux ! », « Ce n’est qu’un début, continuons le combat » (slogan que les automobilistes jouaient avec leur klaxon).
Dans l’inconscient collectif des Français des générations qui ont connu cette période, Mai 68 est toujours présent, c’est pourquoi la publicité y fait référence souvent, comme ici pour cette publicité de TELE2.
TELE2 devient unopérateur de téléphonie mobile, et les forfaits, à partir de 9,85 € par mois sont sans engagement de durée. « Si vous vivez avec Tele2.Mobile, vous bénéficierez d’avantages exceptionnels : SMS au meilleur tarif du marché (0,09 € l’unité), facturation à la seconde, messagerie vocale et option accès Europe/Monde ».
Ce qui nous frappe au premier coup d’oeil dans cette publicité, c’est un poing qui serre fortement un portable, et le slogan, très semblable dans sa forme à celui de mai 68 (et plus largement, à toutes les rhétoriques révolutionnaires) qui proclamait « une lutte prolongée » Mieux que la révolution permanente, voici la révolution mobile comme projeté vers le haut par un bras solide. Pour démontrer la garantie de qualité du service, la publicité fait référence aux plus de 3,5 millions de clients en France qui ont déjà fait confiance à TELE2 pour la téléphonie fixe et l’ADSL ; dès son lancement, TELE2 Mobile a couvert 98% de la population française.
Tout cela signifie que le service de communication par Télé2 est comme une avancée technologique et économique révolutionnaire. « Inscrivez-vous gratuitement au numéro indiqué, vous aurez la possibilité de faire des économies, vous jouirez de beaucoup d’avantages, vous cesserez de téléphoner trop cher. Par ailleurs, le service de la télécommunication est supérieur à la révolution permanente. »
Pour cette publicité, nous soulignons les deux sens des termes « révolution », ou « révolutionnaire ». En effet, ces termes peuvent se comprendre dans leur emploi politique, où ils font référence à des pratiques politiques et à des événements comme la révolution chinoise ou mai 68. Mais ils peuvent aussi bien se comprendre dans leur emploi économique ou technologique, dans lequel ils évoquent des procédés techniques ou économiques très nouveaux, qui transforment les anciennes pratiques et les anciens modes de production.
Il existe des ressemblances et des différences entre les deux publicités chinoise et française :
Dans le domaine de la couleur par exemple : le rouge, le jaune et le noir dominent dans les deux publicités, chinoise et française. Le rouge est la couleur mythique de la révolution. La couleur jaune est utilisée dans la publicité française pour toutes les informations importantes: le prix, le numéro d’appel, la phrase interrogative. Dans la publicité chinoise, ce sont les rayons lumineux qui guident les consommateurs. Un impact visuel de trois couleurs capte facilement le regard des consommateurs.
Dans le domaine linguistique ; le texte chinois se réfère à la rhétorique révolutionnaire - Vive le paiement des télécommunications à « sens unique », alors que le rédactionnel français fait appel à un comparatif de supériorité: Mieux que la révolution permanente, voici la révolution mobile.
Dans le domaine de l’image, dans la publicité française, c’est le point levé tenant un portable qui exprime la référence au caractère révolutionnaire de l’offre, et dans la publicité chinoise, c’est un ouvrier brandissant un tract en gros caractères qui indique sa volonté – nous voulons donner notre adhésion à cette nouvelle mesure du paiement de télécoms à « un sens unique ».
En Chine comme en France, les Télécommunications se sont développées ces dernières années plus rapidement qu’on ne l’attendait. Le portable devient un des signes du progrès de la société, seules de rares personnes isolées refusent de s’en servir. On entend souvent en Chine la phrase suivante : « Tu vois comment notre monde devient maintenant? Chacun a un portable, y compris le ferrailleur du quartier. »
La Révolution culturelle chinoise et le mouvement de Mai 68 sont maintenant loin, néanmoins la marque qu’ils ont laissé dans les esprits et les mémoires est encore bien vivante ce qui permet à la publicité de les utiliser.
Voyons maintenant une publicité pour les supermarchés E. LECLERC, reposant, elle aussi sur l’évocation de Mai 68.
