VIII.2.2. La subjectivité et l’esthétique

Dans le livre « la médiation culturelle », B. Lamizet parle encore de la subjectivité : la subjectivité se situe entre les deux formes d’idéal : l’idéal de soi et l’idéal esthétique, elle achève de se constituer par le processus de la reconnaissance. Dans les pratiques sociales, l’expérience esthétique joue un rôle important au cours du processus de constitution de la subjectivité, parce qu’elle instaure des repères, elle peut donner du sens à son engagement dans les pratiques sociales qui font d’elle un sujet de culture et de médiation. Les exemples suivants sont une série de publicités pour Nespresso, et « Un musée savoure 365 jours de vie artistique ».

Trois publicités sont successivement apparues fin 2005 pour NESPRESSO: D’abord, le boire du regard; Décider de lui appartenir; Laissez-le vous livrer son âme.

Dans la première publicité, une femme tient une capsule de café concentré, objet du message ; c’est une nouveauté : le café en grains, en poudre, insaisissable, devient un objet préhensible. Dans cette séquence, la capsule est placée devant l’œil comme s’il s’agissait d’un instrument permettant de mieux voir. Image ou métaphore ? Une recommandation accompagne l’image : D’abord, le boire du regard. Le regard qui est incarné en haut à droite a une fonction non négligeable dans la transmission du message, très fréquemment, il joue de la prunelle/fait de l’œil. Sous le logo de ce produit, on voit encore des mots Le café corps et âme.

La deuxième image montre le visage et la main droite d’une femme dont l’annulaire est surmonté d’une capsule de produit en guise de bague. Tel un diamant, le produit accroche la lumière. Ces éléments, tels que le profil de la femme, la bague et la tasse de café semblent émerger de la nuit ; ce contraste leur donne une grande présence : plus chic, plus séduisante et plus « porteuse ». Ce chic est lié à Nespresso dont une capsule orne le doigt de la jeune femme, à la manière d’une bague, témoignage d’amour.

Dans la troisième version même jeune femme porte une capsule violette sur son front. On a l’impression qu’elle vient de recevoir un traitement chez un psychologue ou il s’agit d’un signe rituel qu’on porte sur le front; au centre de la page de droite est placée une tasse de café sur une soucoupe. Laissez-le vous livrer son âme nous interpelle en haut de la page. Qui est « le » ? C’est toujours le café corps et âme dans le but de nous prouver son effet. Sa confidence est pleine de promesses : elle vous enchantera.

Nous remarquons la présence dans les trois publicités de l’image en plongée de la tasse de café déposée sur sa sous tasse (elles mêmes produits Nespresso). L’angle de prise vue dématérialise l’objet et lui confère une valeur esthétique accentuée par le contraste des couleurs : brun chaud et blanc crème.

L’usage du noir dans trois publicités permet de mettre en scène une situation que le publicitaire nous laisse imaginer, en nous donnant quand même quelques indices : une femme dont l’expression est empreinte de désir, un rédactionnel qui est comme une visualisation de ce que la femme pense secrètement : « décider de lui appartenir », « le café corps et âme », le laisser « livrer son âme ». C’est donc bien une histoire d’amour, de désir qui est mise en scène. Il n’agit pas d’un désir brutal et pulsionnel, mais d’un désir raffiné et élégant, apanage des gens appartenant à la haute société.

Le spectateur anticipe son plaisir gustatif et olfactif (goût et odeur) par la perception de l’image et par la lecture des discours suggestifs. Guidés par les points clairs de cette série de publicités comme prisonniers de l’image, nous recherchons dans l’obscurité, notre image élégante et notre corps idéal. « Ce que je désire en cet objet (sexuel ou non) qui m’attire, c’est le désir que je lis dans le regard de mon voisin. » 146

一个美术馆,品味365天的艺术生活
[yi ge yi shu guan, pin wei 365 tian de yi shu sheng huo]
Traduction littérale: « Vivre 365 jours de vie artistique dans une nouvelle cité »
(Publicité pour la construction d’un complexe immobilier : jardin des roses - Shi Dai)

Au premier plan de la publicité ci-contre, les deux éléments comme deux crochets encadrant le personnage suggèrent d’une part la qualité des matériaux de la construction et symbolise d’autre part un art moderne.

Cette image présente une femme en tenue sportive, les yeux fermés, assise sur un trône, dans une position du bouddha. Elle est adossée à un support où sont disposées deux bougies allumées, ses deux mains tiennent deux lotus symbolisant la croyance bouddhiste. Elle éprouve dans son nouveau cadre de vie un bonheur semblable à celui que lui procurerait un musée tout au long d’une année.

Cette publicité propose d’unir l’art et la vie. Une nouvelle cité y a été métaphorisée comme un musée, l’intention du publicitaire étant d’immerger les acheteurs potentiels dans une ambiance artistique et culturelle. Le sourire et l’attitude de la femme « bouddha » expriment la sérénité et la plénitude que lui procure sa vie dans ce quartier. Dans le discours « Vivre 365 jours de vie artistique dans une nouvelle cité », les deux caractères品味/pin wei signifiant « goûter » donnent au lecteur l’impression de participer à ce bonheur. Cette publicité montre que ce nouveau quartier, calme et agréable à vivre contraste beaucoup avec les autres, et le lecteur peut s’identifie littéralement à la star assise pour avoir la même sensation qu’elle.

Notes
146.

Le titre de l’article est le maître de l’esclave et Zarathoustra, Ecrit par Pierre – Marc de Biasi, in Magazine littéraire « Le désir – de Platon à Gilles Deleuze », N°455 7-8-2006, p.53. Pairs,