1.3.3 – Deux cousins à Paris

Changement de décor, l’histoire des Duplain se poursuit à Paris. Le premier à s’installer est Pierre-Jacques. Un courrier adressé à la STN en mars 1777 le signale commissionnaire et agent littéraire pour la librairie clandestine à Paris. Il propose ses services au public dans un prospectus imprimé qu’il envoie à la STN le 20 février 1778. Il se dit spécialiste des « livres vieux » 224 comme des « livres modernes » 225 . Il est en relation avec des « gens de lettres » 226 ce qui lui permet d’avoir sous la main des experts. Son rôle d’agent à Paris, donne la possibilité à ses clients d’avoir un interlocuteur dans la capitale, de leur simplifier les transactions et d’augmenter leur profit. L’impression d’ouvrages interdits en France fait partie de son activité, il négocie la transaction entre l’auteur et la STN tout en aspirant ou prétendant travailler dans le même esprit que son père :

‘En me confirmant aux principes d’honneur que j’ai reçu de mon Père je ne fais jamais une opération au dessus de mes forces, et que lorsque je fais la moindre entreprise c’est que j’en ai les fonds par devant moi, sans être obligé d’avoir recours à des moyens mal-honnetes, que je n’employerai jamais, c’est de cette manière que mon Père s’étoit acquis la confiance publique, et je ferai en petit ce qu’il faisoit en grand, pour mériter la confiance due à mon nom, quoiqu’il ait plu au Sr Joseph Duplain de l’en tacher, mais les fautes étant personnelles, l’innocent ne doit pas patir pour le coupable 227 .’

Nostalgique de son ancien métier, Pierre-Jacques entre de nouveau en apprentissage le 24 juin 1777 chez André-François Knapen, il est reçu officiellement libraire en juin 1784. Cette opération lui coûte mille cinq cent livres 228  : J. Pichenel dresse un tableau du « Montant des droits de réception à la maîtrise » dans lequel il indique que le fils de maître doit payer un droit mille deux cents livres (d’après l’arrêt du Conseil de 1777 libraire/imprimeur) 229 . « J’ai actuellement les bras déliés, mes sept années d’apprentissage et de compagnonnage étant terminées, je viens de me faire recevoir libraire, je vais donc réparer tant d’années de perdues » 230 . Il écrit à la STN pour leur annoncer la nouvelle et leur dire qu’il serait :

‘Flatté de faire quelques affaires avec vous qui soient avantageuses au deux parties contractantes, mais i faut être plus coulant dans les affaires. Je serai flatté de vous être utile dans ce Pays-cy étant très parfaitement ce tour à votre service 231 .’

Il exerce le métier de libraire de 1784 à 1804. Dans le cadre de son activité, il propose l’impression d’ouvrages interdits en France, comme les Lettres de deux curés des Cévennes sur la validité des mariages des Protestans, et leur existence légale en France ou bien Justification des protestans du reproche qu’on leur fait d’avoir causé des troubles, et des guerres civiles dans le Royaume (sujet traité dans la deuxième partie du chapitre deux, l’offre éditoriale des Duplain en France et en Europe) 232 . Le 12 avril 1787, Pierre-Jacques est suspendu de ses fonctions 233 pour avoir produit certains de ces livres. Il semble que ce ne soit qu’un avertissement puisque le 4 mai l’interdiction est levée par le Baron de Breteuil, la décision lui est rendue le 18 mai par Guillyn et traduite sur les registres de la chambre royale et syndicale de la librairie et imprimerie le 25 mai 1787 234 .

Il produit également des ouvrages licites :

Au même moment Joseph Duplain vient s’installer à Paris pour vivre de ses rentes, c’est-à-dire de l’argent gagné grâce à l’impression de l’Encyclopédie. Il découvre un monde nouveau, à la hauteur de l’ambition qui le dévorait à Lyon. Sera-t-il capable d’affronter les amis ou les ennemis qu’il va rencontrer dans la capitale ? La réponse est apportée dans le chapitre trois, les activités révélatrices d’hommes de génie dans la partie « Joseph-Benoît de Sainte-Albine ou le marchand d’argent ».

Cette première partie montre qu’une alliance entre une riche famille lyonnaise issue de la librairie avec une autre, sans fortune, originaire de Haute-Loire peut générer une puissante dynastie de libraires à Lyon. Les forces vives sont apportées aussi bien par les hommes que par les femmes, mères et filles. L’âge d’or de la famille se trouvant au moment de l’association des frères Duplain où l’on voit bien que l’union fait la force. Malgré cette assise dans la ville, des fonds de librairie prospères, la séparation des frères et la mauvaise entente entre leurs enfants vont avoir raison de leur succès. Les petits enfants de Marcellin ont-ils fait preuve de machance, ont-ils été maladroits dans leur gestion ? L’un, idéaliste, l’autre ambitieu n’ont plus leur place à Lyon dans le troisième tiers du XVIIIe siècle. Une seule alternative s’offre à eux, le rêve parisien !

Les Duplain font remonter leurs origines aux libraires Bachelu. Ils obtiennent le statut de bourgeois de Lyon avec une affaire florissante, une implantation au cœur de l’activité de la ville, une reconnaissance de leurs pairs, une maison des champs, une charge… Il a fallu soixante-dix ans pour que la renommée des Duplain soit à son apogée et cinq années pour tout anéantir. Louis Rosset et Joseph-Sulpice Grabit vont résister jusqu’à la Révolution pour finalement baisser les bras, ce sera la fin des héritiers de la dynastie à Lyon. Il est intéressant de comprendre les aspirations des deux successeurs au moment de leur arrivée à Paris. Joseph, déjà riche, se comporte en capitaliste né, privilégiant toutes les voies qui peuvent l’enrichir davantage et lui permettre de conserver ce qu’il a déjà gagné. Il achète la charge de maître d’hôtel du roi qu’il admire et qu’il défend avec force. Pierre-Jacques est plutôt un idéaliste qui ayant voyagé dans toute l’Europe s’est enrichi des courants philosophiques, il défend une cause et ne pense pas améliorer son quotidien ou assurer son avenir. Contrairement à leurs pères et grand-père, ils ne bénéficient pas de réseau de sociabilité dans la librairie. L’interopérabilité entre les familles s’est confirmée au fil du siècle par des relations amicales (Le Roy, Los Rios) ; de proximité (Delaroche, Deville, Périsse) ; d’union (Bachelu, Bruyset, Rosset) ; de vente de fonds (Grabit).

Notes
224.

Prospectus de vente de livres de Pierre-Jacques Duplain, adressé à la STN le 20/2/1778

225.

Ibid

226.

Ibid

227.

Lettre de Pierre-Jacques à la STN, 29/5/1782 – STN, ms 1144

228.

Lettre de Pierre-Jacques à la STN, 21/11/1783 – STN, ms 1144

229.

Pichenel Jérémy, Les Métiers du livre à Lyon au XVIIIe siècle : étude socio-professionnelle, Mémoire de maîtrise, Université Lumière Lyon 2, 1996, p. 95

230.

Lettre de Pierre-Jacques à la STN, 1/10/1784 – STN, ms 1144

231.

Lettre de Pierre-Jacques à la STN, 1/10/1784 – STN, ms 1144

232.

Lettre du de Pierre-Jacques Duplain à la STN, 30/4/1778 - STN, ms 1144

233.

Arrêt du conseil d’état du roi qui relève le Sieur Duplain de l’interdiction prononcée contre lui du 4 mai 1787 – BnF, FF, 22070, n° 67

234.

Ibid