VII.1.1. La publicité chinoise et « la  famille » « le  bonheur » et « la sécurité »

家/ jia/ famille comme élément publicitaire

La famille (家/jia) est au centre de la culture chinoise. Rien ne se pense en dehors d’elle. C’est autour de l’enseignement de Kongzi (Confucius) (551-479 avant J.-C), que s’élabore la notion fondatrice de la famille. Dans l’esprit du maître et de ses disciples, la famille n’est pas seulement un phénomène social ; elle est une sorte de modèle d’harmonie cosmique et toutes les relations entre les hommes, entre le pouvoir et les sujets, sont élaborées sur ce modèle. La famille confucéenne est d’abord fondée sur une tradition qui impose une manière de vivre et de juger les liens familiaux : les relations père-fils, mère-enfants, père-grand-père, gendre-belle famille, homme-femme déclinent tous les aspects du respect, de la confiance, du pouvoir. Ce sont aussi celles que doit entretenir le souverain avec son peuple, le peuple avec son souverain pour que le Mandat du Ciel ne soit pas remis en cause. Autrement dit, le souverain doit se conformer dans toutes les actions à ce qui convient pour le bon gouvernement de l’univers. La famille confucéenne est cimentée par des rites, c’est-à-dire davantage par des façons traditionnelles de vivre ensemble, que par des sentiments (au sens occidental du terme). Ce sont ces Rites qui assurent la cohésion harmonieuse du cosmos. Le syntagme traditionnel le plus fort dans la culture chinoise est bien « quatre générations sous un même toit », pour reprendre le titre d’une œuvre fameuse de Lao She.

Or, aujourd’hui on constate, du fait du développement économique, du développement de l’individualisme et du changement du mode traditionnel d’habitat (du moins dans les grandes villes), une perte de la solidarité familiale traditionnelle transgénérationnelle. On a l’impression que plus on a beaucoup d’argent, plus la famille diminue (et pas seulement en raison d’une politique drastique d’une réduction du nombre des naissances), et que plus la société devient moderne, plus la famille est restreinte. Ainsi l’État a-t-il lancé ces dernières années des campagnes de sensibilisation à la solidarité familiale : le but est de rappeler aux jeunes qui vivent moins intensément la relation familiale qu’il leur faut  revenir souvent à la maison pour rendre visite à leurs parents. Il y a, par exemple, cinq ans, une chansonintitulée 常回家看看 89   (« prendre du temps pour aller voir souvent tes parents »),diffusée pendant la grande soirée de la Fête du Printemps à la télévision, a eu une répercussion énorme en Chine. Elle est devenue une chanson très populaire.

(1) Campagnes publicitaires d’intérêt public
Arrêt de Bus 100 « 常回家看看 »

[chang hui jia kan kan]
(Prends du temps pour voir souvent tes parents.)

Le publicitaire a recours ici à un simple panneau qui signale d’habitude dans les rues les arrêts de bus pour inciter à se conduire comme il convient dans la vie familiale ; L’intitulé de cet « arrêt » est « prend le temps de voir souvent tes parents ». Celui de l’arrêt suivant est : « qui conduit à la cité d’affection » (温馨家园 wen xin jia yuan). Il nous est recommandé de ne pas oublier cet arrêt important où nos parents nous attendent toujours. Il est même suggéré que l’arrêt proposé devrait même être obligatoire pour tous les jeunes passagers.

Cette campagne d’incitation à la vie familiale par les arrêts de bus consiste à maintenir la cohésion familiale dans un monde moderne qui tend à l’oublier. Nous voulons dire que plus la société avance, moins les jeunes doivent oublier cet « arrêt », le devoir de rentrer souvent à la maison doit devenir un acte de conscience, auquel toute la société nous invite; de plus, bien traiter les parents prouve une bonne éducation et une bonne moralité qui, dans le cadre du néo-confucianisme en vigueur en Chine se doit de rayonner dans la vie quotidienne.

(2) Immobilier 
« 朱雀门»
90 (Publicité pour l’immobilier)
[zhu que men]

Cette publicité présente la photo de toute une famille (d’un style chinois classique, c’est-à-dire, « quatre générations sous un toit »). Cinq membres de la famille, appartenant à trois générations sont hiératiquement installés devant un paravent. Les vêtements des adultes sont traditionnels, et celui de la petite fille d’un style moderne. Le rédactionnel est le suivant « tu occupes toujours une page du passé, du présent et du futur ». Curieusement, le « tu » interpellé semble bien l’enfant, alors que la publicité ne peut s’adresser qu’à un adulte : il semble bien ici que l’enfant est celui au nom duquel et pour lequel le prêt immobilier devrait être signé.

