IX.2. La publicité et l’économie

Dans la culture française et dans la culture chinoise, la référence à des faits économiques dans la publicité montre que l’économie politique est devenue, comme toutes les autres questions politiques, une médiation symbolique du fait politique. La thématique de l’économie oriente toute une culture politique, à laquelle le public a accès, par les médias et l’information, par la naissance d’un nouveau type d’événement, les événements économiques 160 , par les références qui y sont faites dans le débat politique et par l’usage de la thématique de l’économie dans la publicité. La publicité s’articule entre la communication et l’économie, à propos de laquelle, Bernard Lamizet écrit: « l’économie politique de la signification s’inscrit dans un espace de représentation qui fait l’objet d’une appropriation individuelle des formes de langage et d’échange symbolique, l’économie de la communication s’inscrit, elle, dans une spatialité à l’échelle collective d’une appropriation sociale des systèmes de représentation, dès lors conçus comme systèmes de communication et de médiation institutionnelle de socialisation : d’ancrage des sujets dans le réel de l’ordre social. » 161

Dans la pratique sociale, personne n’échappe à la publicité commerciale. Elle colore nos pays, transforme nos vies, influence nos comportements. Envahissante, ludique, parfois choquante, souvent surprenante, ses objectifs demeurent toujours les mêmes : séduire, convaincre, informer, faire rêver pour vendre. La publicité a eu, dès sa naissance, une double fonction : économique et sociale. Elle a assumé d’autres fonctions par exemple fonction institutionnelle, fonction politique etc. avec le développement de la société. Elle a par ailleurs une dimension culturelle : par exemple, au fil du temps, l’affiche publicitaire est devenue un mode d’expression esthétique un art graphique, dont les créateurs sont comptés au rang des artistes (cf : Gray). Ce que nous avons envie de dire ici, c’est que la publicité, comme produit social, peut aussi refléter la diversité des activités économiques dans le cadre de l’interculturalité. C’est-à-dire que nous pouvons cerner des identités sociales à partir de la publicité économique. Les différentes représentations de la publicité constituent un support significatif pour évaluer le développement économique et social d’un pays. La publicité met en relation l’économie et la société : elle assure l’évolution de l’économie, elle décrit le développement de la société. Nous prenons une publicité française comme exemple :

0,03 euro le kilo de chauffage. Qui dit moins ?  (Publicité pour la société Gaz de France)

Une scène de charcuterie surprenante : un radiateur à gaz, bien reconnaissable à son thermostat est accroché au mur entre des saucisses et des saucissons. Le rédactionnel indique « 0,03 euro le kilo de chauffage. Qui dit moins ? »

La publicité de GDF joue sur un double chocs : 1) un radiateur à gaz accroché au mur d’une charcuterie nous donne une impression visuelle étrange ; 2) un chauffage qui se vend au kilo est non moins étrange. L’image donne l’impression que l’on achète le radiateur comme on achète la charcuterie : au poids ! Par ailleurs, le fait qu’il soit suspendu à un crochet comme s’il s’agissait d’un morceau de charcuterie signifie que l’énergie est devenue un bien de consommation comme un autre. Depuis les crises de l’énergie des années soixante-dix (liées, en particulier, au « premier choc pétrolier » de 1973), l’énergie est devenue un argument de politique économique, et elle a fini par entrer dans le quotidien des ménages, comme en témoigne cette assimilation de l’énergie de chauffage à une denrée alimentaire. Mais cette économie politique de la quotidienneté est désormais l’affaire de tous : Etats, grandes sociétés et citoyens qui sont engagés à adapter leurs pratiques de consommation aux conditions économiques.

Quant au slogan « Qui dit moins ? », c’est la déformation humoristique d’une formule classique, « Qui dit mieux ? », qui s’emploie, par exemple, lors des ventes aux enchères. On demande, ainsi, s’il y a, dans l’assistance, quelqu’un qui propose une meilleure offre, et qui est alors ce que l’on appelle un « mieux disant », c’est-à-dire qui dit mieux, qui propose une meilleure offre, c’est-à-dire un prix plus intéressant, plus avantageux.

