La contribution de Benoît Duplain à l’entreprise d’édition des bibliophiles

Le bibliophile Pierre Adamoli se veut de participer à la sauvegarde et la transmission de textes et d’œuvres précieux. Il va contribuer à la publication d’un certain nombre d’ouvrages, dont deux avec Benoît Duplain dans le cadre de l’association avec son frère Pierre. Il s’agit de la Meygra entreprisa d’Antoine Arène et des Œuvres de Louise Labé. Les bibliophiles ont retenu ces titres par un goût commun pour la littérature française du XVIe siècle. Ces deux entreprises ont été très bien étudiées par Yann Sordet, nous allons ici en donner un rappel 100 . La Meygra entreprisa paraît sous le format in-octavo et à vingt-huit lignes par fidélité à l’édition originale d’Avignon de 1537. Cent soixante exemplaires dont cent quarante sont imprimés sur papier ordinaire, la vignette du titre tirée en noir ; dix exemplaires sont imprimés sur papier fin de Hollande, la vignette tirée en bleue ; dix exemplaires de choix imprimés sur grand papier, la vignette tirée en bleue. Les frères annoncent la parution de l’ouvrage et son caractère exceptionnel dans les Affiches de Lyon du 9 juillet 1760, « Rien n’a été épargné pour le choix du papier & la netteté des caractères ». La distribution des exemplaires aux contributeurs se fait comme suit : un exemplaire au chancelier, un à Malesherbes (au titre du dépôt légal), un à l’intendant de Lyon, un à Teissier (neveu de Gros de Boze, ami d’Adamoli pour avoir dressé la copie du texte) ; un à Verger (chanoine de Saint-Antoine pour l’avoir revue et corrigée), un à Delaroche (l’imprimeur). Chacun des six associés du départ reçoit dix-neuf exemplaires. Les quarante restant sont partagés entre François Rigollet (le libraire qui a fourni l’exemplaire de travail) et les frères Duplain (chargés de l’édition). Adamoli bénéficie d’un régime de faveur à la hauteur de son implication dans l’affaire. Il reçoit sept exemplaires en grand papier, un imprimé sur papier de Hollande et cinq exemplaires communs. Après la réception des sept exemplaires, les Duplain lui en doivent encore douze autres. Il semble ne jamais les avoir reçus car ils ne sont pas consignés dans son catalogue domestique. A partir de 1766, Pierre Adamoli dit avoir cessé de fréquenter la boutique de Benoît Duplain. Voilà probablement l’origine du différend entre Pierre Adamoli et Benoît Duplain.

‘[Benoît Duplain] m’en veut depuis quelques années parce que j’ay un fond de mépris pour luy, qu’il s’est attiré, et que je n’achepte plus rien dans sa boutique ; cependant je n’ai jamais fais d’autre mal à ce misérable que d’avoir achepté de luy pendant l’espace de quinze années pour vingt mil francs de livres bien payé ; il me fit il y a quatre années deux fortes impertinences que j’ay méprisé sans luy en rien témoigner que de le quitter brusquement à cet époque, n’ayant plus mis les pieds dans sa boutique ; mais je continue d’aller chés son frère aisné [Pierre Duplain] qu’il déteste 101 .’

Le deuxième ouvrage qui a fait l’objet de l’attention de la part d’Adamoli et de ses amis sont les Œuvres de Louise Labé 102 . Elles furent éditées pour la première fois en 1555 puis 1556 chez Jean Detournes, une réédition s’annonce comme indispensable

‘L’on compte à peine deux exemplaires des œuvres de cette célèbre lyonnaise de la ville où elle prit naissance…. Nous avons cru rendre service au public de les faire réimprimés ; nous nous acquittons encore l’un des principaux devoirs que l’amour des lettres impose, par les recherches que nous offrons sur la vie de cette savante… hommage à sa mémoire 103 .’

L’exemplaire qui sert de base à la réédition est celui de 1556, propriété du Président Claret de Fleurieu. Il semblerait que la réédition confiée à Adamoli se préparait depuis plusieurs années. Ferdinand Delamonce 104 aurait exécuté des dessins préparatoires insérés dans les Oeuvres de Louise Labé 105 . Théorie étayée par l’article qui lui est consacré dans le Dictionnaire des artistes et ouvrier d’art de la France : Lyonnais, réalisé par Marius Audin et Eugène Vial