Le rédactionnel, combiné à une image pré-révolutionnaire (en fait une image très proche de celle du Shanghai des années vingt) insiste sur la permanence de la tradition comme gage de réussite. Ici, le « moderne » ne remplace pas « l’ancien », ces deux termes (les valeurs auxquelles ils renvoient) sont liés. L’idéal chinois proposé ici est transgénérationnel. Comme nous l’avons écrit plus haut, cet idéal se traduit par le désir de voir vivre « quatre générations sous un même toit ». C’est pourquoi cette image a été jugée « idéale » pour une publicité immobilière : la maison est au centre de la vie, car elle est permanente et lie le passé et le futur : elle est la demeure et ce qui demeure 91  : c’est, en français, la maison-maisonnée : jia (famille et maisonnée), bien plus que la « maison » qui désignait autrefois la famille aristocratique ou royale (par exemple, la maison des Bourbon), avant de renvoyer aujourd’hui à une entreprise industrielle ou artisanale portant le nom de la famille fondatrice ou du propriétaire.

Cette image associe aussi l’idée de la famille accomplie à celles du bonheur/chance, de la prospérité/richesse et de la longévité.

(3) Alimentation 

思念水饺新家族 (Publicité pour l’alimentation surgelée de la Société Anonyme par Actions du Henan)
思念 si nian = songer/penser
水饺shui jiao = raviolis bouillis (水shui = eau, 饺jiao = ravioli)
新 xin = nouveau
家族 jia zhu = clan familial
Traduction : penser à une nouvelle vie de famille avec des raviolis.

L’alimentation surgelée répond aux besoins actuels des citadins modernes. Bien qu’il soit difficile de trouver facilement des magasins spécialisés dans la vente d’aliments surgelés comme Picard en France, on peut quand même en trouver en Chine dans des rayons spécialisés des supermarchés. En ville, les raviolis 92 surgelés sont très recherchés parce que c’est un plat assez long à préparer, qui doit être mangé frais, et que l’on sert pour faire plaisir aux siens ou à ses amis. En fait, les raviolis (jiaozi) sont à la fois un des plats les plus prisés des Chinois, mais aussi un aliment symbolique de première importance et les Chinois disent souvent que « rien n’est comparable au goût des raviolis».

Pour promouvoir son nouveau produit, le publicitaire a choisi la famille comme référence car c’est une valeur fortement enracinée dans la culture chinoise. Ce n’est pas seulement un gage de sérieux, mais aussi de respect de la tradition dans la confection de ce plat : il s’agit bel et bien de donner à penser que l’on a affaire à un produit préparé en famille et fait pour elle. En fait, le terme « Jia zhu » a une valeur même beaucoup plus forte puisque le mot « clan » signifie une famille très unie. N’oublions pas que la famille chinoise est bien plus étendue que la famille européenne moderne ; elle tient plus du clan que de l’atome de parenté.

La nouveauté est apportée par les variétés de goût des raviolis : ils contiennent des légumes différents, mais ils ont également une nouvelle consistance (la pâte est fine, à l’intérieur le jus et les légumes sont abondants autour de la viande). Les différents petits sachets du produit sont représentés à gauche de l’image, alors qu’à droite, une fillette en tablier est en train de coller sur la fenêtre un motif en papier découpé 93 , décoration traditionnelle en Chine mais qui ici constitue le logo de cette société. Ce logo en forme de fleur stylisée nous indique que cette nouvelle marque de raviolis se nomme : 思念食品 (si nian shi pin), c’est-à-dire « Penser à l’alimentation ». La famille unie consomme un nouveau « clan familial » de raviolis (nom du produit) correspondant à une nouvelle famille de goûts préparée expressément pour son consommateur. En bas de la publicité, des précisions sont données sur la composition du produit : il est préparé à la main, les ingrédients proviennent d’un terroir de bonne qualité, la recette est raffinée, le goût excellent pour satisfaire le consommateur, aussi bien que s’il avait été fait à la maison.

