1.1 - Le réseau commercial en France et à l’étranger

1.1.1 - Etat des lieux

Le Moyen-Age a été une période pendant laquelle la surveillance et la censure des « productions de l’esprit » 469 étaient faciles. Les manuscrits étant rares et chers, les théories dangereuses ne pouvaient pas se répandre rapidement et ne le faisaient souvent que dans un périmètre géographique restreint. L’arrivée de l’imprimerie, et la place grandissante qu’elle s’octroie au fil du temps, obligent le pouvoir royal à prendre les précautions d’usage envers cette multiplication des livres :

‘Défenses sont faites à toutes personnes de quelque état, qualité et condition qu’elles soient, sur peine de confiscation de corps et de biens, de publier, imprimer, faire imprimer aucun livre, Lettre, Harangues, n’autre Ecrit, soit en rithme ou en prose, faire semer Libelles diffamatoires, attacher Placards, mettre en évidence aucune autre composition de quelque chose qu’elle traite ; et à tous Libraires d’en imprimer aucuns sans permission dudit Seigneur Roy, sur peine d’être pendus et étranglés… 470 [Arrêt du Parlement du dernier juillet 1565] par lequel il est défendu à tous Imprimeurs Libraires, Colporteurs, ou autres personnes de quelque état qu’elles soient, d’imprimer ou faire imprimer aucuns Livres pleins de blasphèmes, convices ou contumélies, pétulans et ne tendans qu’à trouble l’Etat et repos public, sur peine de confiscation de corps et de biens 471 .’

Au XVIe siècle, l’art de l’imprimerie est prêt à bouleverser les principes fondamentaux sur lesquels repose la société civile et religieuse. Menacés, l’Eglise et l’Etat, promulguent des édits et des arrêts pour surveiller l’imprimerie et la librairie. Ces règles sont assez bien appliquées durant tout le XVIIe siècle. Dès le début du XVIIIe siècle, les réglements anciens de la librairie sont de plus en plus souvent enfreints alors que la règle reste aussi stricte. La déclaration du 10 mai 1728 reste en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime :

‘[…] L’expérience nous a fait connaître que, nonobstant l’attention et la vigilance des Magistrats, plusieurs Imprimeurs ont porté la licence jusqu’à imprimer sans Privilège ni Permission, des ouvrages tendans à corrompre les mœurs de nos Sujets, ou à répandre des maximes également contraires à la Religion et à l’ordre public… A ces causes et autres à ce nous mouvans, de l’avis de notre Conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité Royale, nous avons par ces Présentes signées de notre main, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît :
Art. Ier – Que les Edits, Ordonnances, Déclarations et Règlements rendus sur le fait de l’Imprimerie… soient exécutés selon leur forme et teneur dans tous les points auxquels il ne sera pas dérogé par ces Présentes ; défendons à tous Imprimeurs, Librires, Colporteurs et autres d’y cotrevenir sous les peines qui y sont contenuës.
Art. II – Voulons que tous Imprimeurs qui seront convaincus d’avoir imprimé sous quelque titre que ce puisse être, des Mémoires, Lettres, Relations, Nouvelles Ecclésiastiques, ou autres dénominations, des Ouvrages ou Ecrits non revêtus de privilège, ni Permission, sur des disputes nées ou à naître en matière de Religion, et notamment ceux qui seraient contraires aux Bulles reçus dans notre Royaume, au respect dû à notre Saint Père le Pape, aux Evêques et à notre autorité, soient condamnés pour la première fois à être appliqués au Carcan, même à plus grand peine, s’il y échoit, sans que ladite peine du Carcan puisse être modérée sous quelque prétexte que ce soit ; et en cas de récidivée, ordonnons que lesdits Imprimeurs soient en outre condamnés aux Galères pour cinq ans, laquelle peine ne pourra pareillement être remise ni modérée.
Art. III – La disposition de l’Article précédent aura lieu pareillement à l’égar des Imprimeurs qui seront convaincus d’avoir imprimé des Ouvrages ou Ecrits tendans à troubler la tranquillité de l’Etat, ou à corrompre les mœurs de nos Sujets, et qui par cette raison n’auraient pu être revêtus de Privilège ni de Permission.
Art IV – Voulons que ceux qui seront convaincus d’avoir composé et fait imprimer des Ouvrages ou Ecrits de la qualité marquée dans l’un ou dans l’autre des deux précédens articles, soient condamnés comme perturbateurs du repos public pour la première fois au bannissement à temps hors du Ressort du Parlement où ils seront jugés ; et en cas de récidive au bannissement à perpétuité hors de notre Royaume.
Art. V – A l’égard des autres Ouvrages ou Ecrits qui n’étant de la qualité et sur les matières ci-dessus marquées, auront été imprimés sans Privilège ni Permission, laissons à la prudence et à la Religion de nos Juges, par rapport auxdits Ouvrages seulement, de prononcer contre les imprimeurs et Auteurs telle peine qu’ils jugeront convenable, suivant l’exigence des cas ; leur enjoignant néanmoins de tenir sévèrement la main à ce que tous ceux qui auront eu part à la composition, impression ou distribution de tous Libelles de quelque nature qu’ils puissent être, soient punis suivant la rigueur de nos Ordonnances 472 .’

