2.2 – Le monde de l’agiotage à Paris

2.2.1 - De timides débuts

Lorsqu’il arrive à Paris, Joseph est le bourgeois stricto sensu du XVIIIe siècle, un rentier sur l’Etat qui est propriétaire d’immeubles bâtis. Il découvre une nouvelle activité, l’agiotage :

‘Je n’avois nulle idée du commerce des fonds publics ; cette nature d’effets fixa mon attention, parce que leur produit étoit certain & susceptible d’augmentation ; ou peut-être, faut-il le dire, parce que ma malheureuse destinée me conduisoit, comme par la main, vers l’écueil contre lequel je devois m’échouer, & perdre une fortune acquise par des travaux héréditaires et honorables 1071 .’

Sa première expérience, qu’il réalise un peu par hasard se fait grâce à :

‘D’anciennes liaisons [qui] me rapprochèrent d’un ami [certainement Claude Barou] qui spéculoit dans ce genre de commerce avec autant d’intelligence que de fruit 1072 .’

Elle porte sur une « spéculation considérable » des actions de la Caisse d’escompte qui lui rapporte un bénéfice de quarante mille livres. Encouragé par cette opération fructueuse, l’avenir de cette activité lui paraît très prometteur et très facile à mettre en œuvre. Il décide de s’engager seul dans une nouvelle affaire, et achète deux cents des mêmes actions. Très rapidement, Duplain assiste impuissant à une manœuvre d’agioteurs plus aguerris, en quinze jours il se vend dix mille actions alors qu’il n’en existait que cinq mille, le prix de l’action chute de huit à sept mille livres. La déconvenue est inévitable pour Duplain qui affiche une perte de cent quatre-vingt-un mille cinq cents livres 1073 . Fin décembre 1784, l’action vaut six mille cinq cents livres, il retire alors ses quatre-cent-trente-sept actions et perd de nouveau quatre cent quatre-vingts mille cinq cents livres auxquelles s’ajoutent les sommes qu’il doit régler à ses débiteurs. Fin décembre 1785, le bilan est sombre pour quarante mille livres de bénéfice, Duplain a perdu sept cent trente-sept mille six cent neuf livres en agiotant sur les actions de la nouvelle compagnie des Indes et celle de la Compagnie des Eaux de Paris 1074 . A ce moment là, il est en affaire avec le libraire Batillot fils pour une somme de treize mille quatre cent vingt-quatre livres 1075 . Calonne accuse Duplain de « jouer sur les fonds publics », d’avoir « ameuter tout Paris contre des dispositions sages et patriotiques ». Duplain se défend de ses reproches et à son tour dénonce « ces espèces de Cannibales qui ne s’engraissent qu’à force d’égorger les victimes », de prêter à un pour cent aux victimes de la bourse. Pour Joseph, « Voilà les sangsues, voilà les vampires que l’on devroit etouffer » 1076 . Mais on ne lui pardonne pas d’avoir réuni vingt-cinq personnes « qu’on dépouillait, & qui vous conjuroient, aux noms de leurs enfants & les larmes aux yeux, de ne pas permettre qu’ont mit les mains dans leur poche » 1077 afin d’organiser leur défense, Duplain crie à l’injustice :

‘Mais ce qu’il est impossible d’oublier, parce que cela attaque essentiellement mon honneur, c’est la conduite que M. de Calonne a tenue à mon égard à la suite de cette députation, c’est la hardiesse avec laquelle il ose, « dans sa lettre au Roi » défier le citoyen qu’il a opprimé, & le sommer de paroître. Eh bien ! ce citoyen vexé, ce citoyen opprimé, c’est moi 1078 .’

Ses déboirs sont connus à Lyon, ils sont brièvement relaté par l’abbé Duret qui déclare que Duplain est « taxé pour agiotage par arrêt du Conseil 1079 .

Notes
1071.

Lettre de M. de Sainte-Albine à M. le Comte de V***, s.l., 1789, in-8, p. 6

1072.

Lettre de M. de Sainte-Albine à M. le Comte de V***, s.l., 1789, in-8, P. 6

1073.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Lettre de M. de Sainte-Albine à M. le Comte de V***, sl, 1789, p. 8

1074.

Ibid, p. 15

1075.

7 billets : 10/9 (731 L), 18/10 (3 000 L), 18/10 ( 3 000 L), 18/10 ( 3 000 L), 18/10 ( 2 000 L), 1/12 (1 119 L), 19/12 (475 L) – Inventaire…

1076.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Lettre de M. de Sainte-Albine à M. le Comte de V***, sl, 1789, p. 27

1077.

Ibid, p. 22

1078.

Lettre de M. de Sainte-Albine à M. le Comte de V***, s.l., 1789, in-8, pp. 17-18

1079.

Cahiers de l’abbé Duret, 30/09/1790, f. 184