(4) Laboratoires pharmaceutiques

Le laboratoire Ming Shen utilise la référence à la famille pour faire la promotion de 21 sortes de vitamines différentes. Le rédactionnel de cette publicité est : 21金维他健康我全家 (Publicité pour l’entreprise Min Sheng 94 ).

Traduction : 21 sortes de vitamines assurent la bonne santé de toute ma famille.

Chaque membre de la famille est évoqué dans la publicité.

  • Sans les vitamines
    • Le père :

De la main gauche, il conduit sa carrière, et de la main droite, il conduit la famille. Le manque de vitamines a pour conséquence : vertige, insomnie, grippe, chute des cheveux,…

  • La mère :

Pendant son travail, elle n’a même pas le temps de manger une orange.

Après le travail, elle n’a pas le temps de se regarder dans la glace.

Le manque de vitamines entraîne peau sèche, problèmes de sécrétion interne, taches brunes...

  • Le fils :

Il oublie le petit déjeuner, déteste les boîtes de repas préparé, doit passer des examens…

Le manque de vitamines entraîne : mauvaise croissance, mauvaise mémoire, baisse de l’acuité visuelle …

  • Les grands parents :

S’ils n’ont pas de problème pour monter les deux premiers étages, ils éprouvent de la difficulté pour les suivants. Il faut se maintenir « jeune ».

Le manque de vitamines entraîne : insomnie et prise de somnifères, inappétence, lombalgies et douleurs dans les membres…

  • Avec les vitamines 
    • Le père porte sur les épaules sa carrière et sa famille sans fatigue.
    • Maman est dynamique et a bonne mine. La vie est belle.
    • L’enfant est en bonne santé et grandit sans souci.
    • Les grands parents sont en pleine forme, au lieu de se résigner à leur grand âge.

L’image d’une famille de cinq personnes sur trois générations reflète la forme de vie que les Chinois considèrent toujours comme un idéal à poursuivre. Le rédactionnel de cette publicité présente les relations qui doivent exister entre les membres d’une famille. Conformément à la vertu traditionnelle en Chine, les petits respectent les personnes âgées, et ceux-ci apportent une affection à ceux-là. En Chine, quand un consommateur potentiel voit une publicité sur un tel produit, sauf il peut ne penser qu’à lui-même, plutôt qu’aux besoins des autres membres de la famille. Le publicitaire utilise ce comportement pour promouvoir son produit et susciter son achat.

(5) La publicité chinoise pour la marque française

La « famille » dans la publicité de Carrefour Pour obtenir davantage de parts du marché chinois et pour gagner la sympathie des consommateurs chinois, l’entreprise Carrefour a choisi pour slogan la transcription de l’expression chinoise : 家乐福 (jia le fu) « jia le fu »: famille + joie + bonheur. Dans les magasins Carrefour, les consommateurs sont censés acheter non seulement ce dont ils ont besoin, mais aussi de procurer, de cette façon, le bonheur et la joie à leur famille. On peut ici évoquer l’expression française: « faire d’une pierre deux coups » pour décrire la stratégie de Carrefour fondée sur la famille.

L’activité commerciale est prise, par définition, dans un tissu relationnel. En fait, elle consiste à établir des relations sociales et économiques à l’intérieur d’un marché. Lors de l’achat, on paye le produit et sa valeur culturelle ajoutée.

Du même coup, le terme « famille » joue le rôle intermédiare autant culturelle que psychologique entre le produit et le consommateur. Dans la mise en place du désir d’achat, la convocation de la « famille » implique la nécessité de l’acquisition du produit et valide la qualité de ce dernier. La publicité de Carrefour en Chine est donc plutôt inspirée par l’idée de famille et ce qui s’y rattache, alors qu’en France, c’est la liberté du choix qui est mise en avant. Voilà les exemples : « Vivez libre. Carrefour » et « On fait croire qu’un produit est meilleur simplement parce qu’il a un beau paquet. C’est ça la liberté ? Carrefour. »

