3.3 – Une guerre commerciale sans merci

3.3.1 – Des techniques de communication

Les querelles internes à l’entreprise étant partiellement réglées, les associés se préoccupent dès lors des attaques extérieures qui sont nombreuses. Personne ne croyait, quelques années auparavant au « marché » de l’Encyclopédie qui s’est révélé grâce à l’In-quarto de Duplain, « C’est une chose admirable de voir à quel point et en combien de sens on s’occupe de l’Encyclopédie depuis notre quarto. Il semble que nous ayons électrifié tout le monde » 759 , écrit la STN à Panckoucke. Les associés doivent faire front en rangs serrés pour lutter contre les contrefaçons réalisées à Lyon, Genève, Lausanne et Liège. Duplain se rend personnellement à Genève où il mâte rapidement la rébellion, son plan de contre attaque est le bon, il s’empresse donc de le livrer à Panckoucke, pour que celui-ci l’utilise à Lausanne :

‘L’unique but de notre voyage à Genève a été d’empêcher la contrefaçon dont nous étions menacés. La seule manière de s’en garantir c’est d’annoncer à ces enragés que d’ici en février 1779 nous aurons tout livré et que de suite après nous annoncions une édition augmentée pour les premiers éditeurs. A peine auront-ils fait quatre à cinq volumes dans l’intervalle qu’il y aura jusqu’à notre entière livraison. Qu’en feront-ils ? comment leur édition entrera-t-elle en France ? Elle trouvera de grandes oppositions. Toutes ces raisons dites verbalement et non par lettre arrêteront les plus obstinés. Faites-en part à la Société de Lausanne, SVP 760 .’

Dans le royaume, des tentatives se font jour. Un groupe de libraires de Toulouse prépare une contrefaçon dans le magasin de Gaude père et fils, à Nîmes. Là encore, c’est un échec, car le privilège de Panckoucke ne peut être attaqué à l’intérieur du pays. Peu à peu, les « pirates » décrits par Darnton sont matés les uns après les autres 761 . La surprise vient alors de Lyon, où Duplain est attaqué sur son terrain. Deux libraires qu’il connaît bien, Jean-Marie Barret et Joseph-Sulpice Grabit, décident de publier leur propre in-quarto. Ils commencent l’impression pour intimider Duplain, puis lui réclament vingt sept mille livres de dédommagement pour cesser la production. La STN demande de rester ferme vis-à-vis des contrefacteurs, mais Panckoucke est plus hésitant, et laisse la décision à Duplain qui connaît mieux la situation. Duplain pactise avec ses confères lyonnais. « Quand on ne peut détruire les corsaires, la bonne politique veut qu’on compose avec eux. C’est la loi de la nécessité » 762 déclarera plus tard Panckoucke. Pourquoi Duplain cède-t-il aussi facilement ? Tout d’abord, il faut rappeler que Grabit est proche de Madeleine Bruyset, tante de Joseph à qui il a racheté le fonds de librairie. Ensuite, Joseph propose de dédommager les deux hommes s’ils arrêtent l’impression, avec trois mille livres immédiatement puis vingt-quatre mille l’année suivante. Le billet à ordre, déposé chez un notaire, ne sera remis aux intéressés que lorsque la totalité des in-quarto sera vendue. Si en juin 1779, il reste cinq cents invendus, les vingt-quatre mille livres ne seront pas payées. Dans ce cas, Barret et Grabit pourront acheter par priorité les cinq cents séries pour la moitié du prix de gros, c’est-à-dire pour quarante neuf mille cinq cents livres au lieu de cent quarante-sept mille. Si une catastrophe imprévue se produit, Duplain se voit libéré de sa dette. Darnton a retrouvé la trace de la transaction et il affirme que les deux hommes ont bien perçu leur argent 763 .

Notes
759.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 161

760.

Lettre de Duplain à la STN, 18/8/1777, STN in Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 161

761.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 162

762.

Lette de Panckoucke à Beaumarchais, 10/3/1780, STN in Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 165

763.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 164