Les premiers pas vers l’anoblissement : achat de charge, alliances familiales

L’ambition de Joseph est de posséder une charge, afin de rejoindre à terme (vingt ans), la noblesse honorifique et fiscale et obtenir un produit financier. Les charges ont été créées par le Roi pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat afin d’alimenter la cassette royale. Tous les candidats au titre ne pouvant pas bénéficier de la noblesse perpétuelle, certains tentent leur chance en direction de la noblesse viager, ainsi se crée un marché autour des charges ce qui en provoque l’inflation. Cette noblesse se transmet par les enfants mâles uniquement après le délai de vingt années, aussi, à la veille de la Révolution, beaucoup sont-elles inachevées. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, à la moyenne ou petite noblesse de tradition se juxtapose, sans s’y fondre, la noblesse de robe ou de cloche, identique dans son mode de vie, comme dans son revenu, elle peut être symbolisée par le personnage du conseiller-secrétaire du roi. Une famille peut devenir noble en trois générations : le grand-père négociant, le fils conseiller secrétaire du roi, le petit-fils conseiller en parlement 148 . En acceptant pour des raisons fiscales de vendre des charges transmissibles, la royauté s’est exposée à l’accaparement d’une partie de la puissance publique, à la formation d’un de ces « corps intermédiaires » dont parlent les théoriciens et dont la « caste parlementaire » est l’expression la plus achevée 149 . Lorsque la charge est achetée, il faut prêter serment auprès de la Chancellerie mais elle n’entraîne aucune fonction. Elle permet l’exonération de la taille royale et celle des impôts locaux. Les échevins de Lyon acquéraient la noblesse à la fin de leur quatre années de mandat.

Le 25 novembre 1778, Benoît Muguet vend sa charge d’écuyer à Joseph Duplain pour la somme de soixante quatorse mille livres 150 . Le 17 septembre 1787, Joseph est nommé conseiller secrétaire du roi, maison et couronne de France, en la Chancellerie établie près du Parlement de Nancy, à la place de Jacques Neyron 151 , démissionnaire en sa faveur, le 10 septembre de la même année 152 . A cette occasion, Duplain prend des armes : Ecartelé, aux 1 et 4, coupé d’or à trois bandes de gueules, et d’azur à la couronne d’argent ; aux 2 et 3, d’argent à la croix perronnée de gueules 153 . Il rajoute à son nom la particule « de Sainte-Albine ».Dans aucun texte nous n’avons retrouvé l’origine de celle-ci. Peut-être s’est-il inspiré du nom de Pierre Rémond de Sainte-Albine 154 , censeur royal, rédacteur de l’Europe savante, du Mercure de France et de la Gazette de France 155  ? ou bien encore est-ce le nom d’une terre ? Un premier mariage 156 , célébré par André Mandiot, chanoine régulier de Saint-Antoine le 11 mars 1777, l’unit à Catherine-Sophie Terrasse 157 , mineure au moment de son mariage. Sont présents Claude Pitra, oncle maternel de l’épouse, Guillaume Terrasse de la Sablière, son frère, Jean-Marie Peyrard, beau-frère de l’époux, Jean-Antoine La Ferre, cousin maternel de l’époux. Antoine Terrasse 158 est le fils de Jacques Terrasse, un familier de Marcellin, ce dernier a co-signé le testament de Marcellin en 1730 159 . Catherine est mineure au moment de son mariage, elle est la fille d’Antoine Terrasse, négociant, marchand de dorures, officier de la Monnaie 160 , écuyer, conseiller, secrétaire du roi et de Jeanne Pitra, ils vivent au quartier Saint-Clair, paroisse Saint-Pierre et Saint-Saturnin 161 . La dot de Catherine est conséquente 162 , un immeuble rue Ferrandière, avec comme enseigne « Le Purgatoire », à l’angle de la rue Royale, évaluée à trente mille livres ; une action sur la construction du Pont sur le Rhône entre la porte de Saint-Clair et le Pont de la Guillotière, d’une valeur de dix huit mille livres, ce qui lui permet de recevoir le trentième du droit de péage du pont ; une somme de quatre mille livres en espèces. Le montant total de la dote étant de cinquante mille livres. Cette acquisition a été facilitée par l’abbé Laserre à qui Joseph Duplain devait trente six mille livres à titre d’honoraires pour la correction du dictionnaire « annoncé au public sous le nom de Pittet, libraire à Genève ». Sur ces trente-six mille livres, le bon abbé, qui habitait également rue Royale, lui en abandonne trente mille livres, en contre partie d’une rente viagère de mille huit cents livres par an, réduite à sa mort à quatre cents livres au profit de l’abbé Claude-Antoine Terrasse fils d’Antoine Terrasse. Retour, en quelque sorte, à la case départ 163 . Le 17 novembre de l’année suivante le couple a une fille, Jeanne-Sophie 164 qui épousera Guillaume Mazuel 165 le 7 Juin 1796 à la paroisse Saint-Roch Paris.

