V.2.2. Politique et publicité en Chine

En Chine, avant 1919, le système impérial absolu dominait et l’empereur, Fils du Ciel, dépositaire du Mandat céleste tenait la place suprême. Celui qui contestait l’empereur, contestait l’ordre naturel des choses et payait de sa vie sa contestation. De ce fait, il n’était pas possible alors d’utiliser l’image de l’empereur comme support de publicité. Après 1919 quand le gouvernement impérial de la dynastie Qing fut renversé par le mouvement révolutionnaire dirigé par Sun Zhong Shan (Sun Yat Sen pour les Occidentaux), la Chine entra dans son histoire moderne, le leader du Guomindang dirigeait le pays et dominait l’idéologie nationale. Il était alors interdit de faire de la publicité avec l’image du leader considéré comme une « idole ». En 1949, le parti communiste a remplacé le Guomindang au pouvoir : sa domination idéologique et politique s’est manifestée successivement par des mouvements politiques de renforcement de son pouvoir. Aujourd’hui, on peut voir l’image du leader et des hommes politiques du parti dans la communication politique, mais jamais dans la publicité commerciale. Une sorte de reste de la tradition impériale et de ses interdits.

En Chine, les personnalités politiques n’apparaissent pas dans la publicité, même lors des campagnes électorales. En fait, l’apparition de dirigeants présentés comme timoniers/ hommes de barre, n’intervient que dans le cas de campagnes de propagande : ainsi en était-il de l’image du président Mao. L’image des hommes politiques dans la publicité commerciale n’existait pas plus avant l’avènement de la République Populaire de Chine que maintenant.

Cette absence n’est pas uniquement liée au régime. Elle traduit la longue tradition de la conception chinoise du pouvoir depuis les temps les plus reculés. Les hommes de pouvoir (à commencer par l’empereur lui-même) devaient être « invisibles », toute « vision » relevant du sacrilège. Cette tradition se prolonge actuellement. Pendant la célébration du 50e me anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine, les gardes se tenaient au garde à vous le dos tourné et ne pouvaient donc pas voir le défilé des hommes politiques importants.C’est, comme au Japon,une coutume immémoriale.

L’interdiction d’utiliser l’image des dirigeants est maintenant à la fois plus explicite et plus large. Le règlement publicitaire voté le 27 octobre 1994 par le dixième Congrès de la huitième Assemblée nationale interdit à tous les organismes nationaux et aux hommes politiques de faire de la publicité commerciale ou d’en devenir le support.

Toutefois, les publicitaires chinois, comme tous leurs confrères étrangers, se rendent compte de l’importance du domaine politique dans la communication. Cela les amène àquelques coups d’audace. Ainsi cette publicité, déjà évoquée, mettant en scène les deux Corées : Avec ce Bandi, il n’y a pas de blessure ne pouvant cicatriser. Sur cette image, on voit les chefs des deux Corées trinquer en signe de réconciliation. L'existence de deux Corées déchirées symbolise pour beaucoupune blessure impossible à cicatriser. Mais bien sûr, il ne s’agit pas de dirigeants chinois !

En fait, l’application de la loi en Chine n’est pas aussi stricte qu’on le dit souvent et l’on voit apparaître des campagnes de publicité politique, notamment lors d’élections locales relativement démocratiques.

En Chine, les affiches publicitaires dont l’objectif sert la politique font l’objet d’un contrôle très strict de la part de la censure. Il s’agira, par exemple, d’une affiche publicitaire pour un film chantant les louanges des gouvernants ou des personnages politiques historiques. Bien évidemment, ces affiches sont de l’ordre de la propagande.

