Conclusion

Le stéréotype est mobilisé non seulement dans la publicité française, mais aussi dans la publicité chinoise. Du point de vue culturel et traditionnel, nous pouvons trouver des points communs respectivement dans le stéréotype publicitaire de nos deux pays, c’est-à-dire qu’il y a des ressemblances, nous n’avons pas le droit de dire que le bonheur, la famille et la sécurité représentent absolument le stéréotype des Chinois, la vie et la jeunesse, stéréotype des Français. Nous tenons à indiquer qu’à un moment donné, un tel ou tel sujet occupe la place capitale dans la publicité avec le but stratégique de la communication.

Le stéréotype, que l’on pourrait donc définir comme un élément stratégique de communication, est souvent utilisé dans la communication publicitaire. Parce qu’il s’est formé (et transformé peu ou prou) au fil de l’histoire de nos sociétés, il manifeste une partie de la réalité sociale. En tant qu’association d’éléments acceptés par tous (idées et symboles, images et mots), ils touchent aisément ceux qui regardent les publicités où ils sont présents. Leur simplisme n’est pas ici le moindre de leur attrait et de leur efficacité. Le sens commun dont ils relèvent est une  sorte de savoir commun gouverné par une raison paresseuse (ratio ignitia), qui ne cherche pas à se remettre en question, qui se satisfait d’être à l’abri de tout esprit critique. Leur présence dans la publicité permet facilement à ces dernières de faire une impression considérable sur leur public. Ils inscrivent, en quelque sorte, un effet d’évidence –qui n’est pas identifié comme tel, ce qui est le propre des évidences. En révélant ou en attisant le désir de tel ou tel groupe, sinon d’une communauté, et non pas d’un seul, la publicité étayée par des stéréotypes provoque des réactions collectives, mais aussi des adhésion individuelles. Par exemple, recourt à la nostalgie du passe et à la nostalgie religieuse.

On aurait ainsi tort de considérer le discours publicitaire, jusques et y compris lorsqu’il emprunte des stéréotypes, comme un reflet du fonctionnement de nos sociétés et de la réalité sociétale. Ce n’est pas si simple ! Si le stéréotype reflète quelque chose, c’est plutôt la dynamique des changements dont toute société est le siège. Indice de l’évolution sociale, il désigne telle ou telle permanence des valeurs ET telle ou telle modification de la société à un moment donnée. Toute société vivante évolue constamment, ici lentement, là rapidement. Il faut donc suivre ces changements si nous voulons la prendre comme référents de la publicité.

Par exemple, les vacances, qui étaient impossibles pour les Chinois à l’époque où on pratiquait le système de l’économie planifiée (sauf pour les enseignants et les élèves) sont devenues l’un des thèmes dont nous parlons le plus en famille, entre amis, entre collègues, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les vacances occupent, parallèlement, une place nouvelle et de taille sur les panneaux publicitaires, en Chine. En France, la Twingo, qui a été à l’origine plutôt conçue pour les jeunes conducteurs, est en réalité entre les mains de leurs parents, voire de leurs grands parents. De même, toujours en France, la femme n’est plus comme il y a quelques dizaines d’années reléguée dans la zone grise des êtres sans séduction au motif qu’elle aurait atteint un âge canonique. Le fait que nombre de ces stéréotypes ou d’expressions figées ne sont mis en œuvre dans les publicités qu’avec un détournement de forme et de sens (« signes extérieurs de richesse », versus « signes extérieurs de jeunesse ») constitue d’ailleurs un indicateur de ces mouvements qui travaillent une société.

Si l’on préfère, ces stéréotypes dans nos publicités – leur détournement- accompagnent, plus ou moins synchroniquement, si ce n’est contribuent à impulser des changements dans notre conception du monde social et de notre présence dans ce monde.

Au-delà, ces stéréotypes, et davantage encore, la façon dont ils sont mobilisés dans les publicités françaises comme chinoises sont exemplaires du caractère « dialogique » de tout énoncé. Pour M. Bakhtine, d’une part, « tout énoncé (discours, conférence, etc.) est conçu en fonction d’un auditeur, c’est-à-dire de sa compréhension et de sa réponse » 103 . D’autre part, « l’énoncé (son style, sa composition) est déterminé par l’objet du sens et par son expressivité, c’est-à-dire le rapport de valeur que le locuteur instaure à l’égard de l’énoncé » 104 .Il y a plus, ajoute M. Bakhtine, car « les choses sont autrement plus complexes. Un énoncé est un maillon dans la chaîne de l’échange verbal d’une sphère donnée (…) Un énoncé est rempli des échos et des rappels d’autres énoncés auxquels il est relié à l’intérieur d’une sphère commune de l’échange verbal. Un énoncé doit être considéré, avant tout, comme une réponse à des énoncés antérieurs à l’intérieur d’une sphère donnée (le mot « réponse », nous l’entendons ici au sens large) : il les réfute, les confirme, les complète, prend appui sur eux, les suppose connus et, d’une façon ou d’une autre, il compte avec eux 105 .

Clairement, le jeune chinois qui, incité à s’arrêter chez ses parents ou grands parents, ne peut être que parce que deux voix peuvent aujourd’hui s’entendre dans « cette sphère » : celle d’une tradition qui fait devoir à une génération de prendre soin de la précédente, et celle qui estime que cette sollicitude est passé d’âge, qu’elle ne correspond plus de fait au mode de vie des jeunes générations. Il ne fait aucun doute que cette « publicité » entre dans un vaste échange à l’échelle d’une société (plutôt urbaine, en l’occurrence) dont elle est l’un des maillons et que l’on peut y entendre les échos de ces autres énoncés que, jusque dans les stéréotypes et expressions figées qu’on y voit à l’œuvre ou altérés, pour certains, elle réfute et pour d’autres, elle confirme. On pourrait en dire autant, on l’a laissé entendre, des publicités relatives aux produits de beauté (« Signes extérieurs de richesse » et « À 40 ans, c’et bien, surtout quand on en paraît 30 »). On peut même parler de polémique, s’agissant de la publicité de Auchan « La vie. La vraie ». Ce qui s’entend ici, en écho, subtilement, ce n’est pas seulement la convocation d’une valeur partagée : la vie, ou son authenticité : la vraie. C’est, en creux, un propos contraire auquel cette publicité répond, propos selon lequel les grandes surfaces sont un univers artificiel vendant des produits industriels, tous identiques et sans particularité, inertes, pourrait-on dire, en place de nos anciens marchés et commerces d’autrefois pleins de vie où les artisans des métiers de bouche spécialement (boulangers, bouchers, etc.) vendaient leur production, authentique et fabriquée de façon traditionnelle, témoignage de leur talent.

Notes
103.

M. Bakhtine, Esthétique de la créationverbale, trad. De A. Aucouturier , Paris, Gallimard, 1984, p. 292.

104.

ibid., p. 298.

105.

ibid., p. 298.