Les dictionnaires, un marché porteur

Il existe un public pour les livres en langues étrangères :

‘Une personne souhaiterait trouver à acheter de rencontre un certain nombre de livres anglois, des écrivains les plus renommés de cette nation, soit dans la poésie soit en politique & morale 542 .’ ‘Livres que Benoît Duplain, libraire, rue Merciere, A l’Aigle, vient de recevoir d’Allemagne et d’Angleterre en feuilles 543 .’ ‘Duplain l’aîné vient de recevoir d’Angleterre les livres suivants qui sont tous en Anglois 544

Par conséquent, les frères Duplain s’intéressent à cette littérature et plus particulièrement aux dictionnaires. La publication d’un grand nombre de dictionnaire à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, répond à un besoin de savoir encyclopédique :

Pour Jean-Marie Goulemot, publier un dictionnaire c’est aussi établir un français codifié et contrôlé, développé par les intellectuels dans le cadre de l’Académie et dans un système de pensions, de gratifications mais aussi de censure. Il déplore que cela se soit fait aux dépens « des particularismes provinciaux et au prix d’une totale séparation de la langue parlée et de la langue écrite 545  ». De manière générale, les dictionnaires sont très en vogue. Les Duplain se vantent (dans l’Avertissement de l’ouvrage) de publier le Dictionnaire de la langue française de Richelet, qui est accueilli favorablement par les « étrangers comme les compatriotes » :

Après avoir vanté une très belle édition celle d’Amsterdam en 1732, « Nous ausons nous flatter que celle que nous présentons aujourd’hui lui sera encore supérieure, & nous noe faisons point difficulté d’assurer qu’on la trouvera encore plus exacte, plus complette & même plus commode.

Le Dictionnaire portatif de la langue française, contient tous les mots françois qui sont dans les trois vol. in-folio du dictionnaire de Pierre Richelet de 1759 avec la particularité d’être classé par ordre alphabétique et non plus par « Terme Générique ».

‘Dans le grand nombre des François qui aspirent à la pureté du langage, ou qui veulent se former une orthographe exacte, il s’en trouve auxquels leurs facultés trop bornées ne permettent qu’un déboursé modique ; d’autres qui n’ont pas assez de loisir pour consulter un ouvrage étendu, quelqu’uns même que la grosseur d’un volume rebute. Il leur fallait un Manüel dont le prix fut à la portée de tout le monde, & qui cependant remplit leurs objets, en satisfaisant à toutes leurs recherches.
Le nom de l’Auteur, la commodité du format, la beauté du papier, la propreté de l’édition, tout ici sollicite l’approbation du Public : l’exactitude de l’imprimerie nous le garantit.’

Afin de faciliter la lecture et par conséquent la maîtrise de la langue, les frères répondent à la demande du public en publiant à leurs noms des dictionnaires. Le Dictionnaire italien françois et françois italien, de l’abbé Antonini « avec le souci de la perfection les soins qu’on a apportés pour ces augmentations, pour corriger les fautes sans nombre répandues dans l’édition de Venise, & pour en former une belle Edition superieure à la dernière de Paris » 546 . Deux éditions des frères en 1760 et 1762 avec un titre en français et une autre de 1770, produite par Benoît en italien pour le Dizionario italiano, latino e francese...

‘Les frères Duplain supplient très humblement Monseigneur de leur accorder un privilège pour la réimpression du Dictionnaire italien d’Antonini, qu’ils ont acquis du Sr Praut 547 .’ ‘L’un de nous dans notre dernier voyage à Paris, y acquit le droit au Privilège du Dictionnaire d’Antonini, italien français & français, italien en deux tomes in-quarto, du Sr Prault fils, pour 3 000 livres sans aucun exemplaire complet. Désirant réimprimer ce livre , dont l’impression nous coûtera 25 à 30 000 livres, nous en avons conféré avec Monsieur votre Intendant, chargé de votre part, Monseigneur, de veiller sur les impressions qui se font dans notre ville. Il ne trouve aucun obstacle à cette réimpression, ny à l’obtention d’un nouveau Privilège, ce Livre n’étant aucunement susceptible de difficulté. Il nous a même assuré que votre Grandeur s’y permetteroit d’autant plus volontiers, qu’il soit, comme nous, qu’une simple permission, n’aura jamais la même force d’un Privilège et qu’un livre si dispendieux, qui entre pour la première fois dans notre Commerce, mérite une attention et la grâce particulière que nous avons l’honneur de vous demander qui est d’en accorder un nouveau sous notre nom 548 .’

Ils font venir également des dictionnaires de France, Nouveau Secrétaire françois et allemand à l’usage des deux nations, de Poitevin (Strasbourg, 1763) 549 . Ou bien d’Allemagne, Dictionnaire François et Allemand (1763) 550 . Pour compléter l’instruction de leurs lecteurs, les Duplain publient aussi des grammaires. Grammaire italienne, pratique et raisonnée », d’Annibale Antonini (frères Duplain, 1759, Pierre, 1763). Grammaire Allemande et Françoise, de Gottsched (Vienne, 1763) 551 . Grammaire Allemande et Françoise, par Miege et Boyn (1763) 552

Les frères s’emparent de la publication de l’Apparat royal

‘Nous imprimions depuis plusieurs années, avec feu M. Declaustre mort syndic au commencement de cette année, un dictionnaire en françois intitulé Apparat Royal, in-8, mais les affaires dérangées de sa mort précipité, ne luy ont pas permis de le finir durant un court espace de la durée de la permission du sceau, que votre grandeur avoit eu la bonté de nous accorder, en telle sorte qu’il nous reste encore quinze feuilles à finir. Trouveriez-vous à propos Monseigneur, de nous accorder une nouvelle permission, pour nous mettre à l’abri de toute répréhension : dans ce cas nous vous prions encore de nous permettre d’y inserrer celle de l’Histoire de M. Constance, que nous avons réimprimé de votre agrément & qu’on a oublié de comprendre dans le privilège dernier, que vous avez bien voulu nous accorder 553 .’
Notes
542.

Ibid, 10/2/1768

543.

Ibid, 7/12/1763

544.

Ibid, 7/12/1763

545.

Goulemot Jean-Marie, Le Siècle des Lumières, p. 6

546.

Affiches de Lyon, 13/8/1760

547.

Note relative à la demande des frères Duplain d’un privilège pour la réimpression du dictionnaire italien-français et français-italien d’Antonini. – BnF, Fr 22132, pièce 159

548.

Lettre, signée : les frères Duplain à de Malesherbes, Lyon, 31/7/1759, Autogr. 2 f. – BnF, Fr 22132, pièce 160

549.

Affiches de Lyon, 7/12/1763 et 23/1/1765

550.

Ibid, 7/12/1763

551.

Ibid, 7/12/1763 et 23/1/1765

552.

Affiches de Lyon, 7/12/1763

553.

Lettre, signée : les frères Duplain à de Malesherbes, sollicitant une nouvelle permission pour l’Apparat royal, Lyon, 1/10/1754. Autogr. 2 f. – BnF, Fr 22132, pièce 149