‘La particularité de l’existence artistique de F. Delamonce est la collaboration remarquablement fidèle que lui prêta Jean-Louis Daudet, graveur lyonnais, au nom de qui le sien est presque toujours associé. L’attribution certaine de l’œuvre de Delamonce est malaisée… Aussi bien, le fait que nombre de gravures exécutées d’après ces dessins portent des dates postérieures au décès de leur auteur laisserait supposer qu’il s’agit d’un autre artiste, peut être son fils. Il faut constater cependant, que, en raison des relations très suivies de Delamonce avec le graveur qui l’a généralement interprété, J.L. Daudet, il est vraisemblable qu’il ait laissé à ce dernier ses compositions pour les utiliser à son gré, et cette présomption devient singulièrement forte quand on retrouve, traduites par Louis Joubert, gendre et successeur de Daudet, des compositions qui sont, à n’en pas douter, de F. Delamonce 106 . ’
Photographie : exemplaire des « Euures de Louïze Labé » 1556
Photographie : exemplaire des « Euures de Louïze Labé » 1556

Sur l’exemplaire de 1762, les dessins inventoriés sont des vignettes et faux titres, retouchés par Donat Nonnotte 107 , peintre ordinaire de la ville de Lyon et gravés par le parisien, son ami Daullé. Les deux hommes se sont connus à Paris avant que Nonnotte ne quitte la capitale pour Lyon en 1754, et c’est certainement lui qui a fait appel à Naudé pour travailler sur les Œuvres. Le peintre Nonnotte en arrivant à Lyon découvre un nouveau contexte culturel et social. Les modes et les idées ne sont pas le fait des intellectuels et d’une élite cultivée, mais d’une bourgeoisie éclairée et de quelques familles nobles entretenant des relations serrées avec les milieux genevois et parisiens 108 . Nonnotte a signé les dessins pour les œuvres de Louise Labé, notamment le portrait de la poétesse 109 . Pour d’autres, la vignette Amours cordiers conservée dans la collection de Stoedel de Francfort représentant «Deux amours filants, eau forte, 95 X 110 mm, épreuve rogné, porte en pied à la mine de plomb, de la main de l’artiste » serait à attribuer à Jean-Jacques de Boissieu.

‘Cette vignette apparaît dans les œuvres de Louise Labbé sous l’invenit de Nonnotte et le sculpsit de Daullée. On ne saurait soutenir que cette petite pièce, qui est à mettre en relation avec les griffonnements des débuts de Boissieu, soit moins habile que la version de Daullé. A. de Boissieu constate justement que l’eau forte n’est pas de ce dernier maître ; M. Mals, inspecteur de l’Institut Stoedel confirme notre opinion 110 . ’

Jean-Jacques de , peintre et aquafortiste 111 , dessine une eau-forte de « Louise Labé jouant du Luth », « Gravé pour l’histoire de la vie de Louise Labbé, née à Lyon dans le 15 siècle », 1759 112 . Lors de la réalisation de l’ouvrage, Adamoli rencontre des difficultés avec « une âme vile et mercenaire » (qui peut bien être Benoît Duplain) et avec Jean Daullé (1703-1763). Adamoli reproche à ce dernier de « n’avoir pas donné assez de force à son burin et d’avoir mal respecté ses consignes » 113

‘Je donnai le dessin de la vignette où Louise Labé est représentée sur le Parnasse composant ses poésies ; j’avois mis Pégaze grimpant sur le Parnasse ; contre mon avis on l’a gravé sortant, et d’un tiers plus gros qu’il ne doit être, en s’écartant de toute proportion. L’amour décochant son dard devoit être aussi plus éloigné et prez de la bordure. M. Nonnotte, peintre à Lyon, a fait tous les autres dessins sur les esquisses déjà donné depuis plusieurs années par M. Lamons. Il les a corrigé et rectifié sous ma direction 114 .’

Le caractère bibliophilie de cette édition se manifeste par la place donnée à l’illustration, par l’utilisation de caractères typographiques riches et variés. Comme pour la Meyrgra entreprisa, une série d’exemplaires est produite : cent ving-cinq exemplaires dont vingt-cinq en papier de Hollande grand in-octavo, dont douze ont les vignettes planches et culs-de-lamps imprimés en camaiëu de bleu et les douze autres en noir. Tout le reste est imprimé sur du papier d’Annonay in-octavo, avec les figures en noir. Adamoli reçoit huit exemplaires, deux grand papier dont un avec planche en bleu et six ordinaires 115 .

Ces deux ouvrages ont gardé une très grande valeur bibliophilie de nos jours. Deux exemplaires ont été proposés dans une vente aux enchères publiques à Paris le 31 mai 2005 par la Maison Pierre Bergé & associés 116  : un des vingt-cinq exemplaires en grand papier fin de Hollande avec culs-de-lampe et vignettes tirés en bleu des Œuvres de Louise Labé et un des douze exemplaires sur papier fin de Hollande de la Meygra entreprisa. La mise à prix du lot s’est faite à cinq/six mille euros, il a été adjugé à cinq mille euros 117 .

