Le terme « Jeune »est devenu un mot séduisant dans le domaine publicitaire. Le « jeunisme » peut être considéré comme un fait de société : il faut être jeune, ou à défaut paraître jeune, synonyme de vitalité, de renouveau, de modernité, et … de charme. Pour les femmes, notamment, tout les invite à sauvegarder cette jeunesse, qui garantirait leur pouvoir de séduction et ferait reculer le moment de l’âge de retraite : il ne suffit pas d’avoir un métier valorisant, il faut encore qu’elles le pratiquent en gardant leur féminité, leur charme, autrement dit la fraîcheur de leur jeunesse. Il apparaît d’ailleurs qu’effectivement les femmes font aujourd’hui très attention à leur apparence. Tout ce qui peut évoquer l’harmonie fait de leurs partsl’objet de très grands soins : harmonie entre leur silhouette et leur habillement (il faut rester mince, comme une jeune femme ! … et il n’est pas rare que mère et fille échangent leurs vêtements), harmonie entre leurs visages et leurs mains qui peuvent trahir les uns ou les autresun avancementenâge. Dans la vie pratique, certaines ont recours aux médicaments, aux vêtements, d’autres aux produits de beauté et auxrégimes pour rester minces, et parfois même à la chirurgie esthétique (cette vogue commence également à atteindre les hommes). C’est pourquoi les publicités n’échappent pas à tout ce qui peut évoquer la jeunesse, etce mot est même utilisé dans la création publicitaire pour motiver l’achat. Nous avons choisi deux publicités comme exemples.
Signes extérieurs de jeunesse (Produit de beauté pour les mains)
Cette publicité comporte en quatre parties : la part la plus importante, située à gauche, montre en gros plan une main de femme tenant légèrement son épaule nue, alors que le bas de son visage est représenté bouche entrouverte. Au-dessous, dans un cadre cerné d’un trait blanc, on voitdes échantillons de différents produits destinés àprotéger les mains. Tout en bas de la page figurentdes informations détaillées sur les prix. La partie droite montre un texte assez long qui énumère des propositions de solutions au problème posé : fait-on assez attention au fait que nos mains peuvent dire notre âge ? En fait il s’agit de ce qu’on pourrait identifier comme une publicité rédactionnelle. 102
Le titre donné à cette publicité rédactionnelle est « Signes extérieurs de jeunesse », détournement d’une expression figée : « signes extérieurs de richesse », ceux-là mêmes qui sont à décliner au moment de la déclaration de revenus aux impôts. Reste que, contrairement aux « signes extérieurs de richesse, le fait de montrer des « signes extérieurs de jeunesse » peut plutôt augmenter sans risque notre capital de séduction et nous valoir quelques compliments.
Le publicitaire joue principalement sur le mot « jeunesse » inscrit en rouge, alors que le titre est en beige foncé et le texte en noir sur blanc, dans une typographie très classique (arial). Le texte met en valeur toutes les techniques et tous les soins possibles pour garder la jeunesse de ses mains, jusque et y compris la technique la plus récente, présentée (bien sûr !) comme la plus probante : IPL (la lumière intense pulsée). Cette publicité met ainsi en avant une série de produits, au motif qu’ils pourraient aider à montrer la jeunesse, à la surface même du corps, sur la peau visible : la main, au premier plan, est sans aucun défaut, lisse, sans ride, ni tache, elle s’appuie sur une épaule fine et harmonieuse, auprès d’un visage dont on ne voit que le bas mais qui montre un ovale parfait et des lèvres pulpeuses. Cette publicité propose comme approche technique de la jeunesse. C’est bien une forme désirable de perfection physique qui est exposée ici : qui ne voudrait pas être vu de cette façon et se sentir bien devant son propre miroir et surtout dans le regard des autres, regard que cette perfection ne manquerait pas d’attirer sur soi !
