2.1.3 – Deuxième génération : Pierre et Benoît Duplain, 1740 - 1771

La première fraude constatée de Pierre et Benoît Duplain a été décelée par Dominique Varry. Une étude de l’ Esprit des lois de Montesquieu démontre la supercherie dans l’article, Les imprimeurs-libraires lyonnais et Montesquieu 604 . Montesquieu, dans l’Esprit des lois, considère la royauté comme une puissance autonome, au même titre que la noblesse (chambre haute) ou le peuple (chambre basse). Il cautionne l’idée du roi-arbitre, qui n’est pas particulière à la pensée aristocratique. Mais va imprégner tout le courant philosophique, pour lequel « despote » est un mot haïssable, mais le monarque éclairé demeure la solution la plus souhaitable 605 .

Une note manuscrite 606 retrouvée sur un exemplaire de l’Esprit des lois nous apprend que

‘Le Manuscrit de l’Esprit des loix formait 14 cahiers tous entièrement écrits par Mme Darmageau, fille de Montesquieu. L’auteur avant de publier ce chef d’œuvre le soumit modestement, non sur le fond, mais sur le style et quelques expressions obscures ou hasardées au jugement de quelques célébrités de l’époque […] entr’autres à Fontenelle, à Diderot et à d’Alembert, qui mirent en marge leurs observations. Pour le fond, il s’adressa à quelques savants magistrats et entr’autres à son ami Mr. Barbot, président à la cour des Aides de Bordeaux, cet homme remarquable après avoir bien lu et médité des précieux feuillets dit à Montesquieu en les lui remettant : « Vous êtes original, ne perdez pas cette qualité en vous faisant imprimer ».’

Les éditions lyonnaises repérées par D. Varry, apparaissent au premier trimestre 1749 à l’adresse de Leyde, chez les « libraires associés », en deux volumes in-4. L’édition est dévoilée dans une lettre de Barbot à Montesquieu, « Il a paru ici une édition de l’Esprit des loix en deux volumes in-4°, que l’on dit être faite à Lyon, quoiqu’elle porte le nom de Leyde » 607 . D. Varry base son travail d’identification essentiellement sur le recencement des ornements repérés sur l’édition de Leyde, qui apparaissent également sur les catalogues des Duplain. Mais aussi sur des similitudes d’ « initiales ornées », de mise en page, de bandeaux, des mêmes « accidents d’impression »… 608 Il a retrouvé les Adresses dévoilées de Lyon en Europe que nous avons représentées sou forme de graphique.

Graphique : les fausses adresses dévoilées de Lyon 
Graphique : les fausses adresses dévoilées de Lyon 
Graphique : les fausses adresses dévoilées de Lyon 
Graphique : les fausses adresses dévoilées de Lyon 
Page de titre : De l’esprit des loix
Page de titre : De l’esprit des loix

De nombreuses autres affaires contemporaines à celle-ci existent. A côté d’histoires complètes, d’autres se résument à quelques bribes. L’abbéDuret, en 1762, note sur ses cahiers

‘Quatre libraires cités pour samedi à Dijon : Bussiat, Réguillat, Jacquenot le fils pour le mémoire, Le Parlement de Dijon, réunissant par l’entremise de M. Aulézy, quatre libraires de Lyon assignés du Buisson, imprimeur du mémoire des Clers. Réguillat, Jaquenot et Bussiat, devant être à Dijon aujourd’hui, samedi 609 .’

Une autre piste, toujours signalée par l’abbé Duret (en 1773) implique Louis Rosset, le gendre de Pierre Duplain :

‘Rosset avait écrit à Voltaire pour lui annoncer les Trois siècles de la littérature. Mais celui-ci ne les recevant pas, parce que la rigueur du temps avait empêché tout envoi, écrit à Rosset : vous ne m'envoyez pas le livre que vous m'avez promis. Ce n'est pas qu'il excitât ma curiosité, je le connais parce qu'on m'en écrit de Paris, il a été justement flétri à la requête de mes parents, mais il faut avoir toutes les pièces quand on plaide, fût-ce contre un gredin 610 .’ ‘Voltaire assez mal et son secrétaire a écrit à Rosset qui lui offrait un exemplaire du Monde primitif, de ne le point envoyer, que dans l'état où il est il lui seroit fort inutile et que les racines hébraïques ou grecques n'ont jamais guéri aucun malade 611 .’

A la suite du travail de D. Varry, nous avons effectué une recherche sur les bases de données bibliographiques du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon et de la BNF. Les résultats montrent que de nombreux ouvrages ont été publiés à l’adresse des « Libraires associés », comme pour l’édition contrefaite de l’Esprit des loix. C’est le cas pour les Voyages de Kamtschatka, des isles Kurilski et des contrées voisines, traduits de l’anglois (Lyon, chez les libraires associés, 1771). L’ouvrage est illustré par l’ornement 6 recensé par D. Varry. Nous n’avons pas pris le parti d’effectuer un exercice de bibliographie matérielle au cours de ces travaux, mais un large champ de recherche reste ouvert, qui semble prometteur en matière de découverte de fausses adresses.

Page de titre : les Voyages de Kamtschatka
Page de titre : les Voyages de Kamtschatka

Habiles contrefacteurs, les frères Duplain ne semblent pas avoir été inquiétés par les autorités. Probablement parce qu’ils disposent d’un réseau professionnel fiable mais aussi parce qu’ils dominena la chambre syndicale lyonnaise pendant de nombreuses années. Lorsqu’ils sont sollicités par la STN, ils repoussent toute proposition. Pierre-Jacques demande d’ailleurs à la STN de ne pas informer son oncle Benoît de leur collaboration. Aussi sommes-nous étonnés de trouver une lettre signée de Benoît et Joseph en 1774. Elle est écrite quelques mois avant la mort de Benoît, de la main de Joseph. Ce dernier a certainement utilisé le nom de son père dans cette affaire.

Lettre de Benoît et Joseph Duplain à la STN, 3 mars 1774, STN, ms 1144, folio 188
Lettre de Benoît et Joseph Duplain à la STN, 3 mars 1774, STN, ms 1144, folio 188
Notes
604.

Varry Dominique, « Les imprimeurs-libraires lyonnais et Montesquieu », in Le temps de Montesquieu, actes du colloque international de Genève (28-31 octobre 1998), Genève, 2002, pp. 43-63

605.

Vovelle Michel, La Chute de la monarchie : 1787-1792, Paris, Editions du Seuil, 1999, p. 36

606.

Vente « Livres historiques et documentaires », librairie historique Clavreuil, rue Saint-André-des-Arts, Paris, catalogue n° 358, 2005, p. 23. De l’Esprit des Loix, A Genève, chez Barillot, & Fils, sd (1748), 2 vol. in-4. 10 000 euros.

607.

Lettre de Barbot à Montesquieu, Bordeaux, 7/4/1749 in Gébelin François, « La publication de l’Esprit des loix », Revue des biblioithèques, n° 34, pp. 1225-158

608.

Varry Dominique, Ibid, pp. 49-54

609.

Cahiers de l’abbé Duret, 1762, f. 2/6 (de la retranscription)

610.

Ibid, 1773, f. 19/8 (de la retranscription)

611.

Ibid, 1773, f. 20/13 (de la retranscription)