La librairie de Paris est régie par ce règlement ainsi que par le Code de la librairie et imprimerie de Paris. Le premier obstacle auquel un auteur est contraint de faire face pour faire publier un livre est la censure. La censure est maintenue pendant tout l’Ancien Régime, elle oblige les auteurs à soumettre leurs manuscrits à un censeur royal pour obtenir, dans le meilleur des cas, à la suite d’un rapport, des lettres de privilège pour les ouvrages un peu importants, et une permission du lieutenant de police pour ceux dont la valeur ne dépasse pas deux feuilles en caractères cicéro. Les censeurs dépendent directement du chancelier, ils résident à Paris. Ils sont au nombre de cent, composé généralement d’hommes de lettres ou de gens « en place », la liste est renouvelée tous les trois ou quatre ans. « La règle commune est de nommer à chaque auteur pour censeur un homme de lettres de son genre », écrit Malesherbes 473 . Pour la théologie, il y a des docteurs de Sorbonne, des professeurs de collège, des curés ; pour la jurisprudence, des avocats ou des magistrats ; pour l’histoire naturelle, la médecine, la chirurgie, de grands médecins ; pour les mathématiques ; pour les belles-lettres et l’histoire, un grand nombre d’abbés, auxquels quelque protection a valu cette sinécure, des bibliothécaires de la Bibliothèque royale, des érudits, des journalistes, des fonctionnaires de ministères 474 . Ces censeurs peuvent être également un rivaux de l’auteur voire ses ennemis, car la plupart du temps ils ne maîtrisent par le sujet comme les auteurs, ce qui provoque de fréquentes railleries à leur égard.

‘Mes lecteurs se figurent-ils, sans éclater de rire [écrit Chénier en 1789], Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Buffon, Destouches, Piron, Gresset, tous les gens de lettres dans tous les genres ne pouvant offrir leurs idées au public sans consulter Armenonville, Chauvelin, Héraut, Berrier, Le Noir, de Cros. n.e, Desentelles, Villequier, Morin, Suard e tutti quanti ! je ne saurais joindre dans mon esprit ceux qui sont soumis à la férule et ceux qui la tiennent, sans me représenter une troupe d’aigles gouvernés par des dindons 475 .’

Les libraires provinciaux souffrent de cette situation. En 1762, des officiers du bailliage de Troyes se plaignent de traits satiriques que contiennent contre eux les Ephémérides troyennes de Grosley et demandent qu’on leur accorde le droit d’examiner eux-mêmes les feuilles de ce périodique, alléguant que les censeurs de Paris ne peuvent juger des attaques locales. Ce droit leur est refusé 476 . A Lyon , les Duplain essaient de contourner la procédure en proposant le nom d’un censeur au chancelier. En 1763, voici la demande des frères pour la publication du Manuel des Pasteurs de l’abbé Dinouart :