Dès 1779, Joseph fait des voyages à Paris pour préparer sa nouvelle vie, il l’écrit le 3 août à la STN, « Je suis venu à Paris pour une affaire… qui m’obligera l’année prochaine à une résidence de douze mois » 166 . Duplain « est actuellement à Paris pour se faire pourvoir une charge de maître d’hôtel chez le roi ou la reine, charge qui passe cent mille livres de finance » 167 apprend-on dans une lettre d’un libraire anonyme lyonnais à un libraire de Paris.

Il voyage avec son épouse, « une beauté lyonnaise », « se déplace en superbe équipage et même ses serviteurs prennent un air arrogant » écrit R. Darnton 168 . « Tout le monde est mécontent de M. Duplain, son luxe révolte bien des gens » s’indigne Panckoucke 169 . « On parle des richesses des librairies de Paris, mais y en a-t-il deux qui ayent équipage comme Duplain ? » 170 , « Les valets se ressentent de l’impudence du maître » écrit Revol écœuré 171 . En août 1780, le rêve se transforme en cauchemar, Catherine tombe gravement malade, toute la famille est affectée, principalement Joseph 172 , elle meurt le 3 septembre 173 . Revol reste intraitable devant la peine de Joseph

‘Jugez quel chagrin pour M. le Maître d’Hotel du Roy il semble que c’est un chatiment du ciel pour le punir de son avidité et de sa soif d’or aux dépend des uns et des autres, laissons cet homme de coté, il ne mérite pas que d’honnete gens s’entretienne de luy 174 .’

Le 1 septembre 1783, son deuil est terminé. Il réalise ainsi un mariage encore plus intéressant en épousant Marie-Jeanne Allier de Hauteroche 175 , fille de Benoît, chevalier, demeurant place de la Comédie à Lyon et de Jeanne Marie Rose Perron.

‘Le Sieur Duplain vient de se remarier à une fille de 17 ans, comme il est fort riche, ce mariage fait bruit 176 .’

Le mariage est célébré à Oullins dans la chapelle appartenant aux Allier d’Hauteroche le 1er septembre 1783 par l’abbé de Montazet en présence du Comte de Barjac et de Françoise Duplain. Marie-Jeanne lui apporte en dot soixante mille livres provenant de la succession de sa mère et dix mille livres de Marie Allier de Hauteroche, épouse de Milly, sa tante. Joseph Duplain s’allie à une famille prestigieuse. Son beau-père avait épousé en première noce Marie-Rose Perron, veuve d’un conseiller à la Cour du Roi de Pologne et électeur de Saxe et, en deuxième noce, Jeanne Marie Rosier, veuve de Laurent Belloty gentilhomme vénitien 177 . Ils auront trois enfants de ce second mariage, Benoît-Alexandre-Genest 178 né le 27 juin 1784 en la paroisse de St Pierre et St Saturnin 179 , Françoise 180 née en 1785 et Emé-Louis-Joseph 181 né le 4 août 1789 à Paris.

Notes
148.

Vovelle Michel, La Chute de la monarchie : 1787-1792, Paris, éditions du Seuil, 1999, p. 27

149.

Vovelle Michel, Op. cit., p. 48

150.

Vente d’office, Muguet, Duplain, 25/11/1778 – ADR, 3E5707

151.

