Louis Rosset le Genevois

Louis Rosset 242 part de Viry près de Genève probablement au début de l’année 1757 pour aller rechercher un emploi à Lyon 243 . Louis-Benoît Rosset indique la date de 1758, or le Grand Livre des frères Cramer de Genève mentionne la présence de Louis Rosset, commis le 1er octobre 1757 244 . La route est périlleuse et les gredins ne manquent pas. Alors que son périple se termine, il se fait détrousser à Montluel par deux compagnons de route rencontrés la veille. Ils emportent avec eux « un sac bien garni » et trois ou quatre louis. Bien qu’il n’ait plus que seize sols en poche, Rosset arrive à Lyon, quai Saint-Antoine, dans le café d’un compatriote, Pierre Avel, marchand limonadier 245 . Ce café, situé derrière la rue Mercière, est peut être celui des libraires. Il est fréquenté par Pierre Duplain, « membre d’une maison respectable » qui, à la recherche d’un apprenti, rencontre Louis Rosset.

Arbre généalogique de la famille Rosset
Arbre généalogique de la famille Rosset

Le jeune homme appartient à une famille qui remplit « honorablement » la charge de notaire royal depuis trois cents ans. Son père Pierre 246 était notaire, son frère, Albert-Eugène, est notaire royal à Saint-Jullien près de Genève, et aussi son tuteur légal 247 . Louis est un jeune homme instruit, « aux talents agréables », possédant beaucoup de douceur et d’affabilité. Les frères Duplain lui accordent leur confiance, les trois hommes signent un contrat par lequel Louis entre en apprentissage dès le mois de mars 1758 248 . Très vite, l’intelligence de Louis, son savoir, sa docilité, lui permettent de remplir ses fonctions au-delà des espérances de ses maîtres. Son esprit délicat et enjoué n’échappe pas à Pierre-Jacques le fils aîné de Pierre qui le présente à son cercle d’amis et l’introduit auprès de sa mère. Madeleine Duplain a la réputation d’une femme « remplie d’instruction et de jugement », elle reconnaît immédiatement les qualités du jeune homme et lui permet « ses assiduités auprès de ses demoiselles ». Le choix de Louis va se porter sur la fille aînée, Andrée, qu’il épouse en 1770. Andrée bénéficie de cinq mille cinq cents livres de dot 249 . Louis, reçu libraire en 1768 250 , s’installe rue Mercière au numéro 18. En 1771, il achète le fonds de librairie de Pierre Deville.

En 1788, sa fortune est faite, il peut dépenser quarante mille francs par an sans toucher sa fortune, fait de « notoriété publique » affirme Louis-Benoît bien des années plus tard. Au moment de la Révolution, il achète la maison dans laquelle il travaille rue Mercière à l’émigré Lavalette pour la somme de cinquante cinq mille huit cents livres. Cette maison de deux mille deux cent quatre-vingt-neuf pieds quarré a un revenu de mille trois cents livres 251 .