‘Elle seroit complette, Monseigneur, si vous jugiez à propos de me nommer pour nouveau censeur de ce livre, M. l’abbé Salmon que je ne connois pas. On m’assure qu’il est expéditif & qu’il se fera un plaisir de lire promptement cet ouvrage, dans la vuë de ne pas tarder plus longtemps mon retour qui est toujours très prochain. On m’ajoute même qu’il me donnera par avance son approbation sur laquelle je pourray solliciter un Privilège pour l’imprimerie, parce que dans le cas de difficulté il s’en entendroit avec l’auteur qu’il connoit. Cette facilité me conduisoit à lever tout obstacle pour obtenir un seul même privilège, pour tous les ouvrages dont j’ay remis la notte suivant vos ordres à M. Hermery. Je désire ardemment Monseigneur, que rien ne puisse arrêter l’exécution de la bienveillance dont vous avez eu la bonté de me donner des marques de votre dernière audiance afin que j’en jouisse et que je puisse emporter avec moy ces Privilèges ou tout au moins qu’ils soient inscrits sur la feuille, avec la Permission du Cathéchisme de Montpellier au nom du Sr Jean Deville mon Confrère de Lyon 477 .’

La production d’un prospectus est également soumise à autorisation. L’Histoire de la philosophie de Stanley donne l’occasion aux frères Duplain d’en faire la demande à Paris. S’agissant d’une première souscription lancée à Lyon 478 , ils justifient cette production de la manière suivante : ils désirent connaître le nombre d’acheteurs potentiels car l’ouvrage est « très savant, qu’il est très dispendieux pour l’impression ». On leur demande d’envoyer le projet du prospectus dans lequel « vous marquerez les conditions et ce n’est que sur cette impression qu’on pourra vous accorder ce que vous demandés » 479 , « Vous aurez aussi attention en commençant l’impression de l’ouvrage de ne pas commencer celle de l’avertissement jusqu’à ce que vous ayez reçu de nos nouvelles, c’est-à-dire jusqu’à ce que vous ayez eu une réponse à la lettre… 480  ». Pour pouvoir publier un livre, privilèges et permissions écrites sont obligatoires. Les ouvrages doivent être imprimés en France, huit exemplaires déposés auprès de la chancellerie. Le chancelier observe le contenu de l’ouvrage dans ses moindres détails, surtout s’il s’agit d’une traduction. C’est le cas pour l’obtention du privilèges du Voyage à la mer du Sud en 1756. Il s’agit d’une « Relation faite par les officiers qui commandoient le vaisseau le Wager lors de l’escadre de M. Anson, à qui il arriva des évenemens singuliers, lorsqu’il eut été forcé de quitter et d’abandonner cette escadre. Cet ouvrage forme en anglais, quatre relations, réduite en une seule par notre traducteur Anglois ». Les Duplain demandent au Chancelier de leur accorder le privilège de l’ouvrage. La réponse ne se fait pas attendre

J’ai remis entre les mains du censeur votre texte de la relation des aventures des vaisseaux de Wager. On va vous faire expédier le privilège, mais il y aura peut être quelques changemens à faire et des notes à ajouter, mais avant de se déterminer sur cet objet, il faut savoir si l’avertissement est du traducteur ou s’il est de l’auteur anglois. Volà pourquoi il faut que vous me répondiez incesamment. Je consens à ce que vous commenciez votre imprimé en attendant le privilège, mais pour vous mettre en règle à cet égard, il faut que vous voyez M. L’Intendant que vous lui rendiez compte de ce que je vous mande et même que vous lui représentiés cette lettre.