Pour mieux comprendre la stratégie de cette publicité, il nous paraît nécessaire de considérer le contexte social où elle s’insère : E. Leclerc milite pour la remise en cause de la loi Galland qui interdit depuis 1977 aux distributeurs de répercuter sur les prix de vente les avantages et remises négociés auprès des industriels. Après avoir baissé en 2003 et stagné en 2004, le pouvoir d’achat des Français n’a probablement guère augmenté en 2005, et même il existe de plus en plus de personnes qui vivent en dessous dans l’extrême pauvreté. On espérait qu’une diminution sensible et durable des prix aurait un impact immédiat pourredynamiser la consommation des ménages, relançant ainsi la croissance économique. En 2004, sous l’égide des pouvoirs publics, distributeurs et industriels se sont engagés à baisserles prix de 2%. Mais, selon la publicité E. Leclerc, cette baisse estinsuffisante. En 2005, le Premier Ministre présente une réforme de la loi Galland. La nouvelle législation permet aux distributeurs de faire profiter aux consommateurs des négociations sur les prix pour redonner de l’oxygène au budget des ménages.
Dans le discours verbal, le publicitaire a introduit le slogan le plus célèbre du mouvement de Mai 68, « il est interdit d’interdire » auquel il a ajouté « de vendre moins cher ».
La couleur rouge du fond de la publicité renvoie, comme nous l’avons déjà fait observer, à la révolte : ici cette révolte est censée être celle des consommateurs devant les prix de vente. L’indicateur le plus sûr du faitque l’on a affaire ici à une affiche représentant des consommateurs ordinaires est que, si le dernier personnage de l’affiche de mai 68 tient une clef à molette (représentant le monde ouvrier), ici dans l’affiche de E. Leclerc, le dernier personnage à gauche tient un caddie. Quant au poing fermé, il symbolise par excellence la révolution et suggère donc ici la colère des consommateurs, devant l’interdiction faite à E. LECLERC de baisser des prix en deçà d’un certain seuil – en cela, ils sont figurés comme des alliés du grand distributeur, E. LECLERC, qui veut se présenter, lui, comme un révolutionnaire.
Pour protéger les intérêts des paysans et des petits commerçants, l'Etat intervient pour que Leclerc respecte les règles du jeu, considérées par le grand distributeur comme des contraintes qu'il faut briser. Il est à noter que cette publicité a suscité la critique des autorités gouvernementales, ce qui prouve qu’elle a réussi à atteindre son objectif, qui était bel et bien, de donner une image de ce distributeur comme provocateur et, ce faisant, de mettre les consommateurs de son côté. E. Leclerc a été, en effet, explicitement accusé de ne pas suivre la réglementation.
Dans cette publicité, le message verbal et iconique nous rappelle, qu’en France comme en Chine, le monde des affaires n’hésite pas à « récupérer » l’histoire politique.
Nous observons deux publicités sur la même marque française, Citroën : l’une est « Révolutionnaire ! », l’autre « passation de pouvoir ».
Révolutionnaire !
Le terme « révolutionnaire » utilisé dans cette publicité joue sur le double sens du mot d’une part, et sur la quasi identification de la Chine contemporaine à travers cette photo d’un jeune enfant identifié comme chinois et manifestant le symbole de la victoire.
Révolutionnaire connote un changement profond : l’innovation technique, au service d’un changement politique et culturel radical. L’AX présentée se veut donc l’image d’une double révolution : une révolution technique et une révolution dans les mœurs, une révolution « culturelle » dans l’usage de l’automobile.
La publicité aime bien, de même, « surfer » sur l’actualité et tirer profit de l’intérêt que le public porte au domaine politique pour se l’approprier. Nous analysons ici deux publicités faisant appel à des événements politiques, relativement récents, comme référence dans la publicité.
Passation de pouvoir
La publicité française qui s’appelle « passation de pouvoir »a été réalisée en mai 1995. L’agence Enjoy-Sher-Lafarge a conçu, pour la presse, cette publicité pour Citroën en mettant en scène un moment important de l’actualité politique : celui de la passation des pouvoirs présidentiels. Les éléments importants de cette publicité sont les deux présidents – François Mitterrand et Jacques Chirac, le portail de l’Elysée, des gardes républicains, le tapis rouge de cérémonie, la voiture Citroën, et, au bas de l’image, le logo aux deux chevrons qui accompagne cette scène solennelle et historique. La légende est : « Au moment des grands départs, il est bon de savoir que l’on peut compter sur sa voiture » et « vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous ».
La rhétorique de cette publicité repose sur la distanciation humoristique avec l’actualité politique : l’importance de l’événement politique (le départ du président F. Mitterrand et l’élection de J. Chirac) est illustrée avec humour par la référence, décalée ici, aux départs en vacances – d’autant plus que la passation des pouvoirs a eu lieu en mai 1995, soit au moment des premiers départs en congés et au moment où beaucoup de gens y pensent déjà.
La passation de pouvoir entre Mitterrand et Chirac est assimilée à un « grand départ » pour le Président de la République sortant. Ce « grand départ » (mais non ce ne sont pas vraiment des « vacances » !) s’effectue avec une Citroën, ce qui signifie que cette voiture accompagne de façon privilégiée l’idée de « grands voyages ».
