En Europe, le recours à la séduction, voire à l’érotisme dans l’image ne peut pas trop étonner. « L’utilisation du sexe dans la publicité française est globalement bien acceptée en France. » 136 La France a connu une vague du « porno chic » à la fin des années 1990. Depuis lors, cette pratique publicitaire s’est développée en exploitant les codes photographiques des supports de charme pour repositionner et rajeunir les marques. En voilà deux exemples :
Jean Paul Gautier
L'image montre un jeune couple nu. L’homme est placé derrière la femme, lui tenant les seins à pleines mains. La femme se distingue par la blancheur de sa peau. Au premier plan à droite une bouteille de parfum portant le nom de « classique ». La bouteille est habillée d’un bustier, style guêpière.
La femme à la peau blanche et l’homme à la peau foncée appartiennent à un vieux code de représentation des corps à partir de la Renaissance. Au XVIe et XVIIe siècle, déesses, dieux, satyres et nymphes étaient souvent bruns pour les hommes et blancs ou rose très clair pour les femmes. Ce traitement s’inscrit bien dans le nom du parfum : « Classique », classique comme cette époque de la peintures. La sexualité est, ici, distanciée par la référence à la culture.
Opium (Publicité pour le parfum d'Yves Saint Laurent)
Cette image se composede deux parties. En haut à gauche en gros caractères le nom du parfum « OPIUM », et au-dessous, celui de son créateur, en bas, le flacon reflété par un miroir. A droite Kate Moss, un mannequin célèbre. Elle est assise contre des miroirs, ce qui fait apparaître trois images de femmes. Emergeant du noir secret, en sous vêtements évocateurs : guêpière et bas, le mannequin évoque le trouble des sens, l’interdit de l’opium et son irrésistible attirance. Elle a quelque chose de la triple représentation de l’épouse de Shiva symbole de la puissance vitale de l’amour : une sorte de femme aux corps multiples qui connotent sa puissance érotique.
En ce qui concerne la représentation du désir dans cette publicité, nous mentionnerons trois points qui sont dans l’ordre de la séduction : le regard, la gestuelle et le maquillage. La couleur noire évoque à la fois l’élégance, le mystère, un espace d’intimité. A l’inverse, le rouge du flacon réalise un équilibre iconographique. Le rouge suggère la vie, ilbrille comme un guide, et appelle le bien-être.
Le nom du produit lui-même : Opium, suggère l’addiction, dès qu’on en a fait l’expérience, on a de la difficulté à l’abandonner.
Le reflet du personnage de Kate Moss devant la glace crée un effet esthétique. Avec ce parfum, nous pouvons entrer dans cet univers, et comme ce mannequin susciter le désir. Opium est présenté comme un « piège délicieux », à double effet, trouver la plénitude personnelle en calmant les désirs les plus secrets, et ce faisant, démultiplier son pouvoir de séduction. Sans doute peut-on aussi retrouver, dans la mise en scène de cette publicité, une évocation de la fameuse scène du film d’Orson Welles, « La Dame de Shanghai ». La référence à l’opium se trouve, ainsi, complétée par la référence au Shanghai mythique des années trente - quarante. Nous nous retrouvons, ici, devant une forme d’articulation de la culture chinoise et de la culture française dans la médiation de la publicité, la communication publicitaire se situe, de cette manière, dans une logique esthétique et culturelle.
Leçon No15 savoir dire non (Publicité pour Aubade)
Une femme assise montre ses sous-vêtements : soutien-gorge, collant brodé…Son discours « Leçon No15 savoir dire non » imite la leçon d’un manuel qui « apprend à savoir dire non ».
Cette publicité procure à la fois une impression fascinante et troublante. Le texte « Leçon No15 : savoir dire non » placé sur le corps de cette femme à l’intérieur d’un rectangle blanc – ancien symbole de la censure télévisuelle en France - contraste avec le soutien-gorge attirant et provocant. L’expression « dire non » dans ce discours connote, sans doute, pour cette femme, l’intention de se faire désirer. Quant au carré blanc, il indique bien clairement l’emplacement du sexe. La marque de sous-vêtements Aubade communique depuis des années : « leçon N°5 savoir dire non ». Avec ses autres numéros (plus de 61 leçons) elle invite successivement le lecteur à des cours de séduction.
De l’analyse de ces exemples, nous pouvons dégager les différentes significations de la représentation du corps dans la publicité française :
D’une part, il y a une forme d’universalité de la représentation du corps : quelle que soit la catégorie sociale d’appartenance ou l’origine géographique, le corps humain est le même, et, en ce sens, sa représentation peut éveiller, dans toutes les situations de communication, une identification symbolique du lecteur.
D’autre part, les formes du corps humain ne changent pas dans le temps : il y a une pérennité des formes du corps humain, qui expriment la pérennité des prescriptions du discours et de l’image publicitaire qui mettent en avant des objets et des pratiques sociales.
Par ailleurs, en représentant le corps, la publicité fait appel à la subjectivité et suscite une identification plus proche de la part du lecteur. La figuration du corps situe la communication dans un espace symbolique de l’intimité, qui se caractérise par une grande proximité des échanges et des représentations.
Enfin, la signification de la représentation du corps dans la publicité s’inscrit dans une logique éthique et politique. En effet, la publicité s’inscrit dans une conception libérée de la culture et de la communication dans l’espace public. Elle libère ainsi le désir du lecteur, des normes et des restrictions en vigueur dans les pratiques et les usages de la communication.
Philippe Malaval et Jean-Marc Décaudin, Pentacom, Toulouse, Pearson Education, 2005, p366.