VII.5.2.3. Nouveaux codes linguistiques dans l’interculturalité

Avec le progrès de la mondialisation culturelle, le monde semble s’être mué en un gigantesque « village ». C’est, du moins, ce que veulent faire croire certaines industries de la communication qui sont plus puissantes que jamais. L’échange est obligatoire ; c’est l’avenir. Mais si la mondialisation ne s’intègre pas aux particularismes culturels de chaque pays, le conflit est inévitable.

Le langage est un vecteur de la culture, il est aussi considéré comme une voie essentielle dans la communication interculturelle. Les différentes variantes de textes dans la communication traduisent la diversification et la richesse de la culture de toute nation, tandis que l’inter transfert de textualité exerçant dans les différentes langues marque une représentation considérable dans la société moderne. L’objectif de cette recherche consiste à comprendre l’obstacle du langage et à surmonter le malentendu dans la communication interculturelle. En élaborant de nouveaux codes, le travail créatif peut rend possible la communication interculturelle.

Dans la communication, en effet, les codes linguistiques jouent un rôle essentiel. Pour un produit, la traduction interprétative des codes verbaux du pays d’origine doit faire l’objet d’une étude sérieuse, car il faut que la culture étrangère soit bien acceptée par les habitants du pays d’accueil. Si on veut rendre manifeste une identité culturelle étrangère, cela nécessite une re-création. La bonne traduction doit produire un effet magique, sinon, et éviter d'aller à l’encontre de la volonté de communication. Nous savons que la mondialisation et la culture locale sont les deux composantes problématiques du processus d’intégration culturelle. Leur opposition et leur cohérence coexistent dans les échanges. La cohésion de cultures différentes est concevable si la mondialisation est en phase avec la culture locale. Cette dernière enrendant manifeste sa particularité est un facteur de mondialisation culturelle, car la mondialisation composée de différentes cultures doit chercher à recouvrir les cultures locales.

Nous savons que les éléments constitutifs de la culture et les facteurs de la communication présentent des caractères proches. La culture s'appréhende comme un ensemble très complexe et très diversifié de représentations et d'objets structurés par des relations et des valeurs incluant lestraditions, les normes, les religions, les arts... La transmission des produits de la pensée, mais aussi la diffusion des valeurs, tout comme les incitations à la consommation s'effectuent selon des processus spécifiques de communication. Comme M. Guidère l’a écrit : « D’abord, la définition de la traduction en référence au sémantisme des énoncés relègue au second plan les aspects communicationnelles, fondamentaux en publicité. Ensuite, la possibilité d’une telle traduction dépend avant tout de la nature et de la portée des ressources expressives des langues naturelles, lesquelles sont différentes et inégales. Enfin, les différences entre énoncés originaux et traduites ne sont pas créées tant par les représentations sémantiques des langues source et cible que par les écarts contextuels et culturels du lieu d’émission et de réception ». 127

Dans ce cas, nous nous demandons si l’objet de la traduction est bien un système de publisignes 128 servant à la communication commerciale. Mathieu Guidère a créé un nouveau terme tout en utilisant la composition lexique : publi+signe pour définir le signe publicitaire tout en développant la théorie de Roland Barthes sur le signe linguistique, le signe iconique et le signe plastique. De son point de vue, le publisigne est aussi défini comme un signe qui est déterminé par un énoncé publicitaire dans lequel il s’intègre en vertu de la relation effective et une face figurative. Comme la pièce de monnaie, le publisigne acquiert le sens du message, il s’impose à l’interprétant. C’est un acte d’instruction. Le publisigne se caractérise par deux éléments : d’une part une référencialité et d’autre part une fonctionnalité. Sa contribution nous permet de réfléchir à la signification publicitaire d’une façon particulière, car le publisigne représente une globalité intégrant des savoirs qui relèvent aussi bien de l’énonciation que de l’interprétation. Et plusieurs questions peuvent alors être posées : le système de signes reste-t-il inchangé lors du transfert d’une langue à l’autre ? Comment se fait le transfert de la pratique langagière ? En somme, quel est le fondement sémiotique de la traduction publicitaire ? Nous pouvons faire appel ici à quelques exemples de publicité pour montrer, à partir d’expériences tant positives que négatives, les qualités de l’information et de la communication publicitaire dans les échanges et les traductions.

