Un ressentiment particulier envers Necker

Comme Jean-Charles-Pierre Le Noir fut l’un des ennemis jurés de Joseph Duplain, puis de Duplain de Sainte-Albine, Necker eut également à souffrir du ressentiment de Joseph. La banqueroute de l’Etat a ramené Necker aux affaires en août 1788, élevé au rang de ministre, il organise la réunion des Etats Généraux. Il va tenter de sauver la monarchie contre elle-même. Au moment de l’auto proclamation de l’Assemblée nationale le 17 juin 1789, la ligne conciliante préconisée par Necker est désavouée par le roi qui prend le parti des ordres privilégiés. Sa démission refusée dans un premier temps, il est renvoyé le 11 juillet, il a pour ordre de quitter secrètement la France. Devant la complexité des affaires, Necker est rappelé en France, la sagesse aurait voulu qu’il ne revînt pas. Il pressent les risques de son retour, mais il ne peut renoncer à l’honneur qu’on lui fait :

‘Je retourne en France en victime de l’estime dont on m’honore, écrit-il au moment de reprendre la route de Paris… Il me semble que je vais rentrer dans le gouffre 1142 .’

Un an plus tard, il démissionne le 3 septembre 1790 dans l’indifférence la plus totale. « Son réformisme était trop audacieux pour le parti aristocratique et trop timoré pour les patriotes » 1143 . Son seul tort dira un député le 2 août 1790, c’est de s’être tenu à « des idées conformes à une longue expérience qui ne permet guère de s’élever à la hauteur des conceptions nouvelles » 1144 . Joseph Duplain de Sainte-Albine ne cache pas son ressentiment pour cet homme dans un article des Lettres au Comte de B*** de mars 1790 :

‘M. Necker à toujours quelques ressentimens de colique épatique. On assure que ce Ministre se dispose à aller prendre les Eaux près du Saint-Esprit dans le mois de Mai prochain, que Dieu l’accompagne à la fontaine et répande ses dons sur cette tête chère à la France ! 1145 ’ ‘M. Necker est sur le point de partir aux eaux, ainsi que je vous l’ai marqué. Le Ministre rend un gouvenement qui ne lui obéit plus, et tout en nous disant que sa santé l’oblige d’abandonner, pour un instant, ses fonctions publiques, il demande un comité de Finances. « C’est ainsi qu’en parlant, je vous fais mes adieux. C’est l’histoire de Cassiodore qui, sous Théodoric, parvenu au faite des grandeurs, qui, après avoir joui des mêmes prérogatives de l’Empereur, qui après avoir disposé du Trésor d’Etat ; qui après avoir approvisionné le Royaume ; qui, enfin, après avoir décoré du nom de Patrice, se dégoûta des Grandeurs, et se retira dans un monastère pour y travailler à des ouvrages sur la Religion 1146 .’

En 1789, Joseph Duplain de Sainte-Albine se débat au milieu de ses adversaires, gagne certains procès en perd d’autres et récupère une partie de sa fortune. En aucun cas il ne reprendra le commerce de la librairie. Admiratif de son monarque mais détestant ses ministres, il s’accommoderait très bien d’une monarchie constitutionnelle :

‘Eh ! quel plus beau moment enfin ! Une Nation réunie dans ses Députés, l’élite de tout un peuple, qui, en acquittant exactement ses dettes, régénérera le crédit en France, donnera à l’Europe attentive l’exemple frappant d’une fidélité dont aucun Monarque n’osera plus s’écarter, & rendra au plus Grand Roi de l’univers la prépondérance dont il jouissoit à si juste titre dans toutes les Cours, prépondérance que des Ministres plus occupés d’eux que du soin de conserver l’éclat & l’honneur du Trône, avoient laissé affoiblir 1147 .’ ‘Ah ! M. Le Comte, dites à vos amis, dites aux hommes de bon sens, dites à tout le monde, qu’il ne nous reste d’autre ressource, pour échapper à une affreuse destinée, que celle de rétablir la circulation, de payer en nos billets ce que nous devons et ce que nous avons solennellement promis de payer, de borner nos vengeances, et, au lieu de nous occuper à rechercher le crime jusques dans ces derniers repaires, d’accorder à tous nos Grands une amnistie générale, qui les rappelera dans leurs foyers 1148 .’

Joseph Duplain est incorrigible, il ne vit que pour et par son argent, il n’y a pas un obstacle qu’il ne sait contourner, il sacrifie ses amis et ses relations pour arriver à ses fins. Citons un extrait d’une lettre du maire girondin lyonnais Vittet qui juge très sévèrement ce type de personnage : 

‘N’attendez rien des négociants, ils aiment mieux mourir que de perdre leur cher argent ; ils aiment mieux être esclaves que de ne pas gagner la même quantité d’argent ; ils aiment mieux voir périr leurs femmes et leurs enfants que d’en perdre la plus petite portion. Vous savez comme ils raisonnent sur le présent et sur l’avenir, ou plutôt comme ils sont intéressés 1149 .’

Ses activités financières vont bientôt passer en toile de fond, sans jamais disparaître totalement. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen va lui ouvrir la voie qu’il espére secrètement depuis bien longtemps.

Notes
1142.

Furet François, Ozouf Mona, Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p.308

1143.

Ibid

1144.

Ibid

1145.

Lettres à M. le Comte de B***, 4 mars 1790

1146.

Lettres à M. le Comte de B***, 15 mars 1790

1147.

Duplain de Sainte-Albine Joseph-Benoît, Projet d’une banque nationale à établir en France, par M. de Sainte-Albine, sl, 1789, p. 17

1148.

Lettres à M. le Comte de B***, 4 janvier 1790

1149.

Bayard Françoise, Vivre à Lyon sour l’Ancien Régime, Perrin, 1997, p. 168