Une correspondance de Benoît Duplain datée de 1774, montre de quelle énergie et diplomatie, les libraires de province doivent jouer pour arriver à leur fin :

‘La demande que vous me faites, Monsieur, me donne bien du regret de n’avoir pas suivi le conseil de M. de Boisgermain lorsque j’étois à Paris ; il m’avoit dit que je trouverois dans votre cabinet tout ce qui avoit été fait dans tous les tems pour et contre la Continuation des Privilèges. Il vouloit que j’eus l’honneur de vous voir et je ne le fis pas. Je m’en repens, Monsieur, mais votre place m’effraya, parce que je ne réfléchis pas sur l’heure que cette même place n’étoit point incompatible avec l’amour de la justice. N’y ayant donc plus de remèdes, il faut vous satisfaire, s’il est possible.
Vous me demandés le mémoire que la librairie de Lyon a fait contre le Renouvellement des privilèges, il n'en a point en forme. Vous saves, Monsieur, que l'on ne plaide au Conseil, qu’avec de simples requêtes. Pour l’ordinaire, les requêtes ne s’impriment pas et la votre ne l’auroit pas été. Si les libraires de toutes les Provinces qui prennent le plus vif intérêt dans cette affaire ne nous en sont pas constitués dans une trop grande dépense pour le faire copier souvent, c’est donc ce qui nous a nécessité d’en faire tirer un petit nombre d’exemplaires. Je vous envoye le mien en attendant que je puisse m’en procurer un autre.
Sous peu de jours, on augmentera votre collection d’une autre requête présentée de Rouën, Toulouse, Nismes et de toutes les autres villes du Royaume qui n’impriment que pour faire la librairie en gros. Cette deuxième ajoute bien des choses à la première et répond aussi légèrement à la lettre du Sr Jombert qui sollicite dans les Provinces des signatures contraires aux délibérations prises. Vous verrez, Monsieur, dans tous ces écrits que l’on sait plaider en Province sans oublier la décense que des gens honnêtes se doivent mutuellement. Rien ne l’y ressentira de l’indignation qu’à occasionnée la lettre dudit Sr Jombert a un libraire de Lyon. Il est vrai qu’il est encore indécis si elle ne sera point mise sous les yeur des magistrats qui n’y sont pas traités avec le respect et les attentions qu’ils méritent. La prudence de celui à qui elle est adressée l’empechera peut être de la rendre publique. Quant à ce qui m’y regarde, je la prend pour ce qu’elle vaut attendu que personne n’ignore que je ne tiens à la libraire que par mon nom, jusques à ce que celui de mon fils y soit accrédité par un plus grand nombre d’années ; Et par ma place de syndic qui doit m’en engager à prendre les intérêts de ma Communauté ;
Si vous voulez encore, Monsieur, enrichir votre collection, demandés à Messieurs de Rouën et de Toulouse les lettres de leurs chambres de Commerce qui ont été envoyées à Monseigneur le Chancelier & faites venir d’Angleterre, les mémoires des libraires d’Ecosse contre ceux de Londres. Ces derniers avisent les mêmes prétentions que les libraires de Paris et ils viennent défendre leur cause au jugement des pairs du Royaume 481 .’

A l’occasion du renouvellement d’impression d’un ouvrage intitulé les Annales…, un litige apparaît entre les frères Duplain et la direction de la librairie :

‘J’ai l’honneur de vous renvoyer la Lettre que vous ont écrite les frères Duplain ; et que vous avés eu la bonté de m’adresser. Je leur avois dis avant qu’ils vous écrivissent que je doutais qu’il leur fut accordé un renouvellement de Privilège, et je leur ai soutenu qu’il soit avantageux pour lesdites Lettres, et pour le bien du commerce en général de ne pas renouveller les Privilèges, lorsqu’ils étoient expirés. Ils m’ont demandé la permission de vous mander que je ne trouvai aucun obstacle à la réimpression du Livre d’Antonini ; mais je ne leur ai pas dit que je ne trouvais aucun inconvénient au renouvelement du privilège, je leur ai au contraire dit tout l’opposé, qu’il pouvoit cependant y avoir des cas particuliers qui méritassent des exceptions, et que c’étoit à vous d’en juger. Je suis très sensible à la politesse que vous voulez bien avoir pour moy en cette occasion 482 .’

Malgré les demandes répétées des Duplain, Malhesherbes reste intraitable et répond à la Michodière que « si les Duplain veulent une priorité permission [sic], jamé on la leur donnera 483  ».