La production de Louis Rosset 252 , réalisée entre 1769 et 1792, n’est pas très importante en quantité. Mais il publie des lyonnais célèbres, tels Pierre Poivre en 1769, Voyages d'un philosophe, ou Observations sur les mœurs et les arts des peuples de l'Afrique, de l'Asie & de l'Amérique ; Antoine-François Delandine en 1787 avec Le Conservateur, ou Bibliothèque choisie de littérature, de morale et d'histoire. Ou encore Charles-Joseph Mathon de la Cour, Lettre à M. de***, sur les Rosières de Salency, et les autres établissements semblables. En 1789, il s’associe avec Périsse pour produire le Prospectus des Œuvres de J.-J. Rousseau, de Gabriel Brizard et le Mémoire sur les foyers économiques et salubres de M. Desarnod. A son actif nous trouvons aussi deux publications médicales, le Traité d'odontalgie, où l'on présente un système nouveau sur l'origine & la formation des dents, une description des différentes maladies qui affectent la bouche, & les moyens de les guérir (1771) et Le Citoyen dentiste ou l'art de seconder la nature pour se conserver les dents et les entretenir propres… par M, Hebert (1778). Un seul catalogue de ventes livres a été identifié : Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Goy, ancien batonnier de l'ordre des avocats & membre de l'académie des sciences, belles-lettres & beaux-arts de la ville de Lyon, disposé par ordre de matières, dont la vente commencera le mercredi 13 du mois d'avril 1785.... Ce catalogue fait l’objet d’une fiche détaillée sur le site en ligne de l’Ecole des Chartes 253 . Benoît Goy 254 est avocat et académicien, il demeure place Saint-Jean à Lyon. Le catalogue recense mille cent quarante et un articles hors monnaies et médailles qui forment une catégorie à part. Celle-ci est subdivisée en médailles anciennes, médailles modernes et monnaies, l’ensemble représente quatre-vingt-deux lots. Les ouvrages sont de belle qualité, avec une priorité pour le domaine de la jurisprudence (436 titres), des belles-lettres (355 titres) et de l’histoire (391 titres)

Son activité européenne se réalise principalement avec les libraires européens, Boret et Martin de Lisbonne 255 . Nous apprenons, par l’abbé Duret, que Rosset a noué des relations avec Voltaire, nous n’avons pas poursuivi cette piste :

L'abbé Regnard allant aux eaux d'Aix y fait des chansons pour toutes les dames. L'archevêque de Tarentaise, témoin de son empressement indigné lui tourne le dos et ne veut plus le voir. Va voir avec Rosset, M. Voltaire et admis, et pour se recommander auprès de lui, s'annonce comme amateur de poésies et comme faisant des vers et des chansons. Eh M. l'abbé, lui répondit-il, chantez des antiennes. Cela est de votre état. Et ne faites point de vers - 1773 256

‘Voltaire assez mal et son secrétaire a écrit à Rosset qui lui offrait un exemplaire du Monde primitif, de ne le point envoyer, que dans l'état où il est il lui seroit fort inutile et que les racines hébraïques ou grecques n'ont jamais guéri aucun malade - 1773 257
Le sieur Cottin a écrit à M. Bruyset qu'il était bien étonné qu'il marquât quelque répugnance à se prêter au débit des lettres de Clément XIV, que tout le monde les lui enlevait à la Cour, à la ville, en Flandres et dans les provinces, qu'il en avait déjà débité plus de 900 exemplaires, qui si la façon de penser ne s'accordait pas avec celle qui règne dans cet excellent ouvrage, que sa conscience [n']en fut pas d'accord avec celle de l'auteur qui est précisemment celle de l'homme de l'Evangile et qu'il fût d'un parti différent, qu'il pouroit en ce cas remettre les 30 exemplaires qu'il lui avait envoyé à Rosset qui ne se fera aucune peine de s'en charger 258 .’

Louis Rosset a collaboré avec François de Los Rios, ils publient conjointement les Lettres familières de Messieurs Boileau Despreaux et Brossette pour servir de suite aux oeuvres du premier. Publiées par M. Cizeron-Rival en 1770.

Au début de la Révolution, Rosset se montre un citoyen actif. Le 26 février 1789, vingt imprimeurs libraires se réunissent pour désigner deux représentants aux Etats généraux. Périsse-Duluc 259 et Rosset, citoyens « universellement estimés pour leur probité et leurs lumières » remportent les suffrages. Or, les ouvriers imprimeurs n’ont pas été conviés à cette élection aussi introduisent-ils une requête devant le consulat afin d’obtenir l’annulation de l’élection. Le prévôt des marchands déclare que le désir des ouvriers d’être représentés lui semble très légitime, mais que rien ne justifie leur prétention de faire casser l’élection. La municipalité quant à elle casse l’élection et propose la date du 9 mars pour la convocation d’une nouvelle assemblée où les imprimeurs vont élire deux personnes de leur choix. Les imprimeurs libraires sont persuadés que le Consulat tire les ficelles de toute l’affaire, leur syndic adresse une lettre à Necker