福/fu/ Le Bonheur comme élément publicitaire

Le « bonheur » est un élément fondamental de la culture chinoise, mais il ne recouvre pas exactement la notion occidentale. « Il y a deux mille ans, les Chinois définissaient le concept du bonheur en ces termes : la santé, la paix et longévité. » 95 . En apparence, rien de différent avec les souhaits occidentaux. En apparence seulement. La santé, par exemple, est une dimension que l’on retrouve dans les deux cultures, toutefois en Chine, elle n’est pas traditionnellement conçue sur le modèle de l’équilibre (comme l’indique tous les slogans sur l’équilibre alimentaire, la santé équilibrée, etc.), comme c’est le cas en Occident, mais sur celui de l’harmonie. L’équilibre est l’absence de mouvement, une sorte « d’arrêt sur image » du flux de vie. Dans la pensée chinoise, cet arrêt, cet équilibre ne peut être que la mort. L’harmonie, elle, est la mise en résonance de tout un ensemble dynamique de paramètres dynamiques eux aussi. La santé est le flux de vie dans tous ses aléas naturels (en y incluant à certains moments la maladie). Il en est de même pour la paix qui est la santé du groupe humain : il s’agit davantage de l’harmonie des contraires bien plus que de l’absence de conflits. Enfin la longévité, notion centrale du Taoïsme, ne se résume pas à la longue vie, mais au fait de se fondre dans l’harmonie de la nature où la notion d’âge n’a pas de sens en elle-même. Nous rappelons que la notion chinoise du temps est cyclique et non linéaire comme en Occident : le temps revient sur lui-même selon de multiples cycles. C’est pourquoi la longévité du point de vue chinois, n’est pas indexée sur une flèche du temps (un temps qui part de A pour aller à B), mais sur un cycle cosmique permanent. Aujourd’hui, ces notions restent la trame du « bonheur » chinois, même s’il convient de noter que celui-ci se rapproche de plus en plus du bonheur occidental.

Le bonheur chinois est donc le creuset de tout un réseau symbolique de signes, d’animaux, de plantes qui, en soi, ne sont bénéfiques que par un jeu homophonique ou homographique avec le caractère « bonheur » (同音 tong yin). Ainsi, le nom de la chauve-souris en Chinois est transcrit par un caractère (蝠) qui se prononce de la même façon que le caractère 福 /fu/ bonheur, et le nom de la main-de-Bouddha (une petite plante) se rapproche de la prononciation du caractère 福 /fu/bonheur. Ce sont donc de bons augures en Chine (alors qu’en France, la chauve-souris est plutôt néfaste). Deux chauves-souris manifestent un double bonheur ; si le caractère signifiant la longévité est entouré de cinq chauves-souris, on l’appelle alors « les cinq bonheurs et la longévité ». La main-de-Bouddha, la pêche (longévité-immortalité) et la grenade (fécondité) signifie le bonheur, la longévité et la naissance de beaucoup de garçons (rappelons ici qu’en l’absence d’une prise en charge des personnes âgées par une caisse sociale, ce sont les garçons d’une famille qui doivent s’occuper de leurs parents, que ce soit au plan économique ou de leur bien-être en général). Le « bonheur » concerne en fait tous les domaines de la vie. Il va donc de soi pour un chinois que le « bonheur » est un terme dont le sens est bien plus polyphonique qu’en Occident ; par suite, il est un ressort capital de la publicité et fonctionne comme support d’appel, de séduction, de désir.

Signalons à cet endroit quelques-unes des coutumes chinoises relatives au bonheur.

- Pendant le Nouvel An chinois, on colle dans la maison un carré de papier rouge sur lequel est écrit en diagonale le caractère signifiant le bonheur afin de susciter la bonne fortune;

- On boit la dernière gorgée de vin comme une source de bonheur ;

- L’homme très âgé et en bonne forme est vu comme un quasi dieu de la longévité ;

- Les cas où « bonheur » est le nom d’une personne, d’un lieu, d’une marque sont innombrables.

Ainsi, on peut voir partout « Bonheur » : sur les cartes de vœux, sur les affiche, la publicité pour des marchandises. Le caractère « bonheur » peut être utilisé dans la transcription du son même du nom du supermarché « Carrefour »: 家乐福 (jjia le fu) famille + joie + bonheur.

En effet, dans la traduction des mots occidentaux en caractères (et surtout des marques) les Chinois tentent de combiner le son en langue occidentale et le sens en chinois. Carrefour, mais aussi Coca Cola, L’Oréal, Ikea, Renault, etc. sont à chaque fois transcrits par des caractères dont la prononciation évoque le son européen et dont le sens évoque le « contenu » de la marque adaptée à la mentalité chinoise.

