3.2.2 - L’association Duplain, Panckoucke, STN

Plutôt que de s’opposer à Duplain, Panckoucke lui propose une association couchée sur le papier par le Traité de Dijon du 14 janvier 1777. Panckoucke et Duplain s’associent pour partager les sommes provenant des souscriptions parvenues ou à venir, à la suite de la diffusion du prospectus. Panckoucke transmet à l’entreprise tous « les droits qu’il peut transmettre » ; il supervise la production des trois volumes de planches et des expéditions sur le marché de Paris. Duplain est responsable des vingt-neuf volumes de texte, il doit publier quatre volumes tous les six mois à compter du 1er juillet 1777. Chacun des associés mutualise les souscriptions qui lui arrivent et rend des comptes tous les six mois. Le jeu consiste à savoir combien chacun en reçoit. Les uns et les autres répondent par la langue de bois, Duplain le 10 juillet 1777 écrit à la STN : « Soyez tranquille pour le nombre de souscriptions, nous ne pouvons encore compter mais nous répondons qu’elles passeront de quatre mille » il rajoute en post scriptum « Messieurs, combien avez-vous de souscriptions 750 ? » A la suite de ces opérations, les bénéfices sont partagés équitablement entre les associés.

Le texte sera distribué sous le nom du libraire Pellet de Genève. Pour l’impression, elle se fera à la convenance de Duplain dans différentes villes de Suisse, et peut-être à Lyon. Le prix de détail est fixé à dix livres pour chacun des vingt-neuf volumes de texte et à dix-huit livres pour chaque volume de planches, c’est-à-dire à trois cent quarante-quatre livres pour toute la série. Le prix de gros pour les libraires s’élève à deux cent soixante-quatre livres pour la collection complète. Les grossistes reçoivent un exemplaire gratuit pour l’achat de douze volumes. Panckoucke consent à vendre 50 % de son monopole car il est assuré de la réussite de l’opération, il pressent que Duplain pourrait vendre deux fois plus d’Encyclopédies que les quatre mille spécifiées dans le contrat. Là encore, Joseph Duplain apporte, dans les Lettres au Comte de B***, des précisions sur cette association que ne livrent pas les archives de la STN :

‘Il est vrai que Messieurs les Chanceliers, Garde des sceaux ou Directeurs de Librairie, en permettant la distribution de « ce livre infâme » dans tout le Royaume, avoient exigé, 1° que M. Panckoucke le feroit impirmer à Genève afin que nos ouvriers qui ne « méritent pas l’attention de ces Messieurs », perdissent le fruit de cette main d’œuvre, & nos Papéteries, celui de la fourniture du papier ; 2° qu’il n’en seroit pas envoyé un seul exemplaire à Paris, qui ne fût adressé à Pierre le Noir, alors lieutenant de Police, « c’étoit un petit revenant bon que Pierre le Noir qui ne s’oublioit jamais, s’étoit réservé, comme celui de la petite messagerie négrette ».
M. de Sainte-Albinee arrêté dans son opération, fut obligé de venir à jubé, & d’acheter de M. Panckoucke, libraire de Paris, la libre circulation de son idée. Il lui en a coûté cent soixante & dix mille livres.
Il fut convenu en outre que M. de Sainte-Albine paieroit à M. de Neuville 1 000 livres par chaque volume (& il y en a 39). M. de Sainte-Albine avoit déjà fait compter à M. de Neuville le prix de six volumes, c’est-à-dire, 6 0000 livres, par le canal de M. Merlino de Ghiverdy, son ami & son correspondant ; mais les libraires de Paris, dans une querelle qu’ils eurent avec « leur Directeur », ayant imprimé cette ancedote scandaleuse, M. de Neuville a fait restituer à M. de Sainte-Albine la somme payée qui devoit être distribuée, disoit-on, aux Auteurs qui auroient bien mérité de la Patrie 751 .’

La Lettre d’un libraire de Lyon à un libraire de Paris du 1 mars 1779 évoque aussi cette affaire dans les termes suivants :

‘Je vous ai mandé dans le temps, & toute la librairie de Lyon en a été informée, que Duplain a donné 40 000 livres pour avoir la permission d’imprimer l’Encyclopédie. Si cette édition étoit utile, il ne falloit pas que la permission de la faire fût achetée. Quarante mille livres réparties sur l’ouvrage en auroit diminué le prix & procuré l’acquisition à meilleur compte. Si elle étoit dangereuse* la permission vendue un prix si exorbitant décele dans la Direction de la Librairie le dessein formel de faire de sa place une mine d’or. La faculté qu’il s’est réservé de vendre à plusieurs la même permission a pensé lui procurer une fort bonne aubaine ; car un autre Libraire de notre ville ayant vu que l’édition de Duplain étoit très-fautive, avoit pris la résolution de demander la permission d’en faire une autre. Mais Duplain informé à tems, est venu trouver son confrère, lui a fait sentir, le tort que cela lui feroit, enfin il en a été quitte pour 12 000 livres qu’il lui a donné. Toutes ses opérations sont à la discrétion de M. le Directeur, & rien ne peut l’empêcher de presser l’éponge, parce qu’il lui sera aisé de supprimer toutes les preuves du fait 752 .
* Arrêt du Parlement du 6 février 1759, qui défend de vendre & publier les sept premiers volume de l’Encyclopédie’
Notes
750.

Lettre de Joseph Duplain à la STN, 11/6/1777 – STN, ms 1144

751.

Lettre à M. le Comte de B***, 27 juillet 1789

752.

Lettre d’un libraire de Lyon à un libraire de Paris, 20 p. - BnF L 4.40 A