La propagande et ses affiches ont pour but de faire adopter certaines thèses politiques officielles et d’influencer le comportement social des citoyens. Ainsi, de nombreuses images exaltent l’effort, la lutte, l’énergie déployée pour affirmer les idées socialistes. Nous sommes alors dans le registre de l’apaisement et de la joie de vivre : le travail est un plaisir, l’arrosage des cultures se fait sans peine, les récoltes sont abondantes, la distribution des denrées répond à la justice, la fraternité entre civils et militaires est un bonheur. Le style des affiches chinoises contemporaines se réfère souvent à un réalisme de convention qui affirme sa puissance dans les mouvements et la couleur. La propagande enseigne en principe Les « cinq amours » :

  • La grande patrie socialiste
  • Le grand peuple chinois
  • Le grand Parti communiste
  • La grande Armée populaire
  • Le grand président Mao

En réalité, à partir de 1968 et de la stabilisation de la révolution culturelle, l’édition des affiches est reprise en main par le pouvoir central. A cette époque, l’imagerie officielle se recentre sur le culte de la personnalité de Mao et multiplie les images du président émergeant d’une marée de drapeaux rouges.

Prenons quelques exemples :

L'affiche ci-contreappelée « L’Armée et le Peuple unis en une seule et même famille pour produire dans la joie  » a été créée en 1974 pour le 25e anniversaire de la République Populaire de Chine. Elle met en scène unemoisson d’automne effectuée avec l’aide desoldats du peuple.

A cette époque, rien n’était conçu comme individuel ; tout était collectif : le travail, la joie, leplaisir et bien entendu lapensée. Le collectif se traduit souvent par l’image d’une marée humaine ou d’un fleuve humain. Cela rejoint la vieille tradition chinoise du fleuve comme « artère de l’empire » vecteur à la fois de l’irrigation et du commerce. Cette tradition est manifeste dans l’affiche ci-dessus.

Le long fleuve de la foule illustre la stratégie du Président Mao qui voyait dans la « mer humaine » la force majeure, du peuple chinois et de la révolution, lui-même étant la tête de pont, le guide, le « timonier » de cette foule. LaPolitique est représentative de la version chinoise du réalisme socialiste, cette image n’en est pas moins intégrée dans une longue tradition esthétique de mise en scène de « lafoule » comme témoignage de la puissance du « monarque ».

Par ailleurs, le rituel des moissons et des labours s’inscrit lui aussi dans la tradition impériale comme en témoignent ces rouleaux de peinture du XVIIIe siècle, actuellement conservés au Musée de l’Homme à Paris. Elle montre le Rite du Labour effectué par l’empereur Qianlong. Dans la Chine impériale, depuis la plus haute antiquité, chaque printemps, le Bureau d’Astrologie (占星术署) choisissait un jour faste pour la cérémonie d’offrande au Temple du dieu de l’agriculture, Shen Nong Shi (神农氏). Les rituels étaient accomplis par l’empereur lui-même.

Après le rituel de vénération de Shen Nong Shi (神农氏), l’Empereur et sa cour se rendaient dans un champ aménagé près du palais pour faire un labour symbolique.

Un fouet dans la main gauche, il pousse une charrue de la main droite. Deux paysans l’aidaient. La charrue est attelée à un buffle mené par deux dignitaires de haut rang. L’empereur doit labourer trois sillons. Derrière lui, le Préfet de Pékin tient une boîte de graines et le Ministre des finances sème. Puis c’est au tour des princes et des hauts fonctionnaires civils et militaires de suivre l’exemple du souverain.

L'affiche ci-contreest parue en 1969. La moitié supérieure est constituée à l'arrière plan d’un ciel bleu à peine zébré de quelques bandes nuageuses sur lequel se détache en plan rapproché le buste du président Mao émergeant d’une mer de drapeaux rouges. Le slogan est placéà la base de l’image :

« Longue vie au président Mao, le plus grand leader, le plus grand chef, le commandant suprême, le plus grand timonier».

Le président Mao était montré comme un homme clairvoyant qui se plaçait haut et voyait loin.

A son exemple, le vent pouvait balayer des nuages. Les drapeaux rouges qu’on devine tenus par le peuple flottent dans la direction voulue par le grand timonier.

L’ouvrier et le paysan, armés comme des miliciens, tenant l’un une clef à molette évoquant le travail industriel, l’autre une faucille figurant le travail agricole, brandissent le Petit Livre rouge. Leur large sourire traduit leur contentement. Leurs bras exagérément musclés évoquent leur force.