Voici l’analyse de deux exemples de ce phénomène dans la médiation publicitaire :

/fu/ bonheur a été calligraphié en caractère inversé dans une publicité pour une exposition internationale de beaux-arts en Chine (1999).

L’image représente un petit temple des ancêtres comme il y en a, en Chine, dans la plupart des maisons, des magasins et des restaurants. La fonction du temple des ancêtres est de communiquer avec le non visible de l’au-delà par les offrandes et les prières et, ainsi, de faire venir la protection des ancêtres sur la famille, et par la suite, d’assurer le bonheur de cette famille. De ce temple, part un chemin qui mène à une souris informatique. En bas à gauche, un signe et des mots signalent l’ouverture de cette exposition internationale sur les beaux-arts. Le caractère 福 (fu) en couleur rouge au milieu du temple est calligraphié en sens inverse, parce qu’en chinois 倒(dao) « l’inverse » se prononce de la même manière que 到(dao) « arriver ».

Le publicitaire joue sur les signifiés « inverse » et « arrivée » qui ont les mêmes signifiants phonétiques. Des mots sont accolés le long du chemin :

鼠标一点,福气到家。

鼠标 Shu biao = la souris

一点 yi dian = un point /toucher

福气 fu qi = bonheur (福bonheur/fortune/chance, 气 vitalité, dynamisme interne)

到家 dao jia = arriver et maison (le bâtiment, mais aussi la maisonnée)

En anglais: A click of mouse, brings luck to your house.

La traduction littérale : un clic de souris, le bonheur arrive à la maison.

La traduction libre : un clic de souris et le bonheur sourit.

Le « bonheur » de visiter l’exposition est un travail s’inspirant du style infographique des arts tratidionnels, tendance actuelle de nombre de créateurs chinois, ce qui peut plaire aux visiteurs potentiels de cette exposition d’oeuvres contemporaines. L’idée générale est ici que la souris et son « cordon-chemin », permet d’un clic de faire communiquer l’arrivée à la maison traditionnelle et la souris, c’est-à-dire de relier la tradition et la modernité. On notera aussi que le cordon de la souris semble construire les murs de la maison. En somme, on suggère à celui qui regarde cette image que le bonheur ne fait pas qu’advenir dans la maison par la souris, mais que la souris, puisqu’elle fait la maison, est elle-même le bonheur.

金六福 – 中国人的喜酒
jin liu fu – zhong guo ren de xi jiu
Or/six bonheurs/ Chinois/de/bonheur/vin. Traduction : Jin liu fu (six bonheurs en or) est un vin qui rend les Chinois heureux.

L’image est celle d’une jeune fille vêtue selon la coutume d’une minorité du Yunnan, les Miao 96 , souriante et charmante, présentant une bouteille de vin appelé 金六福 (Jin liu fu) six bonheurs en or. Trois caractères dorés verticaux représentent la marque du produit et captent par leur éclat le regard.

Le nom de la marque contient les caractères « longévité », « richesse », « bonne santé physique et morale », « bonne vertu », « bonne entente, respect et bonne action envers les parents ». Voyons l’explication des « six bonheurs », dans la culture chinoise:

Le premier bonheur «fu» (一福yi fu) est la longévité, autour de laquelle s’articulent beaucoup de thèmes. Dans la tradition chinoise,  la grue est éternelle ; c’est un symbole essentiel, partout présent, de la longévité harmonieuse et donc du bonheur. On ne compte plus les « Immortels » (ces hommes parfaits du Taoïsme qui, par méditation, exercices psychiques et physiques arrivaient, selon la tradition à une quasi-immortalité), représentés volant à califourchon sur une grue, quand ils ne sont pas franchement métamorphosés en grue. Par ailleurs, on prête à un Vieillard Vénérable (lao nian) de 60 ans (selon la tradition chinoise) les sentences parallèles suivantes : « le bonheur est aussi immense que la mer de Chine orientale ; la longévité est aussi durable que le pin de la montagne orientale » (en Chine, l’anniversaire des soixante ans signe le passage à la grande vieillesse et fait accéder le sujet à un statut de « vénérable ». Dans la littérature chinoise, notamment dans les romans de Lao She –on pense ici notamment à « Pousse-Pousse », cette fête est souvent évoquée, parfois très précisément décrite et elle constitue l’un des points nodaux du récit).