40 ans c’est bien, surtout quand on en paraît 30. (produit de beauté de la marque ROC)
Cette publicité se caractérise par une mise en page qui présente en plein centre et sur toute la hauteur, une très jeune femme souriante et dynamique, semblant sûre d’elle-même. Malgré une première apparence qui laisserait croire qu’on aaffaire à quelqu’un de décontracté (le corps est mis en scène dans une attitude détendue), il s’agit ici d’une pose du corps très étudiée, et même sophistiquée, qui rappelle le travail d'une star ou d’une « top mode ». On remarque également aussi, immédiatement, que cette jeune femme n’est pas de type européen, ce qu’il fait appel à ces nouveaux segments de consommation que représentent les femmes issues de l’immigration. Elle est très belle et sa peau est, en fait, claire, ce qui peut provoquer chez n’importe quelle femme.Le désir de lui ressembler
La partie rédactionnelle de la publicité, placée à droite, est surmontée par lenombre 10, écrit en gros caractères, laissant la place, au milieu du zéro, à l’inscription « ans de moins ». Tout en bas, se trouve uneinformation détaillée sur le produit,qui est censé faire apparaître le visage comme s’il avait 10 ans de moins. On notera que la première proposition : « parce qu’après 40 ans, la perte du collagène s’accélère » a une forme syntaxiquement incomplète : il manque une proposition principale assezfacile à reconstituer : « Il faut se servir du produit Roc, parce que …. ». C’est bien un effet d’évidence qui est suggéré ici. De même, le produit est présenté comme « nouveau » par une surimpression qui déborde de la photographie du tube du produit. Cette mention dans la publicitéest au même niveau que le nom du produit. Celui-ci estmis en valeur dans un rectangle bleu roi, couleur type de la marque, et écrit en très gros caractères. Le nom même de cette crème : « RETIN-Ox + » a pour but d'évoquerun produit très récent présentant une avancée importante dans le traitement des rides : le « Botox », dont l’usage en France n’est autorisé que depuis deux ans : c’est un dérivé du curare qui paralyse les muscles du visage, et par suite, élimine une partie des rides dites « d’expression ».
Le rédactionnel en petits caractères, à gauche d’une représentation du tube du produit, est tout entier dévolu à l’attribution d’une valeur scientifique pour les effets de ce produit, présentés comme observables,
« Scientifiquement prouvé :
* 10 ans de moins sur les rides. Etude clinique sur 37 femmes pendant 12 semaines.
** Test in vitro – Double le taux de synthèse du collagène ».
L’affirmation de cette valeur scientifique se trouve en quelque sorte validée par la convocation d’une « étude clinique » et de chiffres qui peuvent sembler exacts, donc sérieux et véridiques. Dans notre société, les chiffres sont, en effet, dotés d’une fonction d’objectivation, puisqu’ils sont censés être le résultat d’une mesure, produite par un instrument, et non relever d’une appréciation d’un sujet. Quant à l’affirmation : « doubler le taux de synthèse du collagène », elle accentue l’effet d’un discours savant en empruntant les termes qui pourraient être à l’œuvre dans un rapport scientifique (« doubler », « taux », synthèse », « collagène »). Cela étant dit, un essai clinique portant pendant 12 semaines (moins de trois mois !) sur 37 femmes, c’est un bien petit échantillon et un intervalle de temps bien court pour une démarche cliniqueafin de pouvoir administrer le moindre commencement de preuve.
Dans le premier quart de l’affiche, on trouve cette autre affirmation : “A 40 ans, on sait enfin qui on est ”, il est situé à la hauteur de la bouche de cette jeune femme et montre cet effet idéal après l’essai de ce produit RETIN – OX ” +.
Cette affirmation entre en résonance avec la dernière partie du rédactionnel, située, elle, sur une ligne traversant la quasi totalité de la publicité, dans le haut du dernier tiers de celle-ci, et partiellement en surimpression sur la photographie de la jeune femme (à la hauteur de ses genoux) : « 40 ans c’est bien, surtout quand on en paraît 30 ». Il y a là pour le moins un paradoxe, pour ne pas dire un défaut de logique. On laisse d’abord entendre que les femmes atteignent l’âge de raison à 40 ans (… ce n’est trop tôt ?) et qu’elles n’essaient pas (ou plus) d’être autres que ce qu’elles sont. D’une part, si les femmes s’assument, elles ne devraient pas avoir besoin de vouloir se rajeunir ni de paraître 30 ans si elles en ont 40. D’autre part, un minimum d’attention portée à cette photographie permet de juger que cette jeune femme a certes une posture qui évoque tout à la fois la décontraction, la force tranquille, l’assurance de la beauté que peut donner la jeunesse, mais aussi qu’elle n’a à l’évidence ni 40 , ni même 30 ans ... maisdisons plutôt une vingtaine d'années … C’est tout de même plus facile d’affirmer qu’on paraît 30 ans, lorsqu’on dit qu’on en a 40, alors qu'en faiton en a 20 !
Il resterait à savoir –ce que pour quoi nous n’avons, hélas, aucun élément de jugement-, si cette publicité est crédible aux yeux des femmes (notamment de 40 ans) et si au-delà de toute crédibilité, cette promesse publicitaire a fait suffisamment envie pour que les femmes achètent ce produit. C’est bien probable car nous avons trouvé d’autres publicités (que nous n’étudierons pas ici) faisant appel aux mêmes procédés.
C’est une forme de publicité que nous abordons plus loin dans cette thèse.