Remarquons d’abord que l’abolition des distances géographiques révèle l’étendue des distances culturelles, même à l’intérieur d’un pays où on partage la même langue. Ainsi , un véritable choc culturel se manifeste entre les habitants du sud de la Chine et ceux du nord. Ce pays possédant 56 nationalités et 33 provinces, parce que la culture est considérée comme une expression, unemanifestation singulière de l’individu, d’une part, et d’autre part, comme un code à tous, de communication. Nous pouvons prendre comme exemple une marque de cravate « LION D’OR » en français (金狮) [jinshi] en chinois. La raison pour laquelle cette publicité n’a pas gagné le marché chinois est que la prononciation de la marque « LION D’OR » [jinshi] est la même que celle de « l’or perdu » (金失) [jin shi]. De plus, au sud de la Chine de nombreux commerçants s’inquiètent beaucoup à proposde leur chiffre d’affaire. A leur avis, il vaut mieux éviter le risque d'une telle interprétation erronée.

Après cet échec, le nouveau slogan publicitaire, l’« OR VA VENIR », en français (金利来) [jin li lai] en chinois, a remplacé « LION D’OR » (金狮) [jinshi]. Cette nouvelle terminologie satisfaitles habitants de la Chine dusud et de Hongkong désirant faire fortune : ellea un très grand succès. Elle leur donne l’impression que d’abondantes ressources financières vont couler vers eux. C’est toujours la même cravate, produitepar la même entreprise, mais la publicité lui donne unsort complètement différent.

Uneautre marque, Nike, nous montre que la mauvaise interprétation d’un slogan publicitaire peut provoquer un choc culturel. Ainsi, dans un premier temps, le slogan de Nike était « Just do it » : il a été interprété en chinois à Hongkong comme Je fais comme je veux, ce quiaplongé les Hongkongais dans une grande perplexité. Comment les jeunes peuvent-ils faire tout ce qu’ils veulent avec cette paire de chaussures ? Cette interprétation linguistique a provoqué de vives discussions. Pour un Hongkongais, il ne faut pas faire ce qu’on veut, il faut faire ce que l’on doit. Celui qui n’arrive pas à se maîtriser, sera critiqué et accusé de donner un mauvais exemple. Les Hongkongais gardent une conception de l’éducation conforme à des modèles traditionnels ; ils diffèrent en cela des Américains qui encouragent les jeunes à faire preuve depersonnalité. Cette discussion a pris fin lorsque Nike a effectué une modification interprétative « Faites comme vous le devez » au lieu de « Just do it ».

A propos de la traduction verbale, le langage fait partie de la culture, et il est aussi vecteur de culture. Il véhicule l’identité d’une nation fondée non seulement sur son histoire et sur l’ensemble de sa culture : sur la conception, sur son mode de vie et de pensée. Culture et langue entretiennent des rapports étroits. Par exemple, Lancôme est traduit en chinois comme 蓝寇/lan kou/ L’orchidée naissante pour certains, feuille d’érable bleue pour d’autres ; L’Oréal comme 欧莱雅/ou lai ya /la distinction naturelle de l’Occident, en Chine ce nom est devenu synonyme de luxe; Auchan comme 欧尚/ou shang/ à la mode de l’Europe. CARREFOUR 129 et IKEA dont nous allons parler ci-dessous sont des exemples de la réussite la plus grande sur le marché chinois pour l’interprétation interverbale. Ces deux entreprises ont compris comment conférer de la valeur culturelle afin de susciter au maximum le désir des consommateurs chinois. Toutes deux ont choisi une stratégie culture conquête dans leur traduction de la langue étrangère dans la langue locale, en utilisant le concept très important en Chinede 家/jia/la famille.

Le terme « Carrefour » désigne un endroit où se croisent plusieurs routes, plusieurs chemins, plusieurs rues, or il a complètement disparu dans la transcription de la raison sociale : Carrefour en chinois 家乐福, /jia le fu/, famille/joie/bonheur. Jia Le Fu (Tout pour le bonheur de la famille) est bien différente de la signature de la dernière campagne publicitaire de l’enseigne en France : « Mieux consommer, c’est urgent ». Si nous disons que la traduction de Carrefour est très originale et très morale, c’est parce qu’elle convient à tout le monde. On n’a utilisé que la ressemblance phonétique pour modifier le discours : sa traduction en chinois correspond étroitement au concept familial des Chinois.

