2.3.3 - Projet d’une banque nationale

Une fois de plus, Duplain constate que la situation économique de la France est moins envieuse que celle de sa voisine, l’Angleterre, qui bénéficie de richesses réelles, d’un commerce florissant et d’un excellent gouvernement. La France a comme atouts, une population nombreuse et active et des richesses territoriales 1135 . La conjoncture politique veut que le Roi va se priver des conseils de ses Ministres au profit des délibérations des Etats-généraux. La priorité est de « dégager l’industrie de toute espèces d’entraves, de la débarrasser de ces maîtrises ridicules établies dans le commerce » :

‘De ces communautés exclusives dans les arts & métiers, qui ont réduit le talent à payer la permission de se montrer, l’indigence à donner de l’argent pour s’ouvrir l’entrée d’un état duquel elle ne se dévoue que pour en gagner ; & ont forcé l’ouvrier qui n’a point d’argent, à abandonner le fruit de ses travaux à un maître avare qui ne lui donne souvent que l a subsistance d’une famille nombreuse, qui souvent ne connaît pas son métier et n’a d’autre mérite que celui d’avoir eu de l’argent pour acheter le droit exclusif de vendre au public le talent de son ouvrier 1136 .’

L’Assemblée ne veut pas d’une banque privilégiée, qui aurait apporté au roi et au ministère, sur le modèle anglais, le concours technique, mais aussi le renfort politique des principaux capitalistes 1137 . Ce n’est pas l’avis de Joseph Duplain pour qui le remède à tous ces maux est la création d’une banque nationale qui s’avère absolument indispensable pour donner :

‘D’abord à l’agriculteur laborieux les moyens de confier plus à la terre, & d’en retirer davantage ; A l’Amateur courageux, la facilité d’exporter nos denrées & nos marchandises en plus grande quantité chez l’étranger ; Aux Manufacturiers ingénieux, la puissance de luter avec fruit contre l’industrie des nations rivales ; Aux propriétaires d’immeubles, l’incomparable avantage d’acquitter des dettes dont ils ont souvent hérité, ou le moyen de se livrer, par des emprunts, à des entreprises utiles, sans être forcés à des ventes précipitées & toujours ruineuses 1138 .’

La banque imaginée par Duplain serait gérée par des administrateurs généraux qui tiendrait leur pouvoir de la Nation et qui nommeraient treize administrateurs particuliers. Les Ministres n’auraient aucune influence sur la banque dont le capital s’élèverait à quatre-vingt millions fournis par la Nation. La banque nationale succéderait à la caisse d’escompte. Les statuts et autres modalités de fonctionnement seront fixés par les Etats généraux. Puisse la France se convaincre de pareilles vérités, & adopter, je ne dis pas mon plan, mais l’idée d’un établissement de ce genre 1139  :

‘Vous êtes donc toujours fâché, M. le Comte, contre l’administration de la caisse d’escompte ; vous n’auriez par voulu qu’elle eût adopté pour ses billets la couleur verte ni les vignettes ? Cette livrée ne convenoit guère à une compagnie de crédit, à cause de l’allusion au bonnet vert 1140 .’ ‘Je vais rapidement vous tracer l’apperçu d’un plan beaucoup plus convenable à nos intérêts. Je voudrois, 1. Que l’Etat creât un papier national jusqu’à la concurrence de quatre ou cinq cents millions, qui seroient versés dans une banque nationale… laquelle banque succederoit à la Caisse d’Escompte, & en prendroit la place. 2. Qu’il fut convenu que ce papier de la nation seroit reçu dans tout le Royaume comme argent comptant. 3. Que la Banque nationale restât chargée e la liquidation de la Caisse d’Escompte ; de lui tenir compte des soixante dix mille qui lui sont dûs par le Roi, ainsi que de tout l’argent qu’elle a en caisse 1141 .’

Encore un projet qui semble ne pas avoir vu le jour. Au même moment, il dénonce le blanchiment d’argent et le trafic de capitaux :

‘Les israélistes disent qu’ils envoient des lingots pour économiser sur la main-d’œuvre qui est meilleur marché dans le Limousin que dans l’isle de France… mais ces Messieurs ne disent pas que la rareté de l’espèce, augmentant par cette opération perfide, il s sont les maîtres de vendre leur argent ce qu’ils veulent ; ils ne disent pas que de Limoges ils enverront l’argent monnoyé, à Lyon, où ils acheteront des lettre-de-change à trois pour cent, et viendront s’acquitter avec la Caisse d’Escompte qui, par ce moyen, aura échangé ces lingots contre des lettres, c’est-à-dire, qu’elle aura formé un assortiment en papier quarré et en papier long… Ils ne disent pas que cet argent ensuite s’écoulera dans les mains de nos réfugiés, et qu’il n’en reparoîtra pas une obole. Et de pareils attentats, M. le Comte, resteront à punir ; et nous verrons de sang froid s’engraisser à nos dépens une foule de Genevois, de Hollandois, d’Anglois, de Gens de tous les pays et de toutes les sectes tombés sur la place de Paris, comme des envoyés de Lucifer, semblables à ces nuées de sauterelles, qui, obscurcissant le soleil, tombent chaque année sur l’empire du croissant et le ravagent ! O François ! Quand vos bras succombant sous le poids de ses chaînes s’armera-t-il donc contre ces corsaires ? Quand détruirez-vous le repaire de ses serpents vénimeux, qui lancent continuellement sur vous leurs dards empoisonnés ? Quand abandonnerez-vous le culte de l’idole pour adorer le vrai Dieu ?… La dette nationale est sous la sauve-garde de la Nation et de la royauté française.’
Notes
1135.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Projet d’une banque nationale à établir en France, par M. de Sainte-Albine, sl, 1789, p. 1

1136.

Ibid, p. 6

1137.

Furet François, Ozouf Mona, Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p.462

1138.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Projet d’une banque nationale à établir en France, par M. de Sainte-Albine, sl, 1789, pp. 14-15

1139.

Ibid

1140.

Lettres à M. le Comte de B***, 6 octobre 1789

1141.

Lettres à M. le Comte de B***, 18 novembre 1789