3.3.3 – Il faut bien régler les comptes : la fin de l’histoire

Au cours des multiples transactions, les associés ne se font pas de cadeau. Duplain, surtout, essaie de gruger les autres, mais certains de ses plans sont dévoilés. En novembre 1778, il envoie une lettre au banquier parisien Batilliot, afin que celui-ci trouve des souscriptions sur le territoire de Panckoucke. Batilliot, au lieu de brûler la lettre comme on le lui recommande, la fait passer à Panckoucke qui s’empresse d’informer la STN de sa teneur. Les neuchâtelois et Panckoucke restent cependant courtois avec Duplain, préférant accumuler en secret les preuves contre lui. Peu à peu, Panckoucke commence à s’inquiéter de l’attitude de Duplain. Les ventes de Paris diminuent, ce qui laisse supposer que le travail de sous-main de Duplain est bien en place. Il fait part de ses craintes à la STN : « Nous avons affaire à un homme très fin et très avide qui ne mandera pas mieux de nous surprendre 780  ». Comme les comptes doivent être mis à jour, des représentants de la STN se déplacent à Lyon. « Il faut voir le compte, l’examiner de sang-froid et faire ensuite nos observations. Je voudrais que ce fût le plus calme d’entre nous qui vînt à Lyon ou bien il faudrait que vous y vinssiez deux 781  ». Duplain, quant à lui, s’efforce de démontrer aux associés qu’une telle réunion est inutile. La rencontre a lieu en février 1779 et, si elle n’est pas franchement cordiale, un accord est néanmoins signé à l’issue. Les associés repartent méfiant vis-à-vis des Lyonnais, jusqu’à la phase finale de règlement des comptes, en janvier 1780.

Tableau : nombre d’in-quarto vendus de l’Encyclopédie, selon Robert Darnton
Souscriptions françaises 7 257
Souscriptions à l’étranger 691
Ventes à des particuliers 37
Hommages 25
Total 8 010

En août 1779, Joseph veut mettre un point final à l’aventure de l’Encyclopédie 783 . Il écrit à la STN pour lui proposer la vente des quatre cents exemplaires restants. Il a trouvé un acheteur, et pense que l’occasion de trouver un nouvel acheteur ne se représentera pas. Aussi, presse-t-il la STN d’accepter sa proposition 784 . « La dureté de Duplain ne nous surprend pas 785  ». Les comptes de clôture de l’Encyclopédie sont faits par Amable Le Roy. Joseph informe Panckoucke qu’ils seront prêts pour février 1780 786 . Le 21 février 1780, un procès-verbal est établi pour régler l’affaire entre « MM. de la Société typographique de Neuchâtel en Suisse, d’une part, et MM. Joseph Duplain et Comp. de Lyon, d’autre part 787  ». En mai, la STN enquête toujours sur l’activité de Joseph Duplain. Elle demande à Revol de leur indiquer « Combien M. Duplain vous a porté en compte des entrepôts pour l’Encylcopédie, c’est-à-dire les magasins qu’il dit avoir loué pour cet objet 788  ». La STN a certainement dû obtenir satisfaction car les relations entre Revol et Duplain sont au plus mal à ce moment là. Voici la teneur d’un courrier de Revol à la STN :

‘Nous prevenons que nous ne ressemblons point aux Duplain, et aux Le Roy, avec lesquels quoiqu’amis intimes depuis l’enfance pour nous être livré à eux de bonne foy et nous être fié à leur parole ; voudraient nous escroquer un objet de 4 000 et plus qui sont dû, heureusement pour nous que nous avons des témoignages, et que nous pouvons et sommes en droit de les actionner… et nous ne tarderons pas à le faire ! vous en parler davantage en serait vous ennuyer, d’autant plus que vous connaissez leur savoir-faire, ainsi que tous ceux qui ont afaire avec eux, il vient de jouer un pareil à son cousin Germain Pierre Duplain de Paris 789 .’

En juillet l’affaire n’est pas réglée. Des balles contenant des exemplaires de l’Encyclopédie arrivent à Lyon. Les employés de Duplain tentent de s’en emparer, mais ils sont interceptés par Revol. Duplain et Le Roy viennent le voir dans les magasins pour « leur faire de très belles promesses, qu’ils ne demandaient pas mieux que de terminer à l’amiable sans procès, qu’ils allaient de suite nous livrer tout ce que nous demandions 790  » N’entendant là que des promesses, Revol ne cède pas et rassure la STN « Ainsi, soyez tranquilles, sur tout nous ne nous laisserons pas séduire », Revol n’en demeure cependant pas inquiet quant à la suite du conflit :

‘Il y a de grande aparence que vous ne terminerez pas de sitot avec ledit Duplain pour la raison qu’il dit que vous vous êtes engagé à luy rendre 31 exemplaires qu’ils vous avaient envoyé de trop… 791

Au mois d’août 1780, la jeune femme de Joseph tombe gravement malade, elle décède le 3 septembre 792 . Toute la famille est ébranlée et perturbée 793 . Revol n’en reste par moins intraitable :

‘Jugez quel chagrin pour M. le Maître d’Hotel du Roy il semble que c’es un chatiment du ciel pour le punir de son avidité et de sa soif d’or aux dépend des uns et des autres, laissons cet homme de coté, il ne mérite pas que d’honnete gens s’entretienne de luy 794 .’