On joue ici sur les mots pour attirer l’attention du public : quand on parle du mot «  kilo », on pense tout de suite au poids ; C’est ce qui justifie la référence à la charcuterie. En utilisant le préfixe de deux unités différentes (kilogramme et kilowatt), l’image nous invite à lier l’unité de poids à l’unité d’énergie, et ce d’autant plus que de la marchandise de consommation quotidienne est associée à un produit de cette haute technologie qui fait désormais partie de notre vie de tous les jours. En outre, la référence à l’alimentation a été de tous temps dans la culture française un repère des prix et de l’économie. Ne dit-on pas une chose qu’on a achetée a un bon prix : « je l’ai eu pour une bouchée de pain » ?

La juxtaposition de la charcuterie et d’un radiateur électrique montre que nous nous trouvons dans une « période en transition »162 entre la tradition et la modernité. Le saucisson tranché nous informe que cette transition est en cours. L’astérisque nous renvoie à des informations plus concrètes. GDF popularise le projet du gaz naturel, parce que le gaz naturel est une bonne énergie pour le chauffage, l’eau chaude et la cuisson. C’est une énergie économique. GDF assimile deux unités, kilogramme et kilowatt/heure pour que les consommateurs considèrent le projet d’adoption du gaz comme source de chauffage est aussi facile à réaliser que l’achat de la charcuterie quotidienne. Le slogan de GDF en bas de page : « Ici, là-bas. Pour vous. Pour demain. » signifie que votre choix serait bénéfique non seulement à vous même, mais aussi à la Terre. C’est un appel de la modernité, certes mais aussi à un souci écologique pour l’humanité.

Dans le discours de la médiation publicitaire, l’économie fonde une rhétorique particulière. Il y a, ainsi, désormais, une rhétorique de l’économie, une rhétorique fondée sur une argumentation et une thématique de nature économique, comme il existe d’autres formes de rhétoriques de communication. Nous avons encore deux groupes de publicités concernant les vacances et la banque pour développer notre analyse afin de découvrir la relation entre la publicité et la rhétorique l’économie.

Notes
160.

Il est vrai que ce type d’événement est, sans doute, né avec la grande crise économique de 1929, qui fut un événement pour trois raisons. D’une part, elle s’inscrit dans le prolongement de cet autre événement qu’a été la guerre « mondiale » de 1914-1918. D’autre part, elle constitue un événement parce que les médias en rendent compte quotidiennement et parce que, grâce à leurs récits, à leurs illustrations, à leurs reportages et à leurs commentaires, ils font de cette crise un véritable événement politique et historique. Enfin, elle constitue un événement parc e qu’elle s’inscrit dans la chaîne d’interévénementialité qui va mener à la deuxième guerre mondiale. Pour toutes ces raisons, la crise de 1929 constitue un événement, et elle inaugure un modèle d’événement, l’événement économique, auquel appartiennent les crises monétaires, les dévaluations, les crises boursières, et, comme vous le montrez, la référence à l’économie dans les autres formes de médiation comme la publicité.

161.

Bernard. Lamizet, Les lieux de communication, Liège, Mardaga, 1992, p. 222.

162.

« C’est une société dont l’économie abandonne les principes du socialisme autoritaire pour se rapprocher des mécanismes de l’économie de marché. C’est aussi, bien entendu, une société que l’on n’ose pas vraiment dire « en développement » - parce que ce terme fait, lui aussi, l’objet d’un code -, mais une société qui se rapproche de la « modernité », c’est-à-dire du système de civilisation des sociétés industrielles occidentales. » selon Dominique Colomb dans « L’essor de la communication en Chine », publié en 1997, L’Harmattan, p.11.