Une place de choix a été réservée aux Œuvres sur une fresque lyonnaise située à l’angle du quai de la Pêcherie et de la rue de la Platière, dans le premier arrondissement de Lyon.

Photographie : fresque lyonnaise,
Photographie : fresque lyonnaise, La Bibliothèque de la cité
Page de titre : exemplaire de 1762 des « Œuvres de Louise Charly »
Page de titre : exemplaire de 1762 des « Œuvres de Louise Charly »

Notes
100.

Sordet Yann, Pierre Adamoli et ses collections : l’amour des livres au siècle des Lumières, Paris, Ecole des Chartes, 2001, 537 p.

101.

Lettre d’Adamoli à son petit neveu Blanchet La Sablière, Lyon, 27/9/1766 – BML, ms PA 55, fol. 78-80v ; Lettre du même au marquis de Migieu, Lyon, 26/9/1766 – ibid. fol. 80v-82

103.

Labé Louise, Œuvres, Lyon, Duplain, 1762, p. III-IV

104.

Ferdinand Delamonce nait à Munich le 30 juin 1678, il meurt à Lyon le 30 septembre 1753. Il a eu comme parrain l’Electeur de Bavière, Ferdinand-Marie, dont son père était l’architecte. Après un séjour à Paris et en Italie, il s’installe en 1731 à Lyon comme architecte, dessinateur, peintre et graveur.

105.

Sordet Yann, Pierre Adamoli et ses collections : l’amour des livres au siècle des Lumières, Paris, Ecole des Chartes, 2001, p. 327

106.

Audin Marius, Vial Eugène, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de la France : Lyonnais, Paris, Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1918, vol. 1, p. 255

107.

Donat Nonnotte (1708-1785), s’établit à Paris en 1728, fréquente J. Daullé, Boucher, Natoire et Boizot. Agréé à l’Académie royale de peinture en 1740, il est reçu en 1741 sur les portraits de d’ « Ullin fils » et de « Leclerc ». En 1737, il épouse Marie-Elisabeth Bastard de la Gravière. Les années 1740-1745 correspondent chez Nonnotte à des portraits de grand format représentant des femmes jeunes, de condition sociale élevée : des femmes de la noblesse ou de la Cour, des artistes renommées telles les actrices ou les cantatrices. Il se fixe à Lyon en 1751 où il est nommé professeur à l’école gratuite de dessin de Lyon en 1756, puis peintre ordinaire de la ville en 1762. Période où il peint des portraits de négociants lyonnais et de leurs épouses, de familles consulaires et de chanoines. In Audin Marius, Vial Eugène, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de la France : Lyonnais, Paris, Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1918, vol. 2, p. 73

108.

Derenne Sylvie, « Les Portraits de femmes dans la carrière de Donat Nonnotte, Bulletin des musées et monuments lyonnais, n° 3-4, 1992, p. 37

109.

Audin Marius, Vial Eugène, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de la France : Lyonnais, Paris, Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1918, vol. 2, p. 73

110.

Institut Städel à Francfort ( pp. 310-331)

111.

Jean-Jacques de Boissieu, (30.11.1736-1/3/1810) est fils d’un médecin lyonnais. Il apprend le dessin avec Lombard et la peinture avec Charles Frontier, professeur à l’Ecole de dessin de Lyon. Après avoir réalisé du dessin de fabrique, Pariset, marchand d’estampes à Paris l’engage à faire de l’eau-forte. Lors de son séjour à Paris en 1761-1764, il fréquente J. G. Wille, Wattelet, Greuze, Soufflot et le duc Alexandre de La Rochefoucauld. Il visite Gênes, Naples, séjourne à Rome (1764-1765), dessine dans les musées et surtout d’après nature. De retour à Lyon, il achète en 1771 une charge de trésorier de France. In Audin Marius, Vial Eugène, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de la France : Lyonnais, Paris, Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1918, vol. 1, p. 100

112.

Le dessin est conservé à l’Institut Städel à Francfort.

113.

Sordet Yann, Op. cit., p. 326

114.

Ms PA 298 (12), fol. 23v - BML

115.

Sordet Yann, Op. cit., p. 328

116.

Pierre Bergé & associé, Vente Livres et manuscrits, Mardi 31 mai 2005, [Paris], Drouot Richelieu - http://www.pba-auctions.com/