IX.3. La publicité et la légitimité scientifique

La médiation publicitaire a élaboré, ainsi, une forme scientifique de la rhétorique. Elle a élaboré une rhétorique de forme scientifique, qui se fonde sur l’usage de termes scientifiques, d’images et de représentations expérimentales, de toute une présentation scientifique des discours et des expressions.

En Chine, il existe peu de publicités commerciales et institutionnelles fondées sur la crédibilité scientifique et on les trouve la plupart du temps dans les revues spécialisées. Elles ne sont donc pas proposées au grand public ; toutes raisons pour lesquelles il ne nous est pas possible d’en présenter dans cette partie du travail.

En Occident, pour le commun des mortels, la preuve par la science valide le discours. Un grand nombre de publicités recourent à cette « foi » dans la science : les formules « scientifiquement prouvé », « les chercheurs ont montré que … », « la recherche scientifique de telle entreprise montre que … ». En Chine, on retrouve un parcours parallèle mais différent où le recours à la tradition remplace le recours à la science.

La publicité Vichy Dercos illustre bien ce type de rhétorique, qui articule les formes du discours publicitaire et les formes d’énonciation du discours scientifique.

(1) Vichy Dercos (Publicité pour un produit anti-chute des cheveux)

Les deux tiers de la page sont occupés par une coupe microscopique de la peau réalisée sur le fond noir. Tout est réuni pour donner une impression de sérieux, de solide qui s’associe à quelques éléments scientifiques – le gros plan et la couleur noire bleutée renforcent l’impression de sérieux et attire le regard sur la partie gauche où en petits caractères sont données verticalement les preuves de l’efficacité du produit : (1) efficacité Aminexil : test in vitro ; (2) efficacité Aminexil SP94 TM : test d’usage réalisé auprès de 240 sujets ; (3) efficacité Aminexil : test technique réalisé en milieu hospitalier auprès de 130 sujets avec Aminexil contre placebo. Il y a aussi des termes de laboratoire qui accentuent la forme scientifique de la publicité.

En haut à droite : l’identifiant VICHY (une marque presque centenaire) liée à la station thermale de Vichy qui produit des eaux minérales et des produits cosmétiques, est associe en lettres plus petites au mot « laboratoires » qui confirme le caractère scientifique du produit. La partie inférieure identifie le produit DERCOS AMINEXIL SP 94 TM (™ déposé) au nom très scientifique dont l’efficacité est affirmée par le texte au-dessous : les mots « ancrés », « racine » et « épais » ont une valeur sémantique forte, et la durée du traitement très courte de six semaines vise à persuader le consommateur potentiel. Trois photos montrent que le traitement est efficace, depuis les chutes légères jusqu’aux alopécies avancées. L’esthétique du référent. En bas à droite, la publicité montre un flacon de médicament, garantie de son caractère scientifique et sérieux.

(2) La peau qui mange bien. (Publicité pour Garnier)

L’image est constituée en principe d’un tableau et d’un pot de crème, pris sur fond noir ; les mots importants et le produit en vert exposent le caractère du produit.

Ce nouveau produit est destiné aux soins régénérants du visage. Pour assurer la crédibilité auprès des consommateurs, l’argumentation scientifique utilisée pour le secteur cosmétique est associée à l’argumentation diététique basée sur les OMEGA 3 + 6 et Magnésium.

La peau est considérée, dans cette publicité, comme si elle réagissait à l’instar du cœur et des vaisseaux. Le produit est présenté sous une forme d’aliment, placé dans une cuillère comme si on allait le manger. Le rapprochement dermato/cardiovasculaire est confirmé par le tableau d’arguments scientifiques…La mise en page en bas à droite confirme la stratégie scientifique du produit en affirmant « Garnier Haute Technologie Naturelle », et le produit lui-même est appelé « Nutritionist ». Le nom scientifique (en anglais) rappelle la « nutrition », un autre argument est donné « Garnier, partenaire du Congrès Mondial anti-âge 2005 ».

La publicité surfe sur la vogue des « alicaments » (aliment et médicament) et sur celle des omégas. L’idée du publicitaire est de lier la cosmétologie à la diététique, usant dans ce cas d’une image osée : la peau qui mange bien. Cette idée n’est pas totalement nouvelle et on la trouve depuis longtemps sous la forme de « nourrir la peau » avec des crèmes. Ce qui est nouveau, c’est le franc passage du cosmétique à l’alimentation.