Le deuxième bonheur «fu» (二福er fu) est la richesse. Dans la culture chinoise, la richesse, c'est-à-dire la possession de biens et d’argent est depuis toujours estimée. L’idéal recherché par les Chinois est une vie aisée et, si possible, très aisée. Une richesse, mais pas n’importe quelle richesse. En Chine, l’homme de bien (君子jun zi) 97 est celui dont la richesse vient du travail.

Le troisième bonheur «fu» (三福san fu) désigne la bonne santé physique et morale définie par la médecine traditionnelle et le confucianisme par des idées tolérantes, un bon caractère, un bon cœur, au lieu de se tracasser sans cesse pour ses intérêts personnels. On doit prendre exemple sur les Anciens qui cherchaient à atteindre la perfection et s’efforçaient de pratiquer le bien. On doit apprendre à se contenter de ce que l’on a. Dans ce contexte, l’esprit de bien est lié à la bonne santé. La bonne humeur nous apporte la bonne santé physique et morale. En Chine, les notions de bon et de bien sont synonymes et l’homme se doit d’atteindre l’harmonie, cette dernière englobant dans la même acception la « vertu » et la santé. Un homme vertueux est forcément en bonne santé. A l’inverse, la maladie est considérée comme résultant davantage d’un trouble de la conduite que d’un dysfonctionnement organique.

Le quatrième bonheur «fu» (四福si fu) est la vertu. On doit être content de rendre service à autrui. Cela contribue à la purification de l’âme et du cœur, et à la sublimation de la personnalité, dit-on dans la tradition chrétienne en Occident. En Chine, dans le même esprit, on dira plutôt : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse à vous-même, « tu es bienveillant à l’égard d’autrui,  tu respectes tes parents ainsi que ceux des autres, tu chéris tes propres enfants » 98 .

Le cinquième bonheur «fu» (五福wu fu) est l’entente des cœurs (l’harmonie des relations humaines). On doit vivre en harmonie avec les autres, car la bonne santé est étroitement liée à un esprit tranquille et serein. Une parole douce est réputée toujours gratifiante. Une famille heureuse est un cadre qui permet la réalisation de tous les désirs. On ne peut coexister avec les autres en bonne intelligence qu’à condition de se montrer aimable et prévenant, conformément à la morale confucéenne (cette dernière connaît un renouveau notable aujourd’hui aux yeux des Chinois).

Le sixième bonheur «fu» (六福liu fu) est le respect que l’on porte aux ascendants. En Chine, rien de la vie humaine ne se conçoit hors de la famille. La notion de famille dépasse le simple cercle des relations familiales, elle est comme l’air nécessaire à la vie. On pourrait dire que hors de l’atmosphère familiale (au sens strict), les Chinois traditionnels s’asphyxient. La famille est donc au centre de la vie. Les personnes âgées jouissent de beaucoup d’égards, on les considère comme étant – de par leur âge – comme le sommet du bonheur pour eux comme pour la famille.

Pourquoi les cinq bonheurs, «cinq fu» traditionnels deviennent-ils ici «six Fu»? 

Les Chinois attachent beaucoup d’importance au chiffre six qui est censé porter chance. À l’occasion de certaines cérémonies, on utilise souvent les 六尊 « liu zun », six petits trépieds et six tasses de vin qui symbolisent le respect des ancêtres ou bien des dieux auxquels ils sont offerts. Le passage du cinq au six est donc une sorte de valeur ajoutée.

En Chine, comme ailleurs, vieux ou jeune, d’un statut social supérieur ou inférieur, riche ou pauvre, tout le monde aspire à une vie heureuse. Mais, on vient de le voir, la conception que l’on en a en Chine est un peu différente de celle qui prévaut en Occident. Le vin « six bonheurs en or » a donc gagné en très peu de temps un vaste marché. Cette publicité parue fin d'année 2004, a suscité une campagne commerciale générale avec le slogan « choisissez le Jin liu fu (six bonheurs en or) comme cadeau lors de la Fête du Printemps  pour laquelle  tout le monde se réunit à la maison ». Cette campagne publicitaire a provoqué une grande effervescence . Elle a eu comme  résultat brillant  une augmentation de chiffres d'affaires de 50% par rapport à l'année précédente. Dans les activités organisées par le secteur de la publicité  par la chaîne de télévisionCCTV et  par le Journal  du guide sur la publicité  en 2004, six bonheurs en or a obtenu deux grands prix nationaux: meilleure campagne général e pour l'activité annuelle du commerce et meilleur slogan parmi les différentes campagnes.