La période de l’année est bien choisie, et psychologiquement, les consommateurs, interpellés par le pronom « vous », font confiance aux hommes politiques … tout au moins lorsqu’il s'agit du choix d'un produit, car ils sont des références privilégiées, dans la mesure où les citoyens ont confiance dans leurs gouvernants.
En mettant en scène la passation des pouvoirs présidentiels entre F. Mitterrand et J. Chirac, en 1995, Citroën semble bien s’inscrire dans une politique de communication consistant à faire référence à des événements politiques historiques, puisque c’est le même Citroën qui fait référence à la révolution chinoise et, ici, à la passation des pouvoirs présidentiels en France. En tous les cas, cela signifie bien que l’image de l’événement est conçue comme pleinement acquise par les destinataires de la publicité, qu’elle fait désormais partie de leur culture iconique.
La publicité chinoise suivante a été réalisée pour la marque de pansement Bandi-aidi. Son slogan est :
邦迪坚信没有愈合不了的伤口
[bang di jian xin mei you yu he bu liao de shang kou]
Traduction : Avec Bandi, il n’y a pas de blessure ne pouvant cicatriser.
Elle fait référence à un événement qui a eu lieu il y a plus d’un demi-siècle. La guerre de Corée a opposé la Corée du Sud et la Corée du Nord, du 25 juin 1950 au 27 juillet 1953. L’intervention des Etats-Unis, mandatés par l’ONU, a fait de cette guerre un affrontement indirect entre eux-mêmes et l’U.R.S.S. Bien équipées par les Soviétiques, soutenues par des « volontaires » chinois, les troupes de Corée du Nord ont franchi le 38e parallèle, frontière séparant les deux Corées, pour obtenir par la force la réunification du pays au profit du bloc communiste. Après une rapide avance des Coréens du nord, l’arrivée des troupes de l’ONU, essentiellement composées de forces américaines, les a refoulés jusqu’à la frontière mandchoue.
Personne n’a oublié, en Chine, la cicatrice profonde du 38e parallèle.
Plusieurs entretiens entre le président de la Corée du Sud, Kim Dae-Jung, et le chef de la République Populaire de Corée du Nord, Kim Il-sung, ont eu lieu successivement en 2000. Une photo historique, relatant l’une de ces rencontres où l’on voit les deux chefs d’Etat trinquer, a paru dans les journaux. Le publicitaire a repris l’intégralité de cette photo et n’a fait que lui ajouter un texte. Le parallèle entre la signature de la paix et la cicatrisation de la plaie s’impose. On est ici en présence d’un événement historique exemplaire, détourné au profit d’un produit de soin quotidien, tout à fait banal : « Avec Bandi, il n’y a pas de blessure ne pouvant cicatriser». Le slogan insiste sur l’assurance sans faille de l’efficacité du produit.
C’est l’idée de cicatrice qui constitue le trait commun entre la représentation iconique de l’événement et la publicité, car la séparation et la guerre entre les deux Corés est présentée comme une blessure appelée à cicatriser dans le temps.
Après l’analyse des exemples ci-dessus, nous remarquons qu’il y a une triple signification des publicités dont la thématique consiste dans la représentation d’événements de types révolutionnaire et d’acteurs de ces événements.
D’une part, il s’agit de représentations qui expriment le fait que les événements révolutionnaires sont entrés dans la culture, et que, dans ces conditions, la publicité peut faire allusion à eux, peut les utiliser, puisqu’ils appartiennent désormais à un fonds culturel partagé. Il y a, en quelque sorte, ici, comme une forme de normalisation culturelle des événements révolutionnaires.
D’autre part, cet usage de références à des événements par la publicité montre qu’il existe donc une certaine culture événementielle que l’on suppose suffisamment partagée par tous, pour que l’on puisse faire des allusions et des références à ces événements en étant sûr d’être compris. Les événements révolutionnaires appartiennent à une sorte de norme de la culture partagée. Il existe également une esthétique culturelle partagée, une forme de médiation esthétique commune, qui peut constituer un fonds culturel partagé. Ce fonds culturel constitue une base culturelle de références dans laquelle la rhétorique publicitaire peut puiser pour formuler des normes et trouver des argumentations rhétoriques et des représentations intelligibles.
Si les publicitaires tant français que chinois, aiment recourir aux événements politiques, Il n’en existe pas moins, en ce domaine, de profondes différences entre les publicités des deux pays. Nous allons essayer de mettre en relief les convergences et les divergences dans les publicités françaises et chinoises dans ce domaine.
L’établissement du comité révolutionnaire de la mairie de Shanghai a été crée le 5 février 1967.