‘Cette insurrection des ouvriers…prend sa source dans le choix qui a été fait, et a été provoquée par différentes personnes qui se trouvent intéressées à écarter de l’assemblée du Tiers-Etats tous ceux qui ont été élus par les libraires. ’

Le libraire Regnault dans une lettre à Necker du 17 mars accuse la municipalité d’avoir mis en train toute l’affaire. Ce dernier prend le parti des libraires, une décision royale est rendue en leur faveur le 8 mars mais elle ne leur est communiquée que le 14 au soir, après la séance générale des trois ordres. Rosset et Périsse-Duluc se présentent pour siéger comme délégués des élections préliminaires qui se réunissent pour établir le Cahier de Lyon et choisir les électeurs qui les représenteront à l’Assemblée générale. Le lieutenant général, observant que les cent cinquante députés accordés à la ville avaient déjà été installées et prêtés serment, ne les admet pas. La décision est remise au garde des sceaux qui tranche le 21 mars, les deux hommes seront admis en sus des cent cinquante, ils prêteront serment auprès du lieutenant général 260 .

Les auteurs du journal le Surveillant 261 dont le rédacteur principal est Antoine-Athanase Royer-Collard 262 se vantaient quand ils prétendaient parler au nom et de l’aveu de tous leurs concitoyens. Mais les sentiments qu’ils exprimaient étaient partagés par beaucoup. La même ferveur de royalisme se trouve dans un document moins connu qui ne fut pas alors rendu public, l’Adresse des citoyens de Lyon 263 , signée de sept cent trente-sept noms, parmi lesquels on trouve nobles, anciens échevins, anciens constituants, négociants notables, tout ce que les patriotes appellent l’ « aristocratie bourgeoise », Rosset est signataire du texte 264 . Il est nommé notable pour assister comme adjoint à l’instruction des procès criminels le 3 novembre 1790, administrateur des collèges le 20 juin 1793, administrateur de la maison de secours des orphelins de la patrie, proposé par Reverchon le 24 août 1794. Il fait partie des officiers municipaux désignés par les représentants du peuple le 28 octobre 1794, confirmé par Borel et Richaud le 2 mars 1795. Membre de la municipalité de l’an V (10/10/1795). Membre de la municipalité de Lyon Nord le 27 février 1796 265 .

‘Il n’a qu’un enfant unique, Louis-Benoît 266 , né en 1771 à qui il fait donner une éducation « proportionnée à sa fortune et analogue à ses goûts ». Les auspices les plus agréables s’offrent à ce jeune homme de dix-huit ans, lorsque éclate la Révolution. Il se découvre une âme de militaire et apprécie les armes. Il prend un fusil pour « courir après les brigands qui brûlaient les Châteaux du Dauphiné » et fait son éducation dans le corps de garde. Désireux de se signaler, il combat toujours aux premières lignes. Louis-Benoît relate un de ces faits héroïques qui se déroule durant l’année 1792 à Lyon. Un jour de pillage, alors qu’il est en sentinelle à la porte de la maison d’un officier rue Ecorcheboeuf, près de la place des Jacobins, il se dit assailli par trois ou quatre cents individus. Il résiste à leurs attaques ! lorsque, par surprise, il se voit jeter au milieu de la populace par un individu qui s’était introduit dans l’arrière boutique. A mains nues sans cartouches, ni baïonnettes ou sabre, il se débat longtemps avant d’être jeté dans le ruisseau. Sauvé in extremis par les grenadiers de la Section du Port du Temple, il est relevé et ramené à sa place d’arme. L’on peut imaginer dans quel état physique il sort de cette bataille ! néanmoins, cette force de la nature reprend très vite son poste pour être l’un des premiers à vaquer à l’arsenal pendant l’hiver 1792. En 1795 (27 fructidor an IIII), il épouse Jeanne-Henriette Cathelin. ’