Nommé le 5/8/1767, conseiller secrétaire, maison et couronne de France, en la Chancellerie de Lyon, à la place de Jean-Baptiste Sullignien, vint remplir les mêmes fonctions à Nancy, le 25/9/1776. Mahuet, Antoine de, Biographie de la cour souveraine de Lorraine et Barrois et du parlement de Nancy : 1641-1740, Nancy, 1919, p. 176.

152.

Jacques Neyron est le fils de Marcellin Neyron, échevin de Saint-Etienne et de Marianne Thiollière. Il épouse le 30 juillet 1767, Marie Vincent de la Bérardière. En 1767, il est conseiller secrétaire, maison et couronne de France, en la Chancellerie de Lyon, le 25/9/1776, il remplit les mêmes fonctions à Nancy. Le 18 octobre suivant Neyron est nommé conseiller secrétaire honoraire et devient maire de Saint-Etienne, représentant de la noblesse à l’Assemblée constituant. - Mahuet, Antoine de, Biographie de la cour souveraine de Lorraine et Barrois et du parlement de Nancy : 1641-1740, Nancy, 1919, p. 83.

153.

Mahuet Antoine de, Op. cit., 1955, pp. 83-120-176-177

154.

Pierre Rémond de Sainte-Albine (1699-1778), de l’Académie des Sciences et Belles-lettres de Berlin. Dans sa jeunesse a composé des petites pièces de « l’Amour au village, & de la Convention téméraire ». En 1761, il souhaite insérer dans la « Gazette », « l’annonce des ouvrages d’une certaine importance qui s’imprimeront à Paris », Malesherbes refuse. (in Bellanger Claude, Godechot Jacques, Guiral Pierre, Terrou Fernand, Histoire générale de la presse française, Paris, Presses universitaires de France,1969, vol. 1, « Des origines à 1814 », p. 164).

155.

Bellanger Claude, Godechot Jacques, Guiral Pierre, Terrou Fernand, Histoire générale de la presse française, Paris, Presses universitaires de France,1969, vol. 1, « Des origines à 1814 », pp. 191-193

156.

Mariage de Joseph-Benoît Duplain et Catherine-Sophie Terrasse, 11/31777 - AML, Film 288, n° 907

157.

Annexe 3, volume 2, p. 63

158.

Annexe 3, vol. 2, p. 62

159.

Testament de Messire Jacques Terrasse, Seigneur d’Yvours et de la Blancherie, 16/9/1730 - ADR, 3E4685

160.

Antoine Terrasse - ADR, Fonds Frécon, dossier rouge, volume XIII

161.

Mariage Duplain, Terrasse, 19/3/1777- ADR, 3E9565

162.

Mariage Duplain, Terrasse, 19/3/1777- ADR 3E9565

163.

19/12/1777 – ADR, 3E17415

164.

Annexe 4, vol. 2, p. 78

165.

Annexe 3, vol. 2, p. 45

166.

Lettre de Joseph Duplain à la STN, 3/8/1779 – STN, ms 1144

167.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie 1775-1800 : un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin, 1982, p. 292

168.

Darnton Robert, Op. cit., p. 292

169.

Lettre de Panckoucke à la STN, 10/7/1779

170.

Lettre d’un libraire lyonnais à un libraire de Paris, Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie 1775-1800 : un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin, 1982, p. 292

171.

Lettre de Revol à la STN, 25/11/1780 in Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie 1775-1800 : un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin, 1982, p. 292

172.

Lettre de Revol à la STN, 13/8/1780 - STN, ms 1205

173.

Lettre de Revol à la STN, 19/9/1780 - STN, ms 1205

174.

Lettre de Revol à la STN , 19/9/1780 - STN, ms 1205

175.

Annexe 3, vol. 2, p. 15

176.

Lettre de Louis Sébastien Mercier, avocat au Parlement de et littérateur français, à la STN, 5/9/1783 – STN, ms 1180

177.

Oullins - AM Oullins, RP 1779-1792, folio 103

178.

Annexe 4, vol. 2, p. 69

179.

Naissance de Benoît-Alexandre Genest Duplain, 27/6/1784 - AML, Film 291, n° 326

180.

Annexe 4, vol. 2, p. 76

181.

Annexe 4, vol. 2, p. 74