3.3.2 – La fabrication

Depuis le lancement de l’association, Duplain a pour unique interlocuteur Charles-Joseph Panckoucke. Dès lors, la fabrication est lancée, il dialogue directement avec la STN. Les imprimeurs prennent en compte trois éléments incontournables de l’édition pour établir leur budget : la composition, l’impression et le papier.

Tableau : comparaison du coût d’une feuille d’édition dans la 1re et la 2e éditions – Darnton
  1re édition
tirage 4 000
1re et 2e éditons combinées
tirage 6 150
Composition 22 livres 22 livres
Impression 32 livres 49 livres 4 sous
Papier 72 livres 110 livres 14 sous
Total 126 livres 181 livres 18 sous

Le papier est l’élément le plus cher. Le prix du papier a augmenté au fil des éditions passant de soixante-douze livres par feuille d’édition au premier contrat à cent dix livres quatorze sous pour le second 765 . Duplain doit réunir trente-six millions de feuilles de papier pour ses imprimeurs. Les archives de la STN ne donnent pas de réponses quant à la réalisation d’un tel exploit. Les premières correspondances de Duplain à la STN commencent le 11 mai 1777, et portent uniquement sur cet aspect de la réalisation de l’Encyclopédie : le papier. Duplain se réserve le papier pour Lyon, et consent à envoyer le surplus à Neuchâtel. Le ton utilisé est moqueur :

‘Dès que vous aurez votre fonte et que vous serez nanti des assortiments nécessaires qu’il faut pour imprimer un livre où il y a du grec de l’hebreu et autres langues étrangères, vous nous le manderé et de suite nous vous enverrons des papiers, parce que certainement vous ne serés pas en état de commencer de suite, et que du papier inutile chez vous pendant trois semaines nuirait d’ailleurs. 766

Duplain a cédé de guerre lasse l’impression des trois volumes, mais il ne fait aucune facilité aux Neuchâtelois. De son côté, Panckoucke temporise :

‘Terminer à l’amiable avec Duplain, mais n’insistez pas sur les bagatelles et serai persuadé que votre impression étant belle, soignée, Duplain ne mandera pas mieux que de vous donner beaucoup de volumes à imprimer 767

Toutes les feuilles convergent chez Duplain à Lyon, où elles sont assemblées et transformées en volumes. Les volumes sont envoyés à de tous les libraires français et européens, lesquels les font parvenir aux souscripteurs. Duplain doit attendre le paiement des libraires qui souvent se fait attendre, afin de pouvoir régler les fabricants de papier et les imprimeurs. Début 1778, les difficultés financières apparaissent : « Nous avons bien eu l’honneur de vous observer que l’argent est ici d’une rareté affreuse, que nos libraires demandent du temps et qu’enfin nous ne pouvons en faire sortir des pierres. Le train que nous menons l’ouvrage exige une mise dehors à laquelle nous ne comptions point 768  ». Duplain fait appel à une firme commerciale lyonnaise que nous avons déjà évoqué dans le chapitre 1, celle de la veuve d’Antoine Merlino et fils , laquelle par la même occasion achète une part de l’entreprise : « Nous nous débarrassons du détail de banque et malgré cela nous sommes excédés malgré quinze personnes que nous avons au moins 769  ». Un témoin oculaire, Favarger, envoyé de la STN à Lyon, rapporte en août 1778 que Duplain « a trop peu de monde, car il n’a de commis que les deux frères Le Roy, un teneur de livres, et Le Roy l’aîné est presque toujours en voyage. En magasin, il a deux assembleurs, trois femmes pour collationner et son domestique pour mettre de côté 770  ». Au total, huit personnes pour collationner près de mille huit cents rames sur chaque volume 771 , ce qui est nettement insuffisant. Du reste, Duplain ne compte pas ses heures de travail comme le déclare en mars un de ses associés : « Il y a bientôt six mois que M. Duplain n’a pu mettre le pied à la rue 772  ». En décembre 1778, les magasins de Duplain sont engorgés : « Nous ne pouvons pas absolument en loger ni recevoir aucune feuille, à moins de nous chasser de chez nous et en meubler nos appartements 773  ».

Les associés doivent sans cesse promouvoir l’Encyclopédie, faire de la publicité. La première méthode consiste à envoyer des prospectus et des circulaires, la seconde à passer des annonces dans les journaux, et la troisième à envoyer des représentants ou voyageurs de commerce pour recueillir des souscriptions. Le 22 décembre 1778, ces diverses méthodes sont mises en œuvre sans concertation entre les associés : Duplain envoie deux cents lettres 774 , la STN imprime une longue circulaire signée 775 , Panckoucke poste des circulaires de Paris 776 . Les résultats ne se font point attendre, les commandes affluent, cependant les voyageurs de commerce ne coordonnent par leur tournée. Le plus zélé semble être celui de Duplain, Amable Le Roy, il « raffle » le marché du sud et du centre de la France à Favarger 777 . Un représentant de Duplain vend trois cents quatre-vingt quinze souscriptions en une tournée (est-ce Le Roy ?). Panckoucke se charge de la diffusion dans la région parisienne, Duplain fournit la province et le sud de l’Europe, la STN se concentre sur l’Europe du Nord (Allemagne, Angleterre, Hollande) 778 . Duplain imagine d’offrir des gravures de Diderot et d’Alembert en guise de cadeau publicitaire,méthode de vente qu’il reprendra plus tard à Paris « C’est une dépense bien vue et qui peut produire un bon effet  779 », approuve Panckoucke.

Notes
764.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 215

765.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Librairie académique Perrin, p. 214

766.

Lettre de Joseph Duplain à la STN, 11/6/1777 – STN, ms 1144

767.

Lettre de Panckoucke à la STN, 10/7/1777 – STN, ms 1189

768.

Lettre de Duplain à la STN, 20/12/1778 – STN, ms ?

769.

Lettre de Duplain à la STN, 24/3/1778 – STN, ms ?

770.

Rapport de Favarger à la STN, 15/8/1778 – STN, ms ?

771.

Lettre de Duplain à la STN, 20/12/1778 – STN, ms ?

772.

Lettre de Duplain et compagnie à la STN, 17/3/1778 – STN, ms ?

773.

Lettre de Duplain à la STN, 9/6/1778 – STN, ms ?

774.

Lettre de Duplain à la STN, 22/12/1778 – STN, ms 

775.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Op. Cit., p. 277

776.

Ibid, p. 277

777.

Ibid, p. 278

778.

Ibid, p. 279

779.

Lettre de Panckoucke à la STN, 8/7/1777 – STN, ms ?