Louis Rosset âgé de soixante-sept ans meurt le 12 janvier 1808 à Viry chez son neveu. Les obsèques sont célébrés lors d’une grande messe par le doyen Delagrange, auxquels participèrent les « 15/16°» des habitants de Viry. Louis sera enterré auprès de son frère 267 , son testament offre une rente annuelle de deux cents livres à sa belle-mère, Louise Longet. Son frère Albert-Eugène Rosset perçoit trente mille livres ; son fils Louis-Benoît cinquante mille livres ; sa femme Andrée est son héritière universelle. La fortune de Louis est constituée de, meubles, meublans, linges, joyaux dans sa maison de campagne et son appartement rue Mercière, quatre mille livres ; l’argent comptant de son commerce, six mille huit cent trente-deux livres ; promesses ou billets, soixante huit mille cent dix-huit livres ; fonds de librairie trente deux mille quarante-neuf livres 268 . Son épouse, Andrée Rosset, meurt le 26 novembre 1813, rentière aux Aqueducs.

Notes
242.

Né 18/8/1739 - Certificat de résidence du 5 janvier 1797 –AmL, I3 102

243.

Apprentissage Rosset, Duplain, 22/3/1758 – ADR, 3E4704

244.

Grand Livre des Frères Cramer, 1757 « Les frères Duplain de Lyon »

245.

Apprentissage Rosset, Duplain, 22/3/1758 – ADR, 3E4704

246.

Annexe 3, vol. 2, p. 61

247.

Apprentissage Rosset, Duplain, 22/3/1758 – ADR, 3E4704

248.

Apprentissage Rosset, Duplain, 22/3/1758 – ADR, 3E4704

249.

Mariage Sieur Louis Rosset libraire à Lyon, demoiselle Andrée Duplain, 27/9/1770 - ADR, 3E7074

250.

Almanach de la ville de Lyon, 1790

251.

Charlety Sebastien, Documents relatifs à la vente des biens nationaux, Lyon, impr. R. Schneider, 1906, p. 430, n° 2361

252.

Annexe 10, vol. 2, p. 199

254.

17/08/1704 - 27/9/1784

255.

Procuration Joseph-Sulpice Grabit, Boret & Martin libraires à Lisbonne, 31/1/1776 – ADR, 3E7076

256.

Cahiers de l’abbé Duret, 1773, feuille 27/8

257.

Ibid, 1773, feuille 20/13

258.

Ibid, 1773, feuille 27/8

259.

Annexe 3, vol. 2, p. 56

260.

Wahl Maurice, Les Premières années de la Révolution à Lyon : 1783-1792, Paris, Armand Colin & Cie, 1894, p.59

261.

Le Surveillant, journal constitutionnel, mais bientôt entraîné par la vivacité de sa polémique contre les clubs à une attitude presque contre Révolutionnaire. Le premier numéro paru le 31 août 1791

262.

Antoine-Athanase Royer-Collard est le principal rédacteur du Surveillant qui s’illustra plus tard comme médecin. Il termine ses études chez les oratoriens de Lyon où il a été chargé à dix huit ans de la chaire d’humanité. Il avait vingt trois ans lorsqu’il commença la publication du Surveillant.

263.

Texte conservé aux Archives nationales, F1 CIII6

264.

Wahl Maurice, Op. cit., p.537

265.

Ces informations sont citées dans les Certificats de résidence pour Louis Rosset, libraire, Grande rue Mercière 8, né 18/8/1739 des 20/5/1794, 27/4/1795, 7/11/1795, 5/1/1797 conservés aux AML dans la série I3

266.

Annexe 3, vol. 2, p. 60

267.

Extrait des registres mortuaires de l’église de Viry, 12/1/1/808

268.

Testament de Louis Rosset, 13/5/1776 - ADR. 3E7076