L’affaire de Joseph à Lyon

En 1773, il publie une série de trois cent deux ouvrages imprimés par Bellion dont le privilège, qui remonte au siècle précédent, appartient à la veuve Desaint de Paris, mais que Duplain prétend avoir acquis de Barbou de Limoges et Hérissant de Paris. Il est attaqué par la veuve Desaint et par Cellot, lesquels « armés d’ordres surpris à la sagesse du magistrat & de titres qui étoient illusoires puisque la loi rejette la perpétuité des privilèges, ils enfoncent la porte des magasins, pénétrent dans les comptoirs, violent les dépôts sacrés des correspondances ». Une ordonnance rendue le 18 août par Le Noir, et un procès-verbal du 11 septembre 1773, ont permis, les perquisitions et la saisie des Satires de Boileau, des Lois ecclésiastiques, des Discours de d’Aguesseau et de « L’imitation de Jésus-Christ » traduites par le Père Gonnelieu : les Satires, que la veuve Desaint vendait trois livres à Paris, Duplain les débite à une livres dix sols ; il vend les Lois ecclésiastiques, vingt-quatre livres au lieu de trente 675 . Trente huit exemplaires en feuilles des Discours de d’Aguesseau, en 2 volumes, in-12. Quatorze exemplaires en blanc des Sermons de Sensaric, en 4 volumes, in-12. Cinquante exemplaires en feuilles des Lois Ecclésiastiques de d’Héricourt, in-folio. La fraude est constatée par le lieutenant de police Gauguery qui prend un exemplaire de chaque publication qu’il ficelle et cachete. Duplain refuse de signer le paquet. Il est malgré tout condamné par le lieutenant de police Le Noir, le 27 juillet 1777, à cent livres d’amendes et mille livres de dommages et intérêts pour la veuve Desaint 676 . Le jugement est rendu le 27 septembre 1777, mais Duplain fait aussitôt appel. Son avocat, Rieussec, dans une consultation du 23 octobre, conclut à la possibilité d’un appel, « les privilèges illimités étant invalides, d’autant plus qu’ils sont opposés au bien public et tarissent la source des richesses de la librairie 677  ». Joseph Duplain n’est pas le seul à être inquiété à Lyon. Au même moment, Barret, Buisson, Grabit et Regnault subissent également les plaintes de la veuve.

A l’occasion de cette affaire, Joseph Duplain fait état de la situation difficile dans laquelle se trouvent les imprimeurs libraires lyonnais par rapport à ceux de la capitale, qui « ont envahi tous les Priviléges 678  ». Cette situation a amené les imprimeurs libraires lyonnais soit à commettre des infractions, soit à « languir dans l’indigence 679  » Heureusement, devant cet abus de pouvoir, le législateur parisien « crut devoir fermer les yeux 680  ». Un consensus s’instaure souvent, malheureusement pour Joseph, c’est sans compter sur l’arrivée de la veuve Desaint et de Cellot qui se transforment en justiciers pour faire respecter la loi. Ces deux-là perquisitionnent dans les boutiques lyonnaises sans la moindre discrétion. Joseph déclare qu’ « après de longues recherches on trouve chez moi des livres que l’on prétend avoir été contrefaits 681  ». Il déplore avoir été condamné, alors qu’il est de bonne foi dans cette affaire :

‘En vain j’offre de produire au Procès des Pièces Justificatives : mes titres ne sont pas mieux accueillis, que mes raisons, je me trouve donc condamné pour n’avoir point distingué si des Livres qui me sont envoyés de Pris y ont été contrefaits ? Quel libraire sera innocent si je suis coupable ? 682 ’ ‘Ordonnons que les termes « injurieux et calomnieux » répandus dans le Supplément du Mémoire imprimé du Sieur Duplain contre la Veuve Desaint, signifié le 19 avril dernier, seront & demeureront rayés & supprimés 683 .’

Face à cette impuissance, Duplain fustige les libraires de Paris : « En voulant jeter dans l’inaction des Libraires de Province, ceux de Paris ont comblé les canaux qui leur transmettoient l’opulence » 684 . Non seulement Duplain est jugé coupable, condamné, mais « on répand ici des exemplaires avec une profusion plus ridicule encore que scandaleuses ». Ils envoient des pamphlets dans les gazettes publiques avec les qualificatifs de « Pirate, Corsaire, forban » 685 . A la suite de la requête de Duplain auprès du Conseil, celui-ci décide le 23 octobre 1777 que Duplain peut…

‘interjetter appel, qu’il a lieu d’espérer la réformation du jugement du 27 septembre et qu’en tout cas ce jugement ne peut pas être exécuté provisoirement, au moins quant à l’affiche du jugement et à la mise au pilon des livres saisis 686 .’

Cette affaire détourne définitivement Joseph de la librairie traditionnelle. Il se lance tout entier dans l’aventuredel’Encyclopédie. La correspondance qu’il tient durant les années 1777 à 1779 montre l’intense activité qu’il mène avec la STN.

Graphique : correspondance entre Joseph Duplain et la STN : 1773 - 1780
Graphique : correspondance entre Joseph Duplain et la STN : 1773 - 1780

Notes
675.

Audin Marius,« L’imprimerie à Lyon », Revue du Lyonnais, 1923, p. 101

676.

Jugement rendu par M. Lenoir, conseiller d’Etat, lieutenant général de police, commissaire du conseil en cette partie, 27/7/1777 – BnF, FF ms 22180, pièce 112

677.

Revue du lyonnais, 1924, l’imprimerie à Lyon, p. 101.

678.

Mémoire à consulter et consultation pour le Sieur J. Duplain, 1777, p. 1

679.

Ibid, p. 1

680.

Ibid, p. 1

681.

Ibid , 1777, p. 1

682.

Ibid , 1777, p. 3

683.

Jugement rendu par M. Lenoir, conseiller d’Etat, lieutenant général de police, commissaire du conseil en cette partie, 27/7/1777 – BnF, FF ms 22180, pièce 112

684.

Mémoire à consulter et consultation pour le Sieur J. Duplain, 1777, p. 4

685.

Ibid, p. 5

686.

Ibid, p. 5