On peut aussi remarquer une claire allusion à la conduite automobile : les trois pastilles, verte orange et rouge rappelle les feux tricolores alors que, séparant Oméga 3+6 et Magnésium, un cercle doté d’une étoile à trois branches suscite l’analogie avec le logo de la marque Mercedes. Le produit est donc présenté comme un « véhicule » haut de gamme.

(3) Une avancée capitale dans l’anti-âge (Publicité pour Avène)

La forme de cette publicité est différente des publicités précédentes : elle utilise une méthode bien identifiée, mais relativement peu utilisée.

La forme est celle d’un article scientifique ou d’un reportage sur un sujet.

En fait, le contenu du texte débute avec un style objectif discret et progresse peu à peu vers la publicité d’un produit précis.

Ainsi le lecteur ne croit pas qu’il s’agit d’une publicité mais d’un article relatant une découverte scientifique importante. Ce style de publicité est utilisé en particulier pour des produits chers qui sont déjà connus.

Le texte débute par le fait que les « Laboratoires dermatologiques Avène », en collaboration avec une équipe de recherche scientifique suisse ont découvert un nouvel actif, le HAF, acide hyaluronique fragmenté, ce qui éloigne tout de suite l’esprit du lecteur des secteurs commerciaux et industriels. En réalité, on peut trouver entre les lignes ce que la publicité veut promouvoir : le RAL, dérivé de la vitamine A, a un double effet sur le renouvellement cellulaire et sur la luminosité du teint ; les HAF, fragments intermédiaires d’acide hyaluronique, dont la taille idéale, ni trop grosse ni trop petite, leur permet de se lier aux cellules, qui grâce aux HAF, se restaurent et retrouvent leur fermeté. Ce produit est à l’avant-garde d’une nouvelle génération de soins anti-âge, Eluage, le duo crème et gel concentré d’Avène attaque l’âge sur tous les fronts – fermeté, profondeur des rides, luminosité du teint : ce produit procède bien d’une avancée capitale dans l’anti-âge.

Cet aspect scientifique et « non publicitaire » est encore renforcé par la possibilité, le quasi conseil, de s’adresser pour confirmation à un pharmacien, ou d’écrire au « docteur en pharmacie » du groupe.

Enfin, notons que le nom choisi pour le produit est Eluage, qui combine le verbe éluder et le mot âge : éluder l’âge. Eluder, c'est-à-dire, selon le Trésor de la Langue Française, éviter quelque chose par quelque artifice, s'y dérober avec adresse. Artifice et adresse : une forme de définition de la science appliquée.

Cette rhétorique scientifique est interprétée en quatre après l’analyse de ces exemples :

D’une part, il s’agit de donner, ainsi, à la publicité, une légitimité. Le recours à une terminologie scientifique et à une forme scientifique d’énonciation confère à la publicité une légitimité fondée sur le recours à une forme symbolique. C’est la rhétorique scientifique ainsi élaborée qui donne à la publicité la légitimité d’un véritable discours qui peut, ainsi, se donner la forme d’un discours d’autorité.

D’autre part, par le recours à cette rhétorique scientifique, la publicité entend précisément se déguiser en une autre forme de discours : elle fait semblant de ne plus occuper, dans l’espace public, la place de la communication publicitaire, mais bien celle du discours scientifique, de la rigueur, du discours qui apprend et doit s’apprendre, plutôt qu’il ne séduit. Il y a là une forme de déguisement rhétorique de la communication et de l’énonciation..

Par ailleurs, dans cet usage du langage scientifique, la publicité entend tenir un certain rôle dans le progrès. Elle entend concourir à l’élaboration d’un progrès dont les consommateurs sont présentés comme les bénéficiaires. De cette façon, la publicité assume les formes classiques de l’idéologie du progrès qui a tendance à ne pas critiquer le progrès scientifique ni le progrès technique, mais, au contraire, à les présenter comme de véritables valeurs nécessairement positives.

Enfin, en utilisant, ainsi, une rhétorique de forme scientifique et technique, la publicité s’inscrit dans un courant beaucoup plus général qui est celui des médias. Dans l’espace public, les délimitations ont tendance à s’estomper entre l’usage scientifique de l’information par les acteurs de la recherche ou les intellectuels et son usage politique ou idéologique par les médias. On peut dire, dans ces conditions, que, par le recours à une telle rhétorique scientifique, la publicité joue, dans l’espace public, le même rôle que les acteurs scientifiques qui viennent s’exposer en commentant l’actualité et en servant de caution aux acteurs politiques et aux médias eux-mêmes.