IX. 4. Ruptures et conflictualités dans la communication publicitaire chinoise

Dans les activités médiatisées, nous ne pouvons pas penser la communication sans, en même temps envisager les conflits et les ruptures. Dans la vie réelle, la communication repose sur la reconnaissance de l’identité comme fondatrice de la dimension symbolique de la subjectivité. De ce point de vue, une communication réussie est intelligible de façon cohérente à la fois dans sa dimension réelle, dans sa dimension symbolique et dans sa dimension imaginaire. S’il apparaît une discordance entre ces trois plans, cela entraîne inévitablement une tension et les partenaires de la communication deviennent les acteurs d’un véritable conflit. On peut, en général, comprendre les termes d’un tel conflit, dans la communication publicitaire, à partir de l’analyse des formes signifiantes et de la rhétorique de la publicité.

On peut prendre ici l’exemple de deux publicités chinoises dont les référents sont caractéristiques – ces publicités mettent en scène, respectivement, un lion et un dragon – pour expliquer comment la situation conflictuelle créée par la mise en scène de la communication entraîne une impossibilité de communication entre la publicité et ses lecteurs.

霸道,你不得不尊敬
[ba dao, ni bu de bu zun jing]
Traduction littérale : Les Lions ne doivent pas ne pas saluer Prado.

Prado, tu dois absolument saluer.

Cette publicité a été diffusée en 2003 dans la revue « Club des automobilistes ». Sur cette image, nous voyons deux lions saluer la voiture nommée Prado qui passe devant eux. Le rédactionnel intime aux lions l’ordre de saluer la voiture : « Les Lions ne doivent pas ne pas saluer Prado ».

Dans la culture traditionnelle chinoise, le lion (狮子shi zi) par sa force et sa taille ainsi que le dragon龙 (long) par son caractère fantastique et irréel, symbolisent le pouvoir et la victoire, l’autorité et l’inviolabilité du pouvoir impérial. C’est pour ces raisons que l’on dressait des statues de lions devant les portes des palais, mais aussi, de manière plus courante devant les mausolées, les temples, les sépultures, les résidences nobles ou celles de riches personnages, les extrémités des ponts, et ….devant les restaurants. Des intellectuels prennent souvent le lion comme symbole de la Chine dans leurs œuvres littéraires et artistiques.

Cette publicité pour la voiture japonaise à destination de la Chine se fonde sur le lion symbolique et lui fait saluer le modèle japonais lui faisant ainsi abandonner son statut hiératique et supérieur tout en hissant à la voiture à son niveau. Cette publicité qui s’est servi d’un symbole fort en Chine a été très critiquée et a complètement échoué (entraînant une baisse du chiffre d’affaires de l’entreprise). A cela il y a deux raisons : 1) le lion « protecteur » de la maison « ne salue pas », bien au contraire, c’est lui qu’on vénère. 2) le lion chinois salue le produit japonais !! Du fait du lourd passé de conflits entre la Chine et le Japon, cela a été vécu, non seulement comme une incongruité, mais aussi comme une sorte de retour en arrière douloureux.

Voilà encore l’exemple d’une autre publicité qui se heurte au même conflit en raison d’une mauvaise interprétation de la culture locale dans la communication publicitaire. Cette publicité concerne. la laque Li bang Elle a pour but de vanter la qualité de cette laque, qui est si glissante qu’elle fait tomber le dragon enroulé autour du poteau. Cette représentation de référence, celle de dragon considéré comme symbole de la Chine a suscité la colère des Chinois car la publicité, forme culturelle, n’a pas respecté leur tradition et la culture des Chinois. En effet le dragon est aussi un symbole de la Chine, comme le lion.

Parmi les grandes figures représentatives de la Chine, la plus influente est celle du dragon 165 . Les Chinois se disent métaphoriquement ses descendants et le dragon joue un rôle fondateur dans la constitution de l’empire et de la nation chinoise. A partir de la dynastie des Han, le dragon jaune est considéré comme le symbole de l’empereur et du pouvoir. Par la suite, les empereurs se présentèrent tous comme l’incarnation du dragon qui les aidait à exercer leur autorité et à consolider leur pouvoir. Le dragon jaune est l’emblème impérial par excellence et le symbole des fonctions royales. A ce titre, le motif du dragon décorait donc tout ce qui concernait le Fils du Ciel : la robe qu’il portait, la chaise à porteur qu’il prenait et le palais qui l’abritait. Aujourd’hui encore, le motif du dragon est le plus représentatif des motifs animaux chinois, le plus chargé de vitalité et le plus omniprésent dans les thèmes décoratifs. Pendant les grandes fêtes traditionnelles, on continue à pavoiser les rues avec des images de dragon et à présenter sa danse. On rencontre aussi son image sur les objets artisanaux et dans la décoration intérieure et extérieure.

Les deux publicités analysées ci-dessus révèlent l’ignorance de l’inconscient collectif chez les publicitaires. Ce conflit dans la communication est provoqué d’abord par la mauvaise compréhension des signes culturels de sociétés différentes, ensuite par la différence de valeur morale et conceptuelle et, enfin, par l’opposition des normes et des religions. Nous pouvons dire que ce conflit se déroule largement hors de l’espace de la représentation, parce qu’il constitue une rupture de la spécularité au lieu d’être considéré comme des relations intersubjectives.

Nous voulons dès lors mentionner la réussite d’une autre publicité pour la voiture japonaise de même marque sur le marché français. Elle ne provoque pas de conflit dans la tradition et la culture des Français, auxquelles elle ne faisait pas de référence choquante pour les consommateurs (contrairement à la publicité chinoise précédente). Le produit est même bien accueillie et bien vendue grâce au discours publicitaire de la marque : « La combinaison Toyota : la formule magique contre les imprévus ! » Cet exemple montre qu’une bonne publicité demande non seulement une belle forme, mais aussi la bonne connotation correspondant à l’inconscient collectif des consommateurs locaux. En effet dans la communication existent des limites culturelles et morales qu’on ne peut pas franchir : la culture d’un pays constitue une médiation, une articulation entre l’espace social et la pratique individuelle du sujet.

Une des raisons pour lesquelles on ne trouve pas ce genre de stratégie publicitaire en France est probablement le caractère évolué parce que déjà ancien de la publicité qui sait éviter les écueils (ici la référence dégradante à la culture traditionnelle), alors que la publicité chinoise beaucoup plus récente est prête, par souci d’efficacité, à « faire flèche de tout bois » manquant souvent de discernement.

Notes
165.

Son apparence est composée d’éléments empruntés à d’autres animaux qui, eux, sont réels : tête de chameau, cornes de cerf, yeux de lapin, oreilles de buffle, nez de serpent, ventre de grenouille, écailles de carpe, griffes d’aigle, pattes de tigre, moustaches et barbe de bouc. Parmi les 117 écailles decarpes qui couvrent son corps, 81 d’entre elles sont yang (阳), les 36 autres étant yin (阴).