En novembre, Revol est toujours empêtré dans les négociations avec Duplain qui se prépare à quitter la ville. Joseph a liquidé son affaire et ses biens à Lyon, il vit en chambre garnie en attendant son départ pour la capitale. Il semble qu’il désire couper totalement les ponts avec Lyon, son domestique, le sieur Comtois, passe au service de M. Le Roy 795 . En arrêtant ses affaires et en jouant de son association avec Le Roy, Duplain brouille les cartes de ses adversaires qui ne trouvent plus de prises, Revol en perd patience :

‘Vous ne sauriez imaginer les corvées qu’il nous faut faire chaque jour, il se renvoye tous les uns aux autres et se font un jeu de nos demarches 796 .’ ‘Nous serons bien flatté » écrit-il, « lorsque vous aurez terminez avec tous ces barbouillous avec lesquels il faut avoir une terrible patience 797 .’ ‘Soyez persuader Messieurs que nous sommes si degoutez d’avoir à faire a de telle canaille qu’il faut toute la patience et l’attachement que vous avons voué 798 .’ ‘A l’égard des volumes qui vous manquent pour vous completter, ainsy que vos defflets nous y perdons notre latin, M. Duplain étant à Paris, M. le Roy dit que cela ne le regarde en rien, celuy qui était chargé de cette partie, dit qu’il n’a pas le tems. Bref, ils en font un jeu et paraissent peu soucieux des menaces que nous pouvons leur faire 799 .’

Cette affaire semble avoir désespéré Revol, qui a son tour est introuvable. La STN charge Arnal de prendre contact avec lui, après plusieurs tentatives infructueuses de visites à son domicile, Arnal l’a « enfin [déterré] dans un caffé, mais il ne m’a rien appri de satisfaisant » 800 . Barret se plaint également des agissements de ses associés Duplain et Le Roy à la STN :

‘L’impression finie depuis cinq à six semaines [de la table analytique de l’Encyclopédie en 6 vol.], lorsque j’ai cru etre mis en possession, M. Le Roy successeur de M. Duplain et son digne élève, a jugé à propos de me refuser la délivrance de me donner mille chicanes. J’ai été obligé de les poursuivre en justice pour les faire exécuter, à quoi ils ont été contraints 801 .’
Notes
780.

Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, Paris, Op. Cit., p. 358

781.

Ibid, p. 358

782.

Ibid, p. 602

783.

Joseph demeure rue Royale à Lyon

784.

Lettre de Joseph Duplain à la STN, 3/8/1779 - STN, ms 1144

785.

Lettre de Pankoucke à la STN, 22/12/1779 - STN, ms 1240

786.

Lettre de Joseph Duplain à Panckouke, 27/12/1779 - STN, ms 1205

787.

Proces verbal, 21/2/1780 - STN, ms 1220

788.

Lettre de la STN à Revol, 24/5/1780 - STN, ms 1205

789.

Lettre de Revol à la STN, 24/6/1780 - STN, ms 1205

790.

Lettre de Revol à la STN, 25/7/1780 - STN, ms 1205

791.

Lettre de Revol à la STN, 25/7/1780 - STN, ms 1205

792.

Lettre de Revol à la STN, 19/9/1780 - STN, ms 1205

793.

Lettre de Revol à la STN, 13/8/1780 - STN, ms 1205

794.

Lettre de Revol à la STN , 19/9/1780 - STN, ms 1205

795.

Lettre de Revol à la STN, 18/11/1780 - STN, ms 1205

796.

Lettre de Revol à la STN, 18/11/1780 - STN, ms 1205

797.

Lettre de Revol à la STN, 18/11/1780 – STN, ms 1205

798.

Lettre de Revol à la STN, 25/11/1780 - STN, ms 1205

799.

Lettre de Revol à la STN, 3/5/1780 - STN, ms 1205

800.

Lettre d’Arnal à la STN, 13/1/1782 - STN, ms 1114

801.

Lettre de J.M. Barret à la STN, 17/6/1780 - STN, ms 1117