3 – L’Encyclopédie de Joseph-Benoît Duplain

Cette partie s’appuie dans un premier temps sur le travail réalisé par Robert Darnton concernant la « biographie de l’Encyclopédie » de Diderot dans « L’Aventure de l’Encyclopédie : 1775-1800 » 715 en 1982. Darnton a cherché à répondre à un certain nombre d’interrogations : comment de grands mouvements intellectuels, tel que celui des Lumières, se sont-ils répandus dans la société ? Jusqu’où se sont-ils étendus ? Quelle a été la mesure de leur influence ? Quelle forme la pensée des philosophes a-t-elle revêtue quand elle s’est matérialisée sur le papier ? Que révèle cette entreprise sur la transmission des idées ? 716 La source principale utilisée par Robert Darnton sont les archives de la Société typographique de Neuchâtel 717 , qui conservent un grand nombre de lettres écrites par tous les acteurs de la production du livre. Darnton a pris le parti de faire commencer l’histoire en 1772, lorsque Diderot a terminé la mise au point de son Encyclopédie, au moment de la sortie du dernier volume de planches. Dans cet exposé, nous n’allons pas refaire l’histoire de l’Encyclopédie, mais préciser le rôle de Duplain dans cette aventure. Les sources lyonnaises concernant cette affaire sont très pauvres, voire inexistantes. En 1789, Joseph Benoît Duplain de Sainte-Albine, qui réside alors à Paris, crée son premier journal, les Lettres au Comte de B*** dont il est le rédacteur. Nous trouvons dans ce journal, les premiers textes dans lesquels Duplain s’exprime très librement, il donne son sentiment sur cette entreprise dont les principaux protagonistes sont la STN, Charles Joseph Panckoucke et Joseph Duplain. Nous avons également confronté les recherches de D. Varry, Pour de nouvelles approches des archives de la Société typographique de Neuchâtel 718 .

Le 11 septembre 1789, Duplain publie une chanson écrite par un inconnu, sur l’air de La bonne aventure, ô gué, &c , qui parodie l’Encyclopédie

Chanson sur l’air de « La bonne aventure, ô gué, &c »

‘Vivent tous nos beaux esprits
Encyclopédistes,
Du bonheur français épris,
Grands économistes,
Par leurs soins au temps d’Adam
Nous reviendrons, c’est leur plan ;
Momus les assiste.
O gué,
Momus les assiste.

Ce n’est pas de nos bouquins
Que vient leur science :
En eux ces fiers paladins
Ont la sapience :
Les Colbert & les Sully
Nous paroissent grands ; mais si !
Ce n’est qu’ignorance.
O gué, &c.

On verra tous les états
Entr’eux se confondre,
Les pauvres sur leurs grabats
Ne plus se morfondre.
Des biens on fera des lots
Qui rendront les gens égaux
Le bel œuf à pondre
O gué, &c.

Du même marcheront
Noblesse & roture :
Les français retourneront
Au droit de nature.
Adieu, parlemens & loix ;
Adieu, ducs, princes & rois,
La bonne aventure
O gué, &c.

Puis devenus vertueux
Par philosophie,
Les français auront des dieux
Leur fantaisie :
Nous recevrons un oignon
A*** damer le pion ;
A quelle harmonie !
O gué, &c.

Alors d’amour, liberté
Entre sœurs & frères ;
Sacremens & parenté
Seront des chimères.
Chaque père imitera
Noé quand il s’enivra.
Liberté plénière.
O gué, &c.

Plus de moines langoureux,
De plaintives nonnes ;
Au lieu d’adresser aux cieux
Matines & nones,
On verra ces malheureux
Chanter, adjurant leurs vœux,
O gué, &c.

Prisant des novations
La longue sequelle
La France des nations
Sera le modèle ;
Mais cet honneur nous devions
Aux T… & compagnons
Besogne immortelle
O gué, &c.’

Lettres du Comte de B***, 11 septembre 1788

Rubrique « Pièces fugitives en vers » BnF L2C 183 A

Notes
715.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, 631 p.

716.

Darnton Robert, Ibid, pp. 26-27

717.

Société typographique de Neuchâtel que nous nommerons désormais STN

718.

Varry Dominique, « Pour de nouvelles approches des archives de la Société typographique de Neuchâtel », in The Darnton debate Books and revolution in the eighteenth century , Oxford, Voltaire Foundation, pp. 235-249