Les querelles internes à l’entreprise étant partiellement réglées, les associés se préoccupent dès lors des attaques extérieures qui sont nombreuses. Personne ne croyait, quelques années auparavant au « marché » de l’Encyclopédie qui s’est révélé grâce à l’In-quarto de Duplain, « C’est une chose admirable de voir à quel point et en combien de sens on s’occupe de l’Encyclopédie depuis notre quarto. Il semble que nous ayons électrifié tout le monde » 759 , écrit la STN à Panckoucke. Les associés doivent faire front en rangs serrés pour lutter contre les contrefaçons réalisées à Lyon, Genève, Lausanne et Liège. Duplain se rend personnellement à Genève où il mâte rapidement la rébellion, son plan de contre attaque est le bon, il s’empresse donc de le livrer à Panckoucke, pour que celui-ci l’utilise à Lausanne :
‘L’unique but de notre voyage à Genève a été d’empêcher la contrefaçon dont nous étions menacés. La seule manière de s’en garantir c’est d’annoncer à ces enragés que d’ici en février 1779 nous aurons tout livré et que de suite après nous annoncions une édition augmentée pour les premiers éditeurs. A peine auront-ils fait quatre à cinq volumes dans l’intervalle qu’il y aura jusqu’à notre entière livraison. Qu’en feront-ils ? comment leur édition entrera-t-elle en France ? Elle trouvera de grandes oppositions. Toutes ces raisons dites verbalement et non par lettre arrêteront les plus obstinés. Faites-en part à la Société de Lausanne, SVP 760 .’Dans le royaume, des tentatives se font jour. Un groupe de libraires de Toulouse prépare une contrefaçon dans le magasin de Gaude père et fils, à Nîmes. Là encore, c’est un échec, car le privilège de Panckoucke ne peut être attaqué à l’intérieur du pays. Peu à peu, les « pirates » décrits par Darnton sont matés les uns après les autres 761 . La surprise vient alors de Lyon, où Duplain est attaqué sur son terrain. Deux libraires qu’il connaît bien, Jean-Marie Barret et Joseph-Sulpice Grabit, décident de publier leur propre in-quarto. Ils commencent l’impression pour intimider Duplain, puis lui réclament vingt sept mille livres de dédommagement pour cesser la production. La STN demande de rester ferme vis-à-vis des contrefacteurs, mais Panckoucke est plus hésitant, et laisse la décision à Duplain qui connaît mieux la situation. Duplain pactise avec ses confères lyonnais. « Quand on ne peut détruire les corsaires, la bonne politique veut qu’on compose avec eux. C’est la loi de la nécessité » 762 déclarera plus tard Panckoucke. Pourquoi Duplain cède-t-il aussi facilement ? Tout d’abord, il faut rappeler que Grabit est proche de Madeleine Bruyset, tante de Joseph à qui il a racheté le fonds de librairie. Ensuite, Joseph propose de dédommager les deux hommes s’ils arrêtent l’impression, avec trois mille livres immédiatement puis vingt-quatre mille l’année suivante. Le billet à ordre, déposé chez un notaire, ne sera remis aux intéressés que lorsque la totalité des in-quarto sera vendue. Si en juin 1779, il reste cinq cents invendus, les vingt-quatre mille livres ne seront pas payées. Dans ce cas, Barret et Grabit pourront acheter par priorité les cinq cents séries pour la moitié du prix de gros, c’est-à-dire pour quarante neuf mille cinq cents livres au lieu de cent quarante-sept mille. Si une catastrophe imprévue se produit, Duplain se voit libéré de sa dette. Darnton a retrouvé la trace de la transaction et il affirme que les deux hommes ont bien perçu leur argent 763 .
Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 161
Lettre de Duplain à la STN, 18/8/1777, STN in Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 161
Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 162
Lette de Panckoucke à Beaumarchais, 10/3/1780, STN in Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 165
Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 164