La communauté des libraires et imprimeurs est une corporation privilégiée, minutieusement réglementée. Cette « aristocratie commerciale » définie par Jean-Paul Belin 484 est très fermée. Limitée à trente-six personnes pour Paris et vingt-quatre pour Lyon, ville qui nous intéresse. La réglementation qui la régit est reproduite dans tous les édits de 1686, de 1704, de 1713, de 1739 et de 1744. Pour être accepté au sein de la communauté, il faut être reçu maître. La maîtrise s’obtient après un apprentissage de quatre années et un travail de compagnon au moins pendant trois années. Il faut nécessairement « être congru en langue latine et savoir lire le grec » 485 . L’examen de passage est réalisé devant les syndics et adjoints de la communauté, assistés de deux anciens officiers et de deux autres imprimeurs. Le dernier point consiste à fournir un certificat de bonne vie et mœurs et de catholicité. Le montant de la prestation s’élève à quinze cents livres, droit réduit à neuf cents livres pour les fils de maîtres ou les compagnons qui épousent une fille ou veuve de maître. L’affaire est entendue lorsque le nouvel imprimeur a prêté serment devant le lieutenant général de police.

Les métiers du livre à Lyon en chiffres
Métiers
Nombre d’individus
1701 486 1763 487
Imprimeurs-libraires 32 12
Libraires 32 24
Libraires-relieures-doreurs 47 Pas d’information
Compagnons (tous métiers) 184 90
Apprentis (tous métiers) 24 Pas d’information
Total 319 126 au moins

Les officiers de la communauté de libraires font office d’experts auprès des autorités locales. Le 4 janvier 1740 488 , Marcellin Duplain et Louis Chalmette, sont désignés pour réaliser l’inventaire d’un confrère, feu Claude Journet. Notons que c’est le fils de Marcellin, Benoît, qui paraphe l’inventaire, son père étant peut-être trop âgé ou malade.

Le « Fonds de Claude Journet » est estimé à vingt huit mille neuf cent soixante et onze livres. La première vacation est consacrée aux ouvrages anciens comptabilisés par lots (cent douze volumes in-quarto) ainsi qu’aux livres d’heures en grande quantité. Les ouvrages plus récents sont détaillés par titre. Le mobilier est également inventorié, deux banques, quatre montres, l’enseigne de Saint-Irénée, deux échelles, autres meubles… Les deux hommes précisent qu’ils ont trouvé trois cent quinze balles contenant sept cent cinquante exemplaires de livres de chant du clergé qu’ils ne comptent pas dans l’inventaire puisque, d’après la veuve, ils appartiennent au clergé.

Le 8 octobre de la même année, l’inventaire après décès de la bibliothèque de Louis-Jacques de Boissieu 489 est réalisé par Benoît, commes les suivants d’ailleurs.

L’activité littéraire ne se mène pas seulement chez les imprimeurs et les libraires. L’abbé Duret, fidèle observateur nous fait part des déboires des uns et des autres. Tel est le cas de M. Basset qui se voit refuser la publication d’un ouvrage à scandale qui porte sur mademoiselle Terrasson

‘On a présenté à M. Basset un roman sous le nom des Aventures de Sophie, qui renferme réellement de point en point l'histoire de Melle Terrasson, qui s'apelle Sophie. Ce qu'apercevant le Lieutenant de police, il a refusé la permission 490 .’

D’autres fois, il s’agit d’une guerre d’influence entre l’Eglise et l’Académie. Les déboires de l’abbé Pernetti, lors de la publication d’un ouvrage sur l’Académie, nous apprend que les livres indésirables sont jetés dans le Rhône. Alors que le livre publié clandestinement peut être condamné à la « brûlure » comme cela a été le cas pour les Lettres philosophiques de Voltaire, les Pensées philosophiques de Diderot, Emile de Rousseau.

‘L'abbé Pernetti avait fait une histoire de l'Académie, qu'il montra aux académiciens, lesquels, peu contents de la manière dont elle était faite, le prièrent de ne la point publier. Fait impr [sic]. Tout de même, MM de l'Académie obtinrent du commandant, M. de Rochebaron, un ordre pour la faire enlever toute entière, et elle fut jetée dans le Rhône de dessous le pont de Pierre jusqu'au dernier exemplaire, et on regrette à présent de n'en avoir pas conservé au moins un 491 .
M. Bouilloud-Mermet, a fait un ouvrage sur le même sujet, en format in-folio de 110 p. et il a proposé à MM de l'Académie de fournir aux frais du copiste qui demande 300 livres, ce qu'ils ont refusé 492 .’