Il reste à comprendre pourquoi la mention « en or ». En Chine, l’amour de l’argent ne se cache pas, bien au contraire. Gagner de l’argent est non seulement synonyme de réussite, mais aussi (et peut-être surtout) synonyme de « perfection humaine ». L’or – en Chine comme en France – est certes le symbole de la richesse mais il n’est pas seulement le témoignage de la richesse par les bijoux par exemple. Cela provient du fait que pendant très longtemps, les transactions monétaires se sont faites réellement par lingots ou des parties de lingots d’or que l’on pesait, comme elles avaient lieu en France sous forme de pièces d’or. L’or avait donc une valeur « réelle ». C’est cette valeur réelle qu’il a gardée dans l’esprit des Chinois d’aujourd’hui : il ne se stocke pas, ce n’est pas, comme en France, une valeur de référence ou refuge pour ceux qui jouent en bourse, c’est de la monnaie au sens exact du terme, sans l’intermédiaire de pièces de monnaie ou de billets. Certes, depuis environ trois siècles la situation a changé et il y a longtemps que les Chinois pratiquent la monnaie. Mais la signification de l’or, elle, est restée traditionnelle. Par ailleurs, il faut savoir que dans l’alchimie chinoise (comme en France et en Occident), la transformation de métaux vils en or reste le gage de l’immortalité et de la connaissance absolue.

En plus des éléments Jia et fu que nous venons d’analyser, il reste encore 平安/ping an/ la sécurité qui fascine beaucoup les Chinois. Du point de vue de la signification de la tradition chinoise, Ping an  est destiné en principe à quelqu’un « couvert de sécurité », ce mot est aussi lié étroitement à la vie de l’homme. Dans la vie courante, les Chinois lui font porter beaucoup d’espoir, par exemple, 四季平安/si ji ping an/sécurité en quatre saisons, 富贵平安/fu gui ping an/ la richesse, noblesse et la sécurité, 岁岁平安/sui sui ping an/la sécurité pour toute l’année sont sur les lèvres de tout le monde depuis l’ancienne société chinoise. La conception de vie du peuple chinois est d’être en bonne santé et d’avoir toutes les chances. La sécurité est le besoin élémentaire dans la vie quotidienne. Nous interprétons facilement l’intention de la société d’assurances sur la vie : pourquoi reposer spécialement sur Ping an ? ces deux mots sont considérés comme le contenu central et la forme spéciale de l’affection de cette société d’assurance et identifient également le discours local. En voici deux exemples :

(1) 让每个家庭拥有平安
[Ran mei ge jia ting yong you ping an]
Traduction libre : Que chaque famille vive sous la couverture de la sécurité !

Cette publicité est divisée en deux grandes parties. Les deux tiers situées à gauche de la partie supérieure sont occupés par une grande photo de trois membres de la famille en couleur (représentant d’une famille moderne, la politique - parents et un enfant dans chaque famille, est en place depuis 1978), le reste, le tiers placé à droite de cette partie, c’est le logo de la société d’assurance en rouge et blanc. La partie inférieure montre l’image d’un père et d’une fille marchant au centre de la rue. Nous voyons deux discours : l’un - New photo se situe au centre de l’image, l’autre - Que chaque famille vive sous la couverture de la sécurité !a été inscrit à la même hauteur que ces têtes.

L’objectif de cette publicité est de montrer que la société d’assurance Ping an rend toute famille souriante et heureuse en lui donnant une certitude de sécurité.

(2) 生命悬于一线,平安更需保险 (voir le détail dans la partie sur le code linguistique)
[sheng ming xuan yu yi xian, ping an geng xu bao xian]
Traduction libre: La vie est suspendue à un fil, il est nécessaire d’avoir la sécurité pour avoir la sérénité.

Cette image est en deux couleurs. Le bleu est la couleur du fond, le blanc est destiné au discours publicitaire. Surtout ces deux caractères 生命/sheng ming/la Vie attirent beaucoup l’attention par les deux lignes prolongées vers les deux pôles qui proviennent de sheng ming/ la vie.