Si nous détachons les syllabes du terme français « CARREFOUR » selon la prononciation chinoise, nous avons ainsi: « JIA », qui signifie la famille, pour la première syllabe « CAR », « LE », qui signifie la joie, pour le deuxième syllabe « RE », et « FU », qui signifie le bonheur, pour la dernière syllabe « FOUR ». Ce séquençage transforme le terme français unique «CARREFOUR » en trois termes chinois « JIA LE FU »: la famille + la joie + le bonheur. Dans la culture chinoise, la famille est synonyme d’espoir pour toute la nation, car l’image de la famille heureuse est très gratifiante. Ainsi la traduction en chinois du mot « Carrefour » procure une satisfaction non seulement visuelle, mais aussi psychologique.

Nous voyons que les deux signes (discours ancien et nouveau) ont une ressemblancephonétiquemais sont différents dans leurs références. Il ne s’agit pas seulement d’un mécanisme de transfert iconico-linguistique, il s’agit véritablement d’une opération de « sémiotisation » qui s’exerce à la fois sur le langage et sur le monde dans lequel le publisigne s’intègre.

Ce nouveau signe tire sa signification de la relation implicite ou explicite avec l’énoncé original, il est l’équivalent du publisigne, mais on peut dire que c’est un simulacre : les deux discours représentent ni tout à fait les mêmes réalités, ni tout à fait des réalités différentes. Ce constat révèle une conséquence de l’interculturalité. Comme l'a ditDominique Wolton dans « l’autre mondialisation »: « La mondialisation de l’information, au lieu de rapprocher les points de vues, est le plus souvent un accélérateur des divergences d’interprétation. » 130

Dans la publicité de IKEA, nous observons également une adaptation locale dans la création publicitaire. Pour mieux s’adapter au marché chinois, elle a fait appel au concept de famille, le nom d’IKEA, entreprise suédoise, est traduit en deux mots : 宜家 [Yi jia], faciliter la maison. Ce discours publicitaire génère chez les Chinoisun grand désir et à partirde là un grand succès commercial de l’entreprise. Cette marque est ainsi devenue à Pékin la première dans le domaine de la vente des meubles. « IKEA » est un acteur important qui comme « CARREFOUR », joue trèsbien sur la scène internationale.

En tant qu’expression culturelle, toute publicité procède d’une vision particulièredu monde et porte les signes d’une appartenance culturelle bien marquée. Enfin en tant que préalable culturel, la publicité soumet le réel à une logique spécifique, susceptible d’influencer notre perception et notre appréhension des objets et des êtres. Ainsi la traduction dans ce cas-là,est-elle appelée à remplir son rôle de médiation interculturelle. Comme nous le savons, certains concepts qui s’expriment bien dans une langue n’ont pas d’équivalent dans une autre. La traduction vise à insister davantage sur le message publicitaire qu’elle véhicule, au lieu de chercher à restituer le sens original, parce qu’il n’y a souvent aucune relation terme à terme entre les notions auxquelles chaque langue renvoie. Ce qui est fréquent se présente comme une recréation, une traduction libre avec la vie culturelle des sociétés contemporaines.

Pour résumer, nous avons montré tout d’abord que le langage n’est pas seulement verbal, mais revêt également une dimension culturelle dans cette analyse, et que tous les codes interprétatifs varient d’une culture à l’autre. Le langage culturel présente une certaine autonomie par rapport au langage de la sociabilité, autonomie caractérisée par l’expression d’une sublimation symbolique dans laquelle nous exprimons et représentons les systèmes symboliques de la culture. Ensuite, à partir de cette signification, nous avons vu que la traduction pouvait devenir un moyen d’une circulation, d’un transfert d’identité symbolique d’une langue dans une autre – d'une culture dans une autre. Enfin, dans le combat menépour promouvoir un produit ou une marque, l’identité symbolique exprimée grâce à la traduction n’est pas seulement suscitée pour des raisonsde concurrence commerciale, mais aussi, pourla conception et pour l’ajout d’une valeur culturelle.

Notes
127.

Mathieu GUIDERE, Publicité et traduction, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 58.

128.

Mathieu Guidere, publicité et traduction, fait un seul mot publisigne du signe linguistique, du signe iconique, et du signe plastique.

129.

Carrefour s’est installé en Chine depuis 1995, il s’y est rapidement développé dans une vingtaine de grandes villes chinoises avec 90 succursales en 12 ans.

130.

Dominique Wolton, L’autre mondialisation, France, Flammarion, 2003, p. 200.