« Célébrons l’entrée dans les années 1970 par de nouveaux succès révolutionnaires et par l’importance de la production de 1969 ».

Aujourd’hui encore, à l’occasion de grands événements commémoratifs, la Chine produit quelques séries d’affiches célébrant des acteurs politiques pour raviver le souvenir de leur carrière, fêter leur anniversaire (naissance ou mort) ou remémorer des moments de l’histoire du territoire : la rétrocession d’Hongkong en 1997, de l’île de Taiwan, etc. 

Par exemple, le film «  Histoires diplomatiques de Zhou Enlai  » (l’ancien premier ministre de Chine) se présente comme un documentaire sorti à l’occasion du centenaire de sa naissance. L’affiche annonçant la sortie de ce film comporte en bas à gauche un portrait de Zhou Enlai en noir et blanc, le titre du film occupant, en très grands caractères, le haut de l’affiche. Le discours de cette publicité est : c’est la première fois qu’on découvre l’histoire de sa carrière et c’est à partir de cela que sa distinction dans la diplomatie revit sur l’écran.

Deux autres affiches de propagande représentent l’homme politique et ses réalisations sociales ou politiques en arrière plan de l’image.

Cette affiche, parue pour la commémoration du centenaire de Deng Xiaoping (1904-2004) présente non seulement un portrait du dirigeant, mais aussi la reproduction d’un message calligraphié par Deng Xiaoping lui-même : « Servir le peuple ». Sur la droite, on peut voir, sous les dates de naissance et de mort de Deng Xiaoping, la photo d’un défilé de manifestants qui brandissent une banderole portant le message «Xiaoping, nous vous saluons ». Signalons ici que « Xiaoping » est le prénom et qu’il n’est nullement dans l’habitude chinoise d’interpeller un homme politique d’importance autrement que par son titre. L’effet recherché est celui d’une proximité affectueuse et quasi familiale entre Deng Xiaoping et le peuple.

L'affiche de propagande ci-contreexalte la continuité de la politique du parti en représentant Deng Xiaoping, sur fond de grands immeubles urbains modernes, accompagné du slogan : «  La ligne de la politique fondamentale du parti ne change pas pendant cent ans .  »

En 1999, pour fêter le jour du retour de la souveraineté de la Chine sur Macao 74 , le gouvernement chinois a édité une série de publicités, dont l’une représente un drapeau à cinq étoiles, la fleur de lotus et un pont ; un texte bilingue traverse toute l’image.

Le drapeau rouge à cinq étoiles est le drapeau national de la République Populaire de Chine : la grande étoile symbolise le parti communiste chinois, et les quatre autres qui l’entourent évoquent toutes les composantes de son peuple (toutes les ethnies). La fleur de lotus, symbole capital de la civilisation chinoise, à la fois liée au taoïsme et au bouddhisme, représente ici sous sa forme épanouie le trône divin et pur. Il est aussi un symbole de paix, et de fécondité grâce à ses graines. Le retour de Macao au sein de la Chine est donc, pour l’affiche, un gage de prospérité pour Macao. Rappelons aussi que le lotus blanc sur fond vert surmonté de cinq étoiles est le drapeau de Macao. Le bleu de cette affiche symbolise le territoire, la stabilité et la pérennité. Le Pont d’Amitié Chine et Portugal traduit non seulement l’importance de la réunion des territoires de l’île et du continent national, mais aussi l’indispensable relation à l’échelle de l’économie mondiale. Le discours politique s’inscrit au milieu de l’image en bilingue :

’99 中国政府对澳门恢复行使主权
[jiu jiu zhong guo zheng fu dui ao men xing shi zhu quan ]
The Chinese Government resumes the exercise of sovereignty over Macao in 1999.

Le texte est une proclamation du gouvernement chinois au monde entier. Après la reconnaissance de la souveraineté de la Chine sur Macao, le territoire jouit de l’autonomie retrouvée par la formule fameuse: un pays, deux systèmes 75 .

Elite invitation – Life Style Golf pour célébrer le 20 e anniversaire de l’entrée du golf en Chine.

Cette publicité était destinée à des associations afin qu’elles organisent conjointement un match du golf à l’automne 2004. La revue Guide d’achat haut de gamme est le sponsor de cette activité.

La révolution culturelle fait ici l’objet d’une citation, en forme de commentaire implicite ; ce qui attire beaucoup l’attention des lecteurs, c’est ce que cet ouvrier lève une crosse de golf au lieu d’un drapeau rouge. Autres temps, autres mœurs, la Révolution est aujourd’hui à vendre… 76

Dernier exemple d’affiche gouvernementale, qui cette fois-ci exploite une tradition populaire, et qui met en valeur des qualités citoyennes : «  L’argent venu du peuple va vers le peuple  » (publicité chinoise pour l’impôt)

Cette publicité est construite sur le modèle des papiers rouges découpés qui est un art traditionnel antique et populaire. Principalement réalisé par des femmes, ces découpages dont beaucoup sont de véritables chefs d’œuvre représentent le plus souvent des visages peints de l’opéra, des personnages, des fleurs, mais aussi des oiseaux comme les canards mandarins (鸳鸯yuan yang), symboles de la félicité conjugale. Lors du Nouvel An d’après le calendrier lunaire (aujourd’hui appelé Fête du printemps), la plus importante des fêtes chinoises, tout le monde colle aux fenêtres le plus grand nombre possible de ces papiers : c’est une façon de s’assurer du bonheur et d’en souhaiter aux autres.

La majeure partie de l’image évoque une maison, avec ses murs de briques, et les tuiles de son toit. Au centre, dans ce qui pourrait être une grande fenêtre, se trouve le caractère de l’impôt. Ce caractère est relié par des flèches à d’autres caractères : ceux du vêtement, de la nourriture, du logement et du transport en commun, qui sont inclus dans des cercles et redoublés par des représentations simplifiées (une veste, un immeuble, un bus, un plat). Huit caractères rouges forment un bandeau dans le registre supérieur: 出入平安 恭喜发财 (chu ru ping an, gong xi fa cai). Ils signifient : entrer et sortir sain et sauf, et félicitations pour l’enrichissement. Dans le registre inférieur, huit caractères noirs, surmontés de petites flèches rouges guident le regard vers le slogan : 取之于民,用之于民 (qu zhi yu min, yong zhi yu min), l’argent venu du peuple va vers le peuple.

Le gouvernement chinois fait ici appel à cette forme traditionnelle pour amener les habitants à accepter l’idée de l’impôt : le paiement de l’impôt concerne chacun de nous, cet impôt qui vient du peuple est fait pour améliorer les conditions de vie du peuple. Chaque citoyen doit avoir conscience que le paiement de l’impôt est nécessaire au bien-être de tous.

Notes
74.

Macao, en chinois Aomen et en portugais Macau, région sous administration spéciale de la Chine. Située dans le sud du pays, à l’ouest de Hong Kong, la région est bordée au nord par la province de Guangdong, et au sud par la mer de Chine méridionale. Sa superficie totale est de 16 km2. Dernière colonie portugaise (et européenne) en Asie, Macao est, depuis le 20 décembre 1999, de nouveau rattachée à la Chine, en vertu de l’accord sino-portugais de 1987.

75.

Comme tout le monde le sait, Hong Kong, Macao et Taiwan sont, depuis l'antiquité, territoires inséparables de la Chine. Pour des raisons historiques, Hong Kong et Macao furent occupés par les Britanniques et les Portugais au 19ème siècle. Deng Xiaoping a avancé au début des années 80 une conception pour régler le problème de la réunification de la Chine suivant le principe d'"un pays, deux systèmes". Voici l'essentiel de cette conception: Après la réunification entre le continent de la Chine et Hong Kong, Macao et Taiwan, la partie continentale et les trois autres localités continueront à poursuivre leur système social existant, c'est-à-dire socialiste pour le continent et capitaliste pour ces derniers.

76.

Beaux-arts, Mao tête d’affiche, 2002, p.54.