2.3.2 - Un secret d’un million de livres

Ce papier monnaie doit circuler en toute sécurité et on doit l’ « empêcher qu’il ne soit, dans la brouette du courrier, un aimant qui attire le fer de l’assassin » 1129 écrit Duplain, il amène habilement le lecteur à la crainte ;

‘Il [le brigand] n’a besoin pour enlever sa proie et consommer son crime, ni du cheval qui laisse des traces, ni de l’aide d’un complice ; un fusil à deux coups suffit, puisqu’il n’a que deux hommes à assassiner : le postillon et le courrier.’

Pour finalement dévoiler au public qu’il détient « la solution » pour faire circuler le papier en toute sécurité :

‘Messieurs, je le porterai moi-même ; et, comme la Salamandre dans le feu, je passerai au milieu des assassins, et je les défierai Mais, maître de mon secret, je desire qu’il soit une ressource pour ma famille ; qu’il soit utile à jamais à ma patrie, et pour cet effet je me réserve absolument l’exécution du plan que j’ai conçu.’

Pour cela, il doit être assuré d’être autorisé à faire rouler des cabriolets qui expédient chaque jour son journal, le Courrier extraordinaire,des paquets divers et des passagers. Les départs se feront selon sa convenance et les trajets suivront la route de ses divers correspondants. Il ne veut pas employer les services de la maréchaussée qui est trop voyante :

‘J’ai vu, il y a quelques années, la recette de Montbrison être la proie des brigands, et cependant elle n’étoit en route qu’entre deux soleils ; et elle étoit escortée par quatre cavaliers qui furent tués, par un conducteur qui subit le même sort, et par un charretier qui fut éventré.’

Duplain ne veut en aucun cas lier son projet avec l’entreprise des diligences des postes pour ne pas avoir à :

‘…entrer en société avec cet essaim de monopoleurs, parce que les diligences ne partent pas tous les jours ; parce qu’elles ne vont pas dans tous les coins de la France ; parce que le privilège qu’on a surpris à votre religion, est contraire à notre constitution parce que celui qui en ordonnera l’exécution, celui qui l’exécutera et celui que ne s’y opposera pas, est parjure au serment que nous avons tous fait de maintenir, de défendre, même à main armée, votre ouvrage immortel, l’égide de notre liberté ; parce que si vous consacrez, par un décret, cette ferme tyrannique, la seconde législature la proscrira, et parce qu’enfin les voitures privilégiées étant en horreur chez le peuple, elles seront le motif d’une insurrection, et ne m’offrent par conséquent aucune espèce de sûreté 1130 .’

Le privilège des diligences n’offre que des inconvénients à la Nation, déclare Duplain, « des entraves, des dangers et la privation d’une branche d’industrie pour dix mille familles ». Alors qu’en Angleterre , il n’y a pas de réseau privilégié, ni maître de poste à brevet, et que les communications sont très efficaces 1131 . Voyant son entreprise de transport échouer, il propose aux députés de l’Assemblée nationale de lui racheter son invention. Il envoie son projet à Mirabeau l’aîné afin d’avoir son avis, voici la réponse de celui-ci :

‘Vous m’annoncez, Monsieur, une découverte bien importante ; vous ne pouvez même trop vous hâter d’établir que vous la posséder réellement, l’envoyer, en conséquence au Comité de constitution de l’assemblée nationale votre mémoire ; c’est à lui que vous devez vous adressez d’abord : mettez-le au plutôt à même d’en faire son rapport à l’assemblée nationale, et si l’examen répond à ce qui vous prometez, Monsieur, vous ne manquerez pas d’appui. J’ai l’honneur d’être 1132 .’

Le 14 février 1791, il négocie son secret un million avec la Nation, somme qui devra être versée à la Société littéraire à M. Bouvard et à lui-même. En contrepartie, Duplain jouira pour lui-même et pour son journal, à perpétuité, de la franchise de ses lettres à la poste. Il bénéficiera d’une entrée libre et à perpétuité dans les tribunes des suppléants à l’Assemblée nationale 1133 . En mars 1791, nous apprenons que Duplain a présenté son projet aux administrateurs des postes :

‘A MM les Négocians de Bordeaux, d’Amiens, et de Lille,
Je vous ai annoncé une découverte bien intéressante, sans doute, et qui excite votre empressement à la connoître. Permettez moi, Messieurs, de répondre ici aux différentes lettres que j’ai reçues. Oui, Messieurs, j’ai le secret de faire transporter les assignats d’une ville à une autre, et de défier le brigand. J’ai eu à cet égard, dimanche dernier, une très-longue conférence avec MM. Les Administrateurs de la Poste, au nombre de quatre. Je n’ai point trouvé, dans ces Messieurs, les ennemis de la Révolution que, des journalistes injustes et partiaux, livrent tous les jours à la mésestime du public ; j’ai rencontré au contraire des hommes comme nous, Messieurs, de vrais patriotes qui ne craignent point un surcroit de besogne si elle tourne à l’avantage du peuple, si son produit diminue les charges de l’état, et si elle peut favoriser la circulation de notre monnoie bienfaisante. Nous sommes convenus, Messieurs, que je ferai le dépôt de mon secret au directoire du département ; qu’en acquérant de cette manière, la confirmation de ma propriété, je confierai ma découverte à MM. Les administrateurs de la poste, qui la présenteront à nos augustes représentans. J’aurai, MM., à combattre les usuriers, les marchands d’argent, une chambre d’assurance qui s’apprête à vous égorger ; j’aurai à combattre les banquiers, peut-être ; mais que pourront une foule de gens intéressés, contre la voix d’un peuple souverain qui, sur la présentation d’un secret évidemment utile, nécessaire, indispensable, criera : nous le voulons, la découverte est utile au commerce ; elle met nos courriers en sûreté ; elle procure à l’état un nouveau revenu ; elle nous soulage d’un impôt. Duplain 1134 .’

Des recherches effectuées aux archives de la poste à Paris n’ont pas débouché, nous ne savons pas quelle suite a été donnée à cette affaire.

Notes
1129.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, A nos augustes représentans, Paris, Imprimerie de la Société littéraire, sd

1130.

Ibid

1131.

Ibid

1132.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 13 février 1791

1133.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Mémoire de Joseph Duplain à l’Assemblée nationale : transport des assignats, 14/2/1791

1134.

Courrier extraordinaire ou le premier arrivé, 2 mars 1791