La forme de cette publicité suit des parallèles : vie et sérénité, suspendue et nécessité, fil et sécurité. Le rythme de cette forme donne au lecteur une impression de mise en scène poétique. Pendant qu’on l’apprécie, on commence à penser à ce que dit ce discours: la vie est suspendue comme un fil, nous devons la chérir.

La société Ping an, se présente comme réunissant d’une part la chance donnée par le Ciel (au sens chinois classique), et d’autre part la simplicité de l’ambiance antique et la vertu d’amitié. C’est une manière de nouer une opération du marketing par Ping an et la culture traditionnelle, confucéenne basée sur l’homme et la sincérité comme système éthique et moral. Il s’agit de la concurrence de l’entreprise moderne, en fin de compte, c’est celle de la culture de l’entreprise. « Ping an recherche à perpétuer non seulement l’excellence de culture du passé, mais aussi pour le futur, car elle la prend comme une pierre de fondation à partir de laquelle l’entreprise se développe. » a dit MA Ming Zhe, PDG de Ping an.

Notes
89.

Par Chen Hong, chanteuse chinoise célèbre. Le sens principal de cette chanson est :

Prends du temps pour aller voir souvent tes parents avec ton enfant

Rentre chez eux, avec ton époux/se et des sourires et des souhaits.

Maman te raconte toutes ses petites nouvelles qu’elle avait gardées pour toi,

Papa prépare un bon repas ;

Raconte tes ennuis à ta Maman

Parle du travail à ton papa

Fais même la vaisselle à la place de ta maman,

et des massages au dos et aux épaules de ton papa

Tes parents n’attendent pas ton soutien financier

Mais désirent seulement que la famille soit réunie.

90.

« zhu que men » se situe à la place où la famille impériale habitait il y a 500 ans. C’est une ressource géographique hors pair, cela coûte 10000 – 15000 ¥ /m².

Selon le Feng Shui, la rivière à gauche de la maison s’appelle le dragon vert, la voie à droite de maison, le tigre blanc. La montagne, située au nord, auquel l’arrière de la maison donne, s’appelle Xuan Wu, la montagne abrite du vent glaciel en hiver. La porte principale qui donne à la rivière est nommée comme Zhu Que, la rivière nous apporte du vent frais en été.

91.

En français, ce mot 家/jia/maison, demeure a aussi le double sens de maison et de permanence. Maison. Le mot « maison », en français vient, lui-même, de manere (latin), rester.

92.

Faire une pâte élastique et lisse, diviser la pâte en plusieurs parties que l’on roule en cordon.

En voici la recette.Couper les cordons en morceaux et aplatir les morceaux à la paume puis au rouleau jusqu’à obtenir une forme ronde. Mettre la farce au centre de chaque disque de pâte. Fermer par pression des doigts en donnant aux raviolis (jiaozi en chinois) la forme d’une demi-lune. Cuire les jiaozi à l’eau bouillante. Servir avec une sauce.

93.

Voir la publicité « Découpage de la fenêtre par grand-mère pour la fête du printemps).

94.

Entreprise Min Sheng a été fondée en 1926, c'est une des quatre entreprises les plus connues dans cette branche.

95.

Feng Lingyu et Shi Weimin, Aperçu de la culture chinoise, traduit par Tang Jialong , Beijing, Edition de Cinq Continents, P.193.

96.

Les Miaos forment une ethnie concentrée dans les régions montagneuses du sud de la Chine et du nord du Laos, de la Thaïlande et du Viêt Nam. La majorité des Miaos vivent dans des petits villages du Yunnan, du Guizhou et du Sichuan, trois provinces de Chine du Sud, où ils sont le plus souvent regroupés, par le gouvernement, en communes. Ils sont toutefois parvenus à conserver l'essentiel de leurs traditions culturelles.

97.

L’homme de bien est toujours libre et serein, tandis que 小人 (xiao ren) l’homme de peu, estsombre et anxieux. Ici c’est un conte moral. On aime la richesse, mais elle est venue par la bonne voie.

98.

C’est un code moral pour la vie en société avec une perspective humaniste. En effet, selon Confucius, un philosophe sage (551- 479 av. J.-C.), la « bienveillance » s’applique autant au comportement de l’individu qu’aux systèmes administratifs. Tout système social, doit reposer sur la « bienveillance ».