A travers les pamphlets et la production des libraires, nous pouvons avoir un aperçu du comportement des lecteurs, de l’ambiance qu’il y a dans la ville et des aléas autour de la librairie. Qui publie en 1750 une satire, La ville de Lyon, en vers burlesque chez la veuve Barret ? Elle dépeint sous forme d’un dialogue entre Benoît et Pierre une scène qui se déroule sur le pont du Change. Les deux personnages mis en scène pourraient bien être les frères Duplain. Ces derniers marchandent à outrance pour acheter des livres. La vendeuse du pont du Change ne se laisse pas duper et rejette l’offre des libraires présumés. Elle s’adresse à un libraire de la place Bellecour beaucoup plus généreux envers elle. Cette satire montre que les Duplain, s’il s’agit d’eux, sont coriaces en affaire, mais qu’ils n’arrivent pas toujours à leurs fins.

« La ville de lyon, en vers burlesques ». Lyon, veuve N. Barret, 1750, 33 p. - BML, ms, PA 52
« La ville de lyon, en vers burlesques ». Lyon, veuve N. Barret, 1750, 33 p. - BML, ms, PA 52

Notes
469.

Belin Jean-Paul, Le Commerce des livres prohibés à Paris de 1750 à 1789, Paris, Belin frères, 1913, introduction

470.

Ordonnance de Charles IX, 10 septembre 1563

471.

Ibid, introduction

472.

Ibid, p. 14

473.

Mémoire sur la liberté de la presse, p. 72

474.

Belin Jean-Paul, Op. Cit., pp. 20-21

475.

André Chenier en 1789, cité par, Ibid, pp. 22-23

476.

Ibid, p. 20

477.

Lettre de Duplain aîné, syndic de la librairie de Lyon [à de Malesherbes], Sollicitant l’abbé Salmon pour censeur du « Manuel », Paris, 31/7/1763 – BNF, Na 3347, pièce 39

478.

Lettre des frères Duplain [à Malheserbes] relative à une traduction du « Voyage à la Mer du sud, par les officiers du Wager » et à une histoire de la philosphie de Stanley. Lyon, 3/2/1756 – BNF, Fr 22152, pièce 197 et 198

479.

Réponse [de Malheserbes] aux frères Duplain, 11/2/1756 – BnF, Fr 22152, pièce 200

480.

Réponse [de Malheserbes] aux frères Duplain, 11/2/1756, Min. autogr. 2f. – BnF, Fr 22152, pièce 200

481.

Lettre de Benoît Duplain, syndic des libraires de Lyon, annonçant l’envoi d’un correspondant, non dénommé, de deux imprimés sur les privilèges, l’entretenant du Sieur Jombert et l’invitant à se procurer d’autres documents pour sa collectivité à Rouen, à Toulouse et en Angleterre, Lyon, 30/3/1774 – BnF, Fr 22073, pièce 140

482.

Lettre signée de la Michodière, à de Malesherbes, Lyon, 11/8/1759 – BnF, Fr 22132, pièce 161

483.

Lettre de Malesherbes à de la Michodière, 6/8/1759 – BnF, Fr 22132, pièce 162

484.

Belin Jean-Paul, Op. Cit., p. 36

485.

Op. Cit., p. 36

486.

Enquête de 1701BnF, NAF 399

487.

Rapport de Bourgelat, 1763

488.

Inventaire Journet, Veuve Jounet, 4/1/1740 – ADR, BP 2152

489.

Inventaire après décès de Louis-Jacques de Boissieu – ADR, BP 2153

490.

Cahiers de l’abbé Duret, 1780, f. 43/33 (de la retranscription)

491.

Ibid, 1780, f. 150 (de la retranscription)

492.

Ibid, 1